Entretien avec Christophe Fanichet, Directeur général adjoint Numérique du Groupe SNCF

Gouvernance

« Tous les jours, cinq millions de voyageurs ont besoin de nos données en temps réel »

Par Thierry Derouet, publié le 14 avril 2023

Avec l’ambition de doubler l’activité ferroviaire d’ici 10 à 15 ans, la SNCF continue sa mue. Drones, jumeaux numériques, BIM, intelligence artificielle, IoT, data lakes, cloud, apps, start-up… sont désormais les outils numériques orchestrés au quotidien par cet ingénieur passionné qui n’a peur ni de bousculer ses équipes, ni de casser les codes.


Entretien avec Christophe Fanichet Président-directeur général de SNCF Voyageurs et directeur général adjoint Numérique du Groupe SNCF


Comment pouvons-nous présenter le groupe SNCF ?

Le groupe SNCF regroupe Geodis, Keolis, SNCF Réseau, SNCF Gares & Connexions, Rail Logistics Europe, le fret SNCF et SNCF Voyageurs. C’est au total 270 000 collaborateurs dont environ 200 000 sont présents en France, une centaine de métiers… Pour la partie la plus connue des Français, le ferroviaire, c’est 15 000 trains qui circulent tous les jours avec cinq millions de voyageurs à leur bord. Ajoutez à cela une centaine de trains de fret ferroviaire avec lesquels sont acheminés aussi bien des marchandises, des voitures que des conteneurs.

Nous sommes une entreprise de services, mais notre premier métier est cependant industriel, nous ne l’oublions pas. Nous posons par exemple des voies, de la signalisation… Notre métier de gestionnaire du réseau ferroviaire, c’est 50 000 collaborateurs à temps plein, 28 000 kilomètres de lignes à entretenir.

Que pèse le numérique dans un groupe comme la SNCF ?

Transversalement, le numérique représente environ 2 Md€ de budget par an. Ce sont à peu près 4 500 collaborateurs qui ne travaillent que dans le numérique avec des ingénieurs, des techniciens, des data scientists… Cela aboutit à plus de 2 000 applications, 350 grands projets, des milliers de serveurs…
Le numérique est en fait partout. Par exemple, tout le long de nos voies, nous avons 20 000 kilomètres de fibre optique maillés sur l’ensemble du territoire. L’un de nos objectifs est notamment de commercialiser une offre de services d’ultra haut débit numérique par une filiale de SNCF Réseau, Terralpha. Celle-ci nous aide à « éclairer » plusieurs endroits du territoire, en particulier avec de la 5G.

Nous avons demandé à l’ensemble de nos dirigeants comme de nos managers de se former au numérique par l’intermédiaire de modules d’e-learning

Quel est votre plus gros chantier ?

Le sujet auquel je tiens particulièrement est la formation des managers comme de nos dirigeants avec un programme : « Label dirigeant numérique ». Ce n’est pas parce que nous sommes une entreprise industrielle et de services que le numérique est dans sa bulle. Il est au service de la stratégie de notre groupe qui vise à doubler la part du ferroviaire dans les 10 à 15 prochaines années.
La difficulté avec les projets numériques se résume par cette même phrase que nous avons tous entendue : « C’est toujours en retard, ça coûte toujours trop cher, il n’y a pas les fonctionnalités dont j’ai besoin. »

Ce n’est pas toujours faux ?

J’ai l’habitude de dire que les professionnels du numérique doivent être associés avec leurs utilisateurs. Nous avons encore trop souvent une technique de guichet au sein duquel il y a la maîtrise d’ouvrage, la maîtrise d’oeuvre et ceux qui essayent de mettre le tout en musique…

Nous avons demandé à l’ensemble de nos dirigeants comme de nos managers de se former au numérique par l’intermédiaire de modules d’e-learning. Cela représente une trentaine d’heures avec, à la clé, remis à ce jour auprès de 3 000 d’entre eux, un diplôme confirmant qu’ils sont désormais formés sur des sujets tels que l’investissement, la conduite de projets, l’IoT, la cybersécurité, la sobriété énergétique…

Mon autre sujet a été de nous atteler à concevoir nos applications autrement, en associant au sein d’un même plateau le « build » et le « run ». Enfin, nous avons un énorme chantier, avec notre centaine de métiers, à savoir le décommissionnement d’applications.

