Entretien avec Bernard Giry, DSI et DGA de la Région Ile De France

Gouvernance

« Nous innovons pour simplifier la vie de nos citoyens »

Par Thierry Derouet, publié le 06 mai 2024

La Région Ile-de-France affiche l’ambition d’un territoire résolument orienté vers l’avenir, où le numérique s’affirme comme le catalyseur d’une transformation profonde et inclusive, attentive aux besoins de ses citoyens, avec l’intelligence artificielle et la data comme piliers d’une simplification devenue essentielle.


Entretien avec Bernard Giry, DSI et DGA transformation numérique de la Région Ile-de-France


Quelles sont les grandes missions d’un DSI d’une région comme l’Île-de-France ?

Diriger le SI de la Région Île-de-France, c’est superviser les services pour environ 10 500 employés, dont 8 500 dans les établissements scolaires et 2 000 au siège. Nous gérons 470 lycées. Nos compétences s’étendent aux transports, au développement économique, au soutien culturel, à l’environnement et au sport, notamment en facilitant la création d’infrastructures telles que des gymnases.

Les activités de la Région Île-de-France se répartissent en trois axes : la gestion des lycées, représentant un quart d’un budget de 5 Md€ ; le soutien aux transports, incluant « Île-de-France Mobilités » et le développement des infrastructures cyclables et routières ; et l’octroi de subventions pour l’innovation et le soutien direct aux citoyens, comme l’illustre le récent chèque énergie remis à 200 000 bénéficiaires, témoignant d’une évolution dans l’approche des aides financières.

Depuis janvier 2022, la DSI et le pôle de transformation numérique sont structurés en trois directions principales : la DSI ; le numérique, qui comprend le numérique éducatif ; et la direction des données.

Notre objectif, en tant que DSI, est d’améliorer la qualité du service public régional, tant dans l’octroi des subventions que dans le support administratif, incluant la gestion de la paie et des carrières des 10 500 agents. Nous collaborons également avec la direction de la communication sur un CRM permettant de mieux connaître les citoyens et utilisateurs.

Comment sont organisées vos équipes et comment se structure votre budget ?

Pour la DSI, nous gérons deux budgets distincts : l’un pour le siège et l’autre pour les lycées. Il y a des différences notables dans nos opérations entre le siège, centralisé à Saint-Ouen depuis 2018, et les 470 lycées dispersés à travers l’Île-de-France, représentant environ six millions de mètres carrés et 450 000 élèves.
Le budget annuel alloué aux lycées s’élève à environ 130 M€, tandis que celui du siège est de 35 M€, portant l’enveloppe globale à 160-170 M€. Notre DSI compte 45 personnes, sur un total de 110 personnes dans le pôle, renforcées par un prestataire de gestion de services informatiques. En parallèle, l’équipe responsable du numérique pour les lycées est épaulée par une équipe externe d’au moins 80 personnes, qui assure le fonctionnement, la réparation et la maintenance des équipements sur place. Malgré ces chiffres, nos effectifs restent modestes au regard de l’ampleur des tâches à accomplir.

Vous externalisez beaucoup d’opérations ?

Notre pôle se concentre principalement sur la gestion de prestataires externes tout en maintenant un datacenter, qui n’est pas exclusivement le nôtre, mais plutôt un datacenter mutualisé. Unique en son genre, il est issu d’une initiative du département du Val-d’Oise et est géré sous la forme d’un groupement d’intérêt public baptisé Val-d’Oise Numérique.

En 2018, lors de notre réorganisation, suite au déménagement du Conseil régional depuis le 7e arrondissement de Paris vers les Docks de Saint-Ouen, nous avons opté pour le soutien de cette infrastructure. Bien que gérée par un partenaire privé, sous notre gouvernance directe, elle nous offre la flexibilité de déployer nos propres équipements et de développer des services adaptés à nos besoins. Depuis son inauguration par le département du Val-d’Oise et la région, le projet a su rassembler une trentaine d’acteurs, dont des universités, l’Inserm et diverses municipalités, ce qui témoigne de son succès et de sa pertinence. Et même si la gestion du datacenter reste un projet en constante évolution, elle a permis de solidifier notre modèle. Pour le siège, nous cherchons à maintenir une stratégie d’hébergement hybride, combinant notre propre datacenter et des solutions SaaS ou d’autres formes d’hébergement, en fonction des exigences de disponibilité et des besoins de nos utilisateurs.

