La Tech se précipite de féliciter Donald Trump...

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Et si Trump nous redonnait une grosse envie… d’Europe numérique ?

Par Thierry Derouet, publié le 27 août 2025

En dénonçant les régulations européennes du numérique, Donald Trump menace d’imposer tarifs douaniers et restrictions technologiques. Mais cette attaque pourrait, paradoxalement, offrir à l’Europe l’occasion de réduire enfin sa dépendance aux Big Tech américaines. Explications.

Cela commence toujours par un post rageur sur Truth Social. Cette fois encore, Donald Trump n’y est pas allé par quatre chemins : « L’Amérique et ses entreprises technologiques ne sont plus le cochon-tirelire ni le paillasson du monde. » Dans sa ligne de mire : Bruxelles et ses régulations numériques — taxe sur les services numériques, Digital Services Act, Digital Markets Act — accusées d’attaquer frontalement la Silicon Valley. La menace tombe aussitôt : surtaxer les exportations européennes et couper l’accès aux semi-conducteurs américains si ces régulations ne sont pas retirées.

Une grosse envie d'Europe numérique ? Donald Trump n’y est pas allé par quatre chemins : « L’Amérique et ses entreprises technologiques ne sont plus le cochon-tirelire ni le paillasson du monde. » Dans sa ligne de mire : Bruxelles et ses régulations numériques — taxe sur les services numériques, Digital Services Act, Digital Markets Act — accusées d’attaquer frontalement la Silicon Valley.

Du déjà vu, mais à plus grande échelle

La scène n’est pas nouvelle. En 2019 déjà, l’annonce de la taxe française sur les services numériques avait déclenché la foudre de Trump, qui avait menacé de surtaxer le vin, le fromage et les sacs de luxe français. Six ans plus tard, le scénario se répète, mais cette fois, à l’échelle du continent. Car l’Union européenne a consolidé son arsenal législatif avec le DSA (2022), le DMA (2023), et la taxe sur les services numériques, encore appliquée par certains États comme la France ou l’Italie.

Pour Trump, ces textes sont moins des garde-fous que des « armes économiques » dirigées contre les États-Unis. « Scandaleusement, ces régulations épargnent les géants chinois », affirme-t-il.

Pékin comme alibi

Ainsi, Trump instrumentalise la rivalité sino-américaine. Les géants chinois, moins implantés en Europe, échappent mécaniquement au périmètre des régulations. Pour Washington, le biais est flagrant. Pour Bruxelles, il s’agit d’un simple effet mécanique : on régule ceux qui dominent réellement le marché.

Le Wall Street Journal résume cette posture comme une stratégie assumée : défendre les Big Tech américaines au même titre que Boeing ou Caterpillar.

L’escalade inédite : sanctionner des responsables européens

Selon Reuters, l’administration Trump envisage d’imposer des sanctions ciblées aux responsables européens chargés de mettre en œuvre le DSA, y compris des restrictions de visas. Du jamais-vu dans l’histoire récente des relations transatlantiques.

Le secrétaire d’État, Marco Rubio, a ordonné aux diplomates américains de mener une campagne de lobbying contre la loi, et le vice-président JD Vance a publiquement accusé Bruxelles de « supprimer les voix conservatrices ».

The Guardian rappelait déjà en mai que Washington se réserve désormais le droit de refuser des visas à tout responsable étranger accusé de censurer des contenus publiés par des Américains.

« Business is business »

Pour Alain Issarni, grand spécialiste des politiques numériques, la leçon est limpide : « Business is business. » Derrière les discours sur la liberté d’expression, il s’agit bien d’une bataille commerciale.

Mais cette fois, l’argument pourrait se retourner contre Washington. En renchérissant le coût d’accès aux technologies américaines, Trump offrirait paradoxalement à l’Europe une incitation forte à réduire enfin sa dépendance.

Une dépendance chiffrée

Le Cigref, via une étude Asterès, l’a mesurée : près de 264 milliards d’euros par an dépensés par les entreprises européennes en logiciels et services cloud américains, soit l’équivalent de 1,9 million d’emplois soutenus aux États-Unis.

L’étude esquisse aussi un scénario alternatif : si seulement 15 % de ce marché était réorienté vers des acteurs européens, cela créerait 463 000 emplois en Europe d’ici 2035 et générerait 75 milliards d’euros de chiffre d’affaires local.

Ce que disent nos voisins allemands

En Allemagne, le diagnostic est partagé. Une enquête de Bitkom révèle que 78 % des entreprises jugent leur pays trop dépendant des fournisseurs cloud américains et 82 % souhaitent pouvoir compter sur des acteurs allemands ou européens compétitifs.

Le gouvernement fédéral a reconnu cette vulnérabilité : « L’Allemagne est dépendante des entreprises américaines dans plusieurs secteurs technologiques clés », notait récemment un rapport officiel.

Berlin a réagi en lançant une stratégie multicloud, appuyée sur des certifications locales (BSI C5, EVB-IT Cloud) et des projets comme la German Administrative Cloud (DVC) ou Delos Cloud.

Pour les DSI : contrainte ou levier ?

Pour les directions des systèmes d’information, ce bras de fer n’est pas un bruit de fond diplomatique. Il peut se traduire par des impacts immédiats : licences logicielles plus chères, surcoûts cloud, restrictions possibles sur les semi-conducteurs.

Mais il peut aussi devenir un levier stratégique. Repenser son sourcing, intégrer des fournisseurs européens, diversifier ses partenaires : autant de choix qui, hier encore, relevaient du volontarisme politique, et qui, demain pourraient devenir des décisions économiques rationnelles.

De la dépendance à l’autonomie ?

En 2019, la crise de la taxe GAFA avait été désamorcée par un compromis. En 2021, l’OCDE avait esquissé un accord fiscal mondial resté inachevé. Aujourd’hui, Trump relance la confrontation. Mais peut-être, cette fois, son intransigeance pourrait-elle se retourner contre lui : forcer l’Europe à ne plus seulement mesurer sa dépendance, mais à commencer à l’inverser.

« La partie n’est pas terminée », commente sur LinkedIn, Alain Issarni. Elle pourrait même, pour la première fois, tourner à l’avantage des Européens.


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