La dette technique est à ce point lourde au sein de la SNCF ?

Elle est essentiellement liée à notre ancienneté. Sans oublier un travers naturel : nous aimons bien sédimenter, en passant du temps sur les nouvelles applications, en oubliant de décommissionner les anciennes…

Comme nous avons un « legacy » conséquent, nous avons nommé deux personnes, au sein de la direction numérique, chargées de garantir le décommissionnement. C’est un chantier permanent. Nous avions encore des applications sur Siebel CRM ! La réduction de la dette technique consiste aussi à savoir faire évoluer les versions. Un autre sujet, tout aussi permanent.

Des travaux sont menés dans les gares pour mieux guider les voyageurs et leur éviter de se retrouver dans une situation de stress.

Revenons un instant sur ce qui a été sous les feux de l’actualité il y a encore quelques mois, votre application SNCF Connect…

SNCF Connect, c’est l’actif stratégique de SNCF Voyageurs pour rester le leader de la mobilité, et même de toutes les mobilités. Pour celle des Français, la colonne vertébrale doit être ferroviaire. Après, vous pouvez rejoindre une gare en voiture, en vélo, à pied. SNCF Connect entend vous accompagner de bout en bout.

J’ai d’abord donné un coup d’arrêt à cette habitude que nous avions de développer une application pour chaque besoin supplémentaire. Pas une journée ne passait sans qu’une équipe ne me propose une nouvelle application pour répondre légitimement à une nouvelle question. Mais au bout du compte, quand vous regardiez votre smartphone, vous aviez deux pages d’applis SNCF.

Donc la décision stratégique a été de n’en avoir qu’une seule.

La seconde décision a consisté à la réaliser en interne. Cela a pris 21 mois de développement et a mobilisé 300 spécialistes numériques.

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C’est une application qui a dû être d’une grande complexité ?

SNCF Connect, c’est la vitrine de tout ce que SNCF Voyageurs vend et du fonctionnement même de notre groupe. Quand vous évoquez un retard de train, cela concerne tout d’abord l’une de nos sociétés, le gestionnaire du réseau ferroviaire SNCF Réseau, qui en a fixé l’horaire. Ce n’est donc pas le rôle du transporteur SNCF Voyageurs. Mais pour la vitrine et le voyageur, ce qui compte, c’est de disposer d’une information unique et fiable.

Le véritable défi, pendant ces 21 mois, a été de faire fonctionner cette application indifféremment sur iOS, Android ou sur le Web. Pour y arriver, nous avons utilisé Flutter, un framework multiplateforme conçu par Google, afin de nous éviter de développer chaque version avec les technologies propres à chaque plateforme.

N’oublions pas que nous gérons d’énormes volumes : SNCF Connect compte 16 à 17 millions d’utilisateurs uniques tous les mois, avec une moyenne de 2,5 millions chaque jour !

Nous avons aussi l’un des plus gros volumes de données en temps réel. Avec une particularité : tous nos clients sont physiquement chez nous. Chez EDF, vous avez un très gros volume de clients, mais ils ne sont pas sur leurs sites. À la SNCF, ils sont dans nos gares, dans nos trains, en relation directe avec nos collaborateurs. L’application vient les informer en temps réel, tout comme nos collaborateurs qui renseignent les autres voyageurs. Et elle doit fonctionner dans toutes nos gares, sur toutes nos bornes.

SNCF Connect compte 16 à 17 millions d’utilisateurs uniques tous les mois, avec une moyenne de 2,5 millions chaque jour ! Nous avons l’un des plus gros volumes de données en temps réel. “

SNCF Connect, c’est 19 équipes qui ont codé simultanément, 9 000 mises en production, 170 fonctionnalités qui sont aussi bien sur le site que sur les applis. Et cela représente plus de 4 000 récits utilisateurs, vous savez les fameux personae pour faire en sorte qu’il ne manque rien dans notre dispositif.