La sécurité des infrastructures est une priorité absolue pour nous. Nous avons introduit une formation obligatoire en cybersécurité pour tous nos agents

En 2024, les JO seront à l’honneur. Quel rôle la région jouera-t-elle dans l’organisation de cet événement ?

La sécurité des infrastructures est une priorité absolue pour nous. Nous avons par exemple travaillé de concert avec Pure Storage pour renforcer nos systèmes de sauvegarde et améliorer notre posture en matière de cybersécurité, en préparant nos équipes à faire face aux pires scénarios.

Nous avons introduit une formation obligatoire en cybersécurité pour tous nos agents, qui vient s’ajouter à un MOOC sur la déontologie. Les élus, qui accèdent à des informations délicates, font aussi partie de cette démarche. Cela a été souligné lors de notre séminaire annuel, où la cybersécurité et l’IA ont été les sujets centraux, reflétant l’importance stratégique de ces questions.

En outre, nous assurons la protection numérique au-delà de nos murs, notamment avec la création d’un centre d’appel pour la cybersécurité à destination des collectivités locales franciliennes et des PME, en réponse aux directives de l’ANSSI. Ce centre, bien qu’encore en phase de démarrage, est unique en son genre grâce à sa collaboration avec Board of Cyber, qui nous aide à évaluer la vulnérabilité des communes. Nous avons déjà abordé la sécurité avec 80 collectivités et partagé des analyses détaillées avec 40 d’entre elles, illustrant ainsi notre engagement profond pour une région cybersécurisée.

Parcours de Bernard Giry

Depuis août 2021 : 
Directeur des systèmes d’information de la Région Île-de-France

Février 2016 – Juillet 2021 :
Conseiller pour l’innovation, le numérique et la recherche au sein de la Région Île-de-France

2004 – 2015 :
Cofondateur et CEO de BCBG

FORMATION
Master en Management (Sciences Po Lyon)

ENGAGEMENTS
Représentant de la Région Île-de-France au Conseil d’administration du Campus Cyber

Quels sont les enjeux et défis de la simplification administrative ?

La simplification était au cœur de la création de notre pôle en 2021, avec l’objectif de « simplifier la vie des Franciliens et le travail des agents par la transformation numérique » d’ici 2025. Celle-ci est fondamentale pour nous et s’inscrit dans un mouvement plus large de révision des pratiques organisationnelles et bureaucratiques avec l’aide du numérique, et potentiellement de l’IA à l’avenir.

Un exemple de cette simplification est notre gestion des aides régionales. Avec 300 à 400 dispositifs actifs, la complexité pour les citoyens est notable, souvent aggravée par un jargon bureaucratique. Nous avons réévalué nos processus, divisant parfois par deux le nombre d’informations requises sur les formulaires en ligne, en réalignant les exigences sur les objectifs politiques et les nécessités d’évaluation. Cela reste un travail en cours.

L’utilisation d’API et le partage de données avec l’État sont d’autres aspects de cette démarche. Récemment, la présidente a interpellé Bruno Le Maire concernant l’API Ficoba (Fichier des comptes bancaires et assimilés), essentielle pour le contrôle des IBAN lié au versement des subventions, qui est actuellement inaccessible aux collectivités locales. Nos efforts pour obtenir l’accès à cette API soulignent notre volonté de simplifier et d’optimiser l’utilisation des données déjà contrôlées par l’État, évitant ainsi les redondances. Nous sommes impliqués dans le débat sur la loi de simplification en cours, en espérant qu’elle permettra de lever les obstacles réglementaires pour une meilleure circulation des données.

Nous avons recours à l’IA pour, notamment, aider les agents à interpréter notre documentation régionale rapidement et efficacement, de sorte qu’ils puissent mieux assister les citoyens.

Et vos agents, comment pouvez-vous leur simplifier la vie ?

La simplification administrative vise à alléger le quotidien de nos agents publics. Nous réévaluons les rôles et les processus en mettant l’accent sur l’identification et la résolution des obstacles qui nuisent à leur efficacité et à leur satisfaction. L’amélioration de leurs conditions de travail est également essentielle, notamment dans la gestion des subventions, souvent complexifiée par les systèmes informatiques et les règlements. À cet effet, nous avons recours à l’IA pour, notamment, aider les agents à interpréter notre documentation régionale rapidement et efficacement, de sorte qu’ils puissent mieux assister les citoyens.

Justement, où en est la Région Île-de-France en matière d’expérimentation de l’IA ?