Cela n’a pas été le cas au début ?

C’est vrai. Mais cette appli, aujourd’hui, après des défauts de jeunesse que je reconnais volontiers, est en évolution permanente. De nouvelles fonctionnalités y sont continuellement ajoutées. Récemment, nous avons implémenté par exemple le support d’Apple Pay, ou encore la composition de votre train…

Un point qui a fait particulièrement parler de lui est le fait que SNCF Connect vous demande juste « où vous allez ? », et pas nécessairement « d’où vous partez ? ». Tout simplement parce que nous savons où vous êtes situé. Et l’application combine ensuite tous les moyens de mobilité pour vous emmener à destination, en vous proposant le parcours à pied puis en métro jusqu’à la bonne gare, pour prendre ensuite le bon train du quotidien ou longue distance.

Si l’on parle de business aujourd’hui, en moyenne, avec l’application SNCF Connect, nous vendons pour un demi-milliard d’euros de billets tous les mois. Cela fait un “petit” volume !

D’où l’investissement dès lors justifié, mais dont certains ont cru bon d’en critiquer le coût ?

Absolument, l’investissement est à mettre en regard des près de 14 Md€ de chiffre d’affaires du transporteur SNCF Voyageurs. Et puis, cette application a une particularité, elle doit s’adapter au volume des requêtes générées par nos clients. Certains jours de très forte demande, nous vendons jusqu’à trois billets TGV par seconde !

Quelles sont les grandes difficultés de cette refonte ?

Elles sont de plusieurs natures. D’abord, il s’agit de faire face à de la volumétrie et de l’instantanéité. Ce sont des sujets qui, pour nous, sont extrêmement importants, avec la question du dimensionnement des serveurs par exemple. Nous avons basculé SNCF Connect dans le cloud pour une seule et unique raison : être à l’échelle en permanence. Quand les ventes de billets pour les fêtes de fin d’année sont ouvertes le 5 octobre, vous avez besoin de la pleine puissance, pas d’un régime moyen ! Donc oui, nous sommes dans le cloud pour servir l’ensemble des fonctionnalités de SNCF Connect.

Oui, nous sommes aujourd’hui dans le cloud pour servir l’ensemble des fonctionnalités de SNCF Connect.

Ensuite, nous veillons également à tous les sujets liés à la sécurité. N’oublions pas qu’au bout, vous avez des briques de paiement.

Enfin, il y a des sujets comme celui de l’interface homme-machine. Il a fallu complètement la rénover pour servir indifféremment les courts comme les longs parcours, pour le paiement, pour l’information en temps réel… L’ergonomie est essentielle. Nous y avons travaillé aussi bien avec les associations d’utilisateurs de trains qu’avec nos voyageurs. C’est un défi !

Le tout, bêta testé par combien de personnes ?

Au début, plus de 4 000 personnes ont bêta-testé l’application, par grands segments. Aujourd’hui, nous impliquons en permanence 5 000 clients, tout en gardant la communauté que nous avions constituée pour le développement de SNCF Connect.

Avec une roadmap sur combien de mois ?

C’est sans fin. Nous allons par exemple prochainement connecter une brique fonctionnelle avec Airweb pour vendre les tickets des bus des principales métropoles. Rappelons-le, SNCF Connect est notre application unique afin que vous n’ayez plus à vous poser la moindre question pour prendre le train, le métro, le bus…

Le numérique, dans un groupe comme le vôtre, concerne aussi l’entretien des rails pour opérer, par exemple, de la maintenance prédictive ?

C’est le cœur de notre numérique industriel. Nous effectuons de la maintenance aussi bien préventive que prédictive. Pour cela, par exemple, une rame dénommée Iris sillonne l’ensemble de nos voies, et plus particulièrement nos lignes à grande vitesse, afin de capter des téraoctets de données. Celles-ci nous aident notamment à surveiller la géométrie de nos voies et à indiquer à nos équipes où et comment intervenir.