Nous gérons entre 200 et 220 systèmes d’information et, pour moderniser une documentation technique parfois datée, nous avons entrepris la création d’un « tech assistant ». Cet outil intelligent, actuellement en phase de test, utilise toute notre documentation pour fournir des instructions précises et diriger les agents vers les sections pertinentes des manuels techniques. Cette initiative améliore non seulement la documentation pour la compréhension humaine, mais aussi pour l’interprétation algorithmique, en éclaircissant les zones ambiguës que l’IA ne peut pas déchiffrer seule. Cela simplifie et dynamise le travail quotidien de nos équipes et de tous les agents de la région.

Nous appliquons également l’IA dans d’autres domaines. Par exemple avec la start-up Fullsoon pour lutter contre le gaspillage alimentaire dans les cantines scolaires, en optimisant les achats en fonction des emplois du temps, de la météo et des périodes de vacances scolaires. Notre approche itérative nous permet de résoudre des problèmes spécifiques avec les services concernés et de proposer des solutions innovantes. Autre projet en cours, nous examinons comment l’IA peut aider à déterminer les règles d’archivage pour des documents dispersés sur diverses plateformes comme SharePoint.

En janvier, lors de notre « semaine de l’IA », nous avons abordé les définitions et applications de l’IA, ses implications dans le monde du travail, la sécurité des données, et l’utilisation d’outils tels que ChatGPT. Cette initiative a reçu un accueil positif des agents, témoignant de leur désir de comprendre et de s’impliquer dans ces nouvelles technologies. Nous progressons par des essais, des formations et le développement de compétences en interne et avec des partenaires externes, afin d’intégrer progressivement l’IA dans nos services.

Dans un contexte toujours en tension sur les emplois IT, comment faites-vous pour attirer les talents ?

Le Gouvernement a récemment émis une directive autorisant une augmentation générale des salaires pour le personnel du numérique et de l’informatique dans la fonction publique d’État. Ce cadre n’est pas automatiquement applicable aux collectivités territoriales. Bien que nous puissions nous en inspirer, il subsiste une certaine disparité entre les pratiques de l’État et celles des collectivités locales. Cette situation crée un contexte concurrentiel qui nous pousse à être inventifs et proactifs dans le recrutement, et nous réussissons dans cette démarche. Ceux qui nous rejoignent sont motivés par la chance de travailler sur des projets de grande envergure, d’impulser des changements significatifs et d’exercer une influence concrète sur notre communauté.

En collaboration avec l’Igrif, l’inspection de la région, nous avons établi environ 200 indicateurs pour suivre les politiques publiques.

Comment le numérique aide-t-il à mesurer l’action régionale ?

L’évaluation de l’efficacité des politiques publiques est cruciale pour nous. Nous utilisons une approche quantitative pour mesurer l’impact de notre soutien aux entreprises, en analysant les bénéficiaires, les montants alloués et les retombées économiques. Pour cela, notre direction des données décisionnelles a été considérablement renforcée, répondant à une forte demande des différents services pour mieux piloter leurs actions.

Nos agents sont maintenant équipés pour construire leurs propres tableaux de bord, avec le soutien de la direction de la donnée qui maîtrise les outils nécessaires et assure un accompagnement personnalisé. Cette démarche est transversale, touchant différents domaines comme le développement économique et la culture, et elle s’applique aussi aux grands projets dans les lycées. Le but est de donner plus d’autonomie aux services, tout en assurant un suivi et un accompagnement continus.

En collaboration avec l’Igrif, l’inspection de la région, nous avons établi environ 200 indicateurs pour suivre les politiques publiques. Ce travail consiste à définir avec les services les critères pertinents lors du vote d’une politique, puis à les aider à suivre ces indicateurs. Maintenant, nous nous tournons vers la phase amont, pour intégrer ces indicateurs dès le début du processus décisionnel.

Nous explorons également l’utilisation de jumeaux numériques pour mieux anticiper les effets des politiques. Cela pourrait notamment être appliqué aux projets de transport, où il est essentiel de comprendre les implications avant la mise en œuvre.

Je suis de plus en plus convaincu de l’utilité des jumeaux numériques.

Plus précisément, dans quels domaines expérimentez-vous les jumeaux numériques ? Pourraient-ils servir à fournir une vision éclairée des missions du conseil régional afin, par exemple, de tester l’impact des décisions publiques ?

Nous avons entamé ce processus avec notre propre plateforme de jumeau numérique, Île-de-France Smart Services, en commençant par le domaine des inondations. Ce service permet à chacun d’en voir les conséquences potentielles sur son lieu d’habitation, et pas seulement dans le cas d’inondations centennales. C’est un outil précieux, aussi bien pour les résidents que pour les maires, qui peuvent ainsi simuler et prévoir les impacts. Concernant la pollution, nous sommes également en mesure d’exploiter des simulations pour en évaluer les effets.