Avant cette rame Iris, la maintenance était basée sur des référentiels ?

À l’origine, la maintenance était beaucoup plus simple. Le cheminot, par définition, est l’homme qui chemine le long des voies pour prendre des mesures. À l’époque, les personnels étaient équipés d’appareils pour mesurer la géométrie de la voie. Pas de laser en ces temps-là. Ils avaient aussi des instruments pour mesurer la température du rail.

Tout ça, le numérique nous permet de l’automatiser. Cet été, avec des températures parfois très élevées, nos capteurs ont indiqué comment abaisser automatiquement la vitesse de nos trains. L’étape d’après est de réaliser des jumeaux numériques de nos voies les plus complexes, comme celles de la gare du Nord, qui est la première gare d’Europe avec plus de 900 000 voyageurs par jour. Elle est désormais entièrement numérisée, afin que tous les ingénieurs de SNCF Réseau puissent organiser les travaux nécessaires.

La sécurité des données est, pour nous, un élément extrêmement important. La sécurité des données est aussi celle des voyageurs ! N’oublions pas que nous sommes une cible potentielle.

Avec, j’imagine, de gros enjeux sur les données ?

Vous ne pouvez pas faire de maintenance prédictive si vous n’avez pas de data. Par exemple, pour un RER, la maintenance prédictive demande à disposer de données sur le moteur qui ferme la porte, sur le compresseur de la climatisation… Plus de 1 200 ingénieurs à la direction du matériel travaillent sur de tels sujets grâce aux milliers de capteurs déployés sur nos trains.

Il y a 20 ans, pour un mètre de train, nous avions dix mètres de câbles. Aujourd’hui, pour ce même mètre de train, vous en avez 20 kilomètres ! Tout est archiconnecté.

Les données, regroupées dans plusieurs data lakes, nous alertent et nous font progresser dans l’efficacité de la maintenance de nos trains. Notre objectif, c’est qu’à l’horizon 2030 à 2035, nous n’ayons plus aucune panne fatale en ligne. Sur ce sujet-là, nous brevetons des algorithmes grâce à une équipe de 80 data scientists dont l’objectif est de transformer la data en information. Mais, chez nous, il reste toujours un être humain qui, sur la base des données collectées, prend la décision de faire rentrer un train à l’atelier plus tôt, d’aller inspecter un aiguillage…

Vous exploitez au quotidien une grande diversité de technologies ?

Oui. Par exemple, nous allons bénéficier de la 5G à très haut débit pour la déployer sur nos technicentres afin d’opérer notre maintenance dans les meilleures conditions. Nous recourons également à des drones, car lorsque vous gérez 30 000 kilomètres de voies et des milliers d’ouvrages d’art, tout n’est pas facilement accessible. La vidéo est aussi l’un de nos sujets, pour nos voies comme pour nos gares, afin de mesurer les flux, pour par exemple réaliser un plan de transport.
Le numérique sert aussi à collecter des retours d’expérience pour décaler si besoin certains horaires afin d’éviter des congestions dans les gares ou les trains. Il nous faut également préparer les Jeux olympiques. Un bagage abandonné est pour nous une catastrophe, nous sommes obligés de tout arrêter, d’évacuer la gare… Ici encore, vidéo et 5G sont sollicitées. Et sur les sujets cyber, nous travaillons avec l’Anssi et les autorités… Nous gardons à l’esprit que notre organisme est d’importance vitale, nous avons donc un certain nombre de règles et de contraintes.

La sécurité des voyageurs est plus importante que celle des données ?

Non, les deux vont ensemble. La sécurité des données est, pour nous, un élément extrêmement important. La sécurité des données est aussi celle des voyageurs ! N’oublions pas que nous sommes une cible potentielle. Comment d’ailleurs ne pas l’être quand vous déplacez cinq millions de Français tous les jours ? Mais aujourd’hui, sur ce sujet, il faut rester humble. C’est vraiment ma préoccupation majeure. La cybersécurité est pour notre entreprise un sujet non négociable. Parfois, dans les périodes d’inflation, nous examinons nos budgets. Nous pouvons ralentir des projets, en différer d’autres, mais s’il y a un budget qui reste sacralisé, et même augmenté tous les ans, c’est bien celui de la cybersécurité.