Je suis de plus en plus convaincu de l’utilité des jumeaux numériques. Bien sûr, en créer un unique pour toute la région, qui intègrerait l’ensemble des données, est un projet d’une grande complexité. Néanmoins, l’utilisation de jumeaux numériques pour des études spécifiques, comme l’environnement, ciblées sur une mission ou une thématique précise, est un axe de travail très prometteur. C’est un domaine dans lequel nous sommes prêts à progresser, en particulier avec l’arrivée des coopérations régionales où de tels outils pourront être décisifs pour aborder les défis à venir.

Les régions échangent-elles sur ces sujets ?

Bien qu’il soit difficile d’aller plus loin dans la mutualisation en raison de la complexité et de la spécificité de chaque région, il y a un effort conscient pour s’inspirer des initiatives réussies des unes ou des autres, comme celles du Grand Est et de l’Occitanie. Les régions examinent les avantages pédagogiques et financiers du passage au cloud et de l’utilisation de ressources numériques. Elles reconnaissent la nécessité de prendre des décisions éclairées face à des ressources financières de plus en plus limitées et la possibilité de mutualisation des services pour optimiser les dépenses.

Avec EvidenceB, nous allons implémenter un système de tutorat numérique qui adapte l’enseignement des maths et du français aux compétences de chaque élève.

L’un des principales missions de la région concerne les établissements d’enseignement. Comment s’y inscrit l’action de votre DSI ?

En tant que DSI de la Région Île-de-France, j’ai piloté la deuxième phase de notre transformation numérique éducative, après avoir solidement établi les bases nécessaires telles que le Wi-Fi et la connexion à très haut débit dans les 470 lycées. Dans le cadre de la réforme du Bac, nous avons réévalué notre stratégie d’acquisition de manuels, soulignant l’importance de préparer les lycéens à un monde numérisé.

L’enjeu était d’équiper nos élèves d’outils numériques adéquats, d’où l’achat d’une flotte de 500 000 PC avec Unowhy. Face à la complexité des interfaces des manuels numériques, nous avons encouragé le développement d’une plateforme de ressources plus cohérente, comme Pearltrees, favorisant une approche modulaire pour les enseignants.

Avec EvidenceB, nous allons implémenter un système de tutorat numérique qui adapte l’enseignement des maths et du français aux compétences de chaque élève, offrant une approche personnalisée et une évaluation précise des progrès.

La prochaine étape consiste à enrichir les compétences des agents et à préparer l’avenir, notamment par des collaborations avec Index et Pronote pour optimiser les emplois du temps et influencer positivement la gestion des lycées.

Nous équipons aussi le personnel des lycées de PC portables, augmentant leur mobilité et la résilience de l’établissement. Parallèlement, nous centralisons la gestion numérique en externalisant les services et en créant une « tour de contrôle numérique » pour une gestion plus réactive.

Le travail avec les enseignants pour transitionner vers les solutions cloud est en cours, avec l’objectif de transformer les salles informatiques en espaces équipés de machines virtuelles, pour un usage plus adapté à nos temps modernes.

Propos recueillis par Thierry Derouet / Photos : Maÿlis Devaux


Comment réconcilier le citoyen avec l’innovation

Pour Bernard Giry, l’innovation transcende la simple mise en œuvre de nouvelles technologies. Elle est le moteur d’une amélioration continue des capacités à délivrer un service public de qualité. Cela signifie non seulement suivre les dernières avancées technologiques, mais aussi les intégrer de manière à rendre les services plus rapides, efficaces et économiquement viables. L’innovation est également synonyme d’immédiateté, inspirée par le modèle de services comme Chronopost ou Amazon, où le suivi en temps réel et la transparence sont devenus des standards attendus par tous. Dans l’administration publique, cela se traduit par le besoin de fournir aux citoyens une visibilité claire et constante sur l’état de leurs interactions avec le service public, des demandes de subventions aux procédures administratives. L’engagement de la Région Île-de-France dans cette révolution numérique est un engagement vers une innovation sensée, loin d’être un gadget, en réponse à l’exigence de clarté des citoyens. L’objectif est clair : offrir un service public aussi transparent et réactif que le meilleur des services clients du secteur privé, en fournissant des informations précises en temps réel, ou en s’engageant à obtenir et communiquer l’information dès que possible.



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