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Un autre sujet d’actualité, ce sont les évolutions tarifaires de vos services. Un sujet également numérique, n’est-ce pas ?

Dans les années 70, trois niveaux de tarifs étaient définis, le bleu, le blanc ou le rouge, suivant les périodes de l’année. Si vous voyagiez en semaine, le week-end, c’était bleu ou blanc. Et rouge sur les périodes très chargées. Le yield management – ou le revenue management – c’est le caractère dynamique de ce tarif « bleu blanc rouge ». L’objectif est simple : permettre à tous les Français de voyager. Alors dans toutes les périodes creuses, comme un mardi en plein mois de mars par exemple, nous pratiquons des tarifs très attractifs afin de remplir nos rames. Cela permet d’ailleurs à pas mal de Français de les utiliser, alors que si le prix était le même pour tout le monde…

Sur certains trajets, c’est entre 30 et plus de 300 euros parfois. Une sacrée élasticité…

Tout dépend des lignes. Dans les quelque 15 000 trains que nous faisons circuler quotidiennement, il y en a 6 500 en Île-de-France, notamment des RER. Ils déplacent 3,4 millions de voyageurs. Pour nos 8 000 TER, c’est plus de 1,1 million d’autres clients. Il reste ensuite entre 500 et 700 trains, des TGV et des Intercités. Pour autant, les 14 500 RER et TER font à peu près le même chiffre d’affaires que les 700 TVG et Intercités. Même pour l’électricité, ces 14 500 trains consomment à peu près autant d’énergie électrique que les 700 autres. Car le TGV a beau être sobre, il va très vite et très loin.

L’objectif est de trouver le meilleur rapport prix/destination pour permettre tout simplement à tous les Français de voyager.

Donc le yield management, ce sont des classes de tarifs, au nombre de dix à douze. Tout dépend du jour, de l’heure et du lieu de votre déplacement. L’objectif est de trouver le meilleur rapport prix/ destination pour permettre tout simplement à tous les Français de voyager. J’ai souvent l’habitude de dire que le « yield » est un peu le Robin des Bois des tarifs du TGV. Parmi les voyageurs qui trouvent leur billet trop cher, nous avons les clients qui semblent se rendre compte le 15 décembre que le Réveillon de Noël est dans moins de dix jours ! En revanche, ceux qui savent dès le 5 octobre que Noël tombe le 25 décembre sont sur le site et trouvent des billets à 25 €, quand les clients qui vont réserver au dernier moment paieront entre 110 € et 115 €. Notre objectif est assez simple : que les trains soient les plus remplis possible pour que le plus grand nombre de clients puisse voyager. C’est une phase de tuning assez fine pour que le tarif garantisse d’avoir toujours de la place, et ce jusqu’au dernier moment. Mais surtout pour proposer des tout petits prix à l’ensemble des Français.

Parlons des gares maintenant. Que revêt le terme de gare connectée ?

C’est la gare 2.0 ou 3.0. Nous disposons aujourd’hui de gares connectées. L’ensemble du BIM et des outils, du tableau d’affichage à l’escalator en passant par les appareils de sécurité ferroviaire, tout est maintenant sous contrôle. Cela nous permet d’intervenir en avance de phase. Dans notre jargon, nous disons que nous avons 3 000 gares. Pas 3 000 grandes gares ! Nous proposons aussi des points d’arrêt qui ont juste un écran numérique. Celui-là, nous avons absolument besoin de savoir s’il fonctionne, s’ils donne la bonne information. Il n’y a qu’avec le numérique que nous pouvons savoir si cet écran est fonctionnel.

Et aujourd’hui vos 3 000 gares disposent d’un BIM ?

Nos 3 000 gares sont toutes connectées, mais seules les grandes gares font l’objet d’un BIM, pour des raisons évidentes de coûts. Elles font partie de notre dispositif Smart Station. Précédemment, j’évoquais la gare du Nord, avec des dizaines et des dizaines d’escalators, des ascenseurs, des tableaux d’affichage, des sonorisations, des bornes Wi-Fi – dans toutes les gares en France, vous avez le Wi-Fi gratuit. Le BIM, c’est pour nous absolument indispensable. Nous sommes propriétaires des gares et nous nous devons d’avoir une gestion patrimoniale.

L’accessibilité est-elle aussi un sujet pour le numérique ?

Tous nos matériels roulants sont aux normes d’accessibilité. Et de plus en plus, nos applications nous permettent de la renforcer. Vous avez la possibilité si nécessaire d’être accompagné dès le parvis de la gare et dans l’ensemble du bâtiment. Nous avons par exemple des projets pour aider aux déplacements dans nos stations. Nous considérons souvent que, sur les grandes lignes, beaucoup de Français ne prennent le TGV qu’une à deux fois par an maximum. Aller dans une gare, cela peut donc constituer un stress. Des travaux sont actuellement conduits pour les aider au moyen d’un guidage indoor. Ce que nous voyons actuellement dans les grandes surfaces existe aussi dans nos gares, pour connaître l’emplacement de la voiture numéro 4 ou, quand je prends un train du quotidien, savoir que la première voiture est pleine et que j’ai plutôt intérêt à me positionner en fin de quai. Cela, nous le réalisons avec de l’intelligence artificielle.

Le TGV M promet de réduire de 20 % la consommation énergétique et d’améliorer le bilan carbone de 37 % par rapport aux rames actuelles. Il pourra embarquer 740 passagers (contre 634 aujourd’hui).
97 % des matériaux qui le composent sont recyclables.

Finalement, comment allez-vous faire pour doubler la part du ferroviaire ?

On parle beaucoup du TGV, mais il ne représente que 10% de notre activité. Certes, c’est la partie la plus visible pour nos leaders d’opinion. Mais, dans leur quotidien, les Français connaissent mieux le RER ou le TER. Et d’ailleurs les trains du quotidien sont sans doute encore aujourd’hui les plus innovants et les plus à jour en matière de technologies. Sur le sujet de la maintenance prédictive, par exemple, les TER ou les Transiliens sont plutôt en avance sur le TGV. Mais un cap va être franchi avec le TGV M [5e génération des TGV, NDLR] que nous commencerons à exploiter en 2024.

Si je regarde les trente dernières années, nous avons d’abord élaboré le réseau TGV pour interconnecter les grandes métropoles françaises. Nous avons développé le ferroviaire en Île-de-France, mais il manque encore pour chacune des grandes métropoles – et le président de la République l’a rappelé – ce que l’on nomme non pas un RER, mais un Réseau Express Métropolitain. C’est le principe de la fréquence qu’il faut reprendre. Nous avons d’ailleurs inauguré le premier REME, pour Réseau Express Métropolitain Européen, début décembre à Strasbourg. Son objectif est de garantir aux citoyens de la métropole du Grand Est un train au quart d’heure, à la demi-heure, et qui fonctionne jusque tard le soir. Dix grandes villes sont concernées. Ce sont d’abord des aménagements d’infrastructures, parce qu’il faut des transversales. Si vous analysez des villes comme Bordeaux ou Toulouse, il faut pouvoir les traverser. Aujourd’hui, nous sommes plutôt sur des principes dits centrés. Avec les RER A, B, C, D, E, nous avons diamétralisé la Capitale. Les dix métropoles dont nous parlons doivent, demain, être diamétralisées, pouvoir être traversées par des voies ferrées. Et une fois l’infrastructure réalisée, il faut acquérir le matériel roulant. Globalement, le coût estimé de ces projets est de l’ordre de 1 Md€ par réseau pour réaliser ces REM dans chacune des grandes métropoles.

Donc un investissement de 10 Md€ ?

Oui, c’est un investissement de 10 Md€. Ce que nous n’avons pas évoqué depuis le début de cet entretien, c’est que le train est quand même le mode le plus écologique. C’est zéro émission de gaz à effet de serre, là où presque tous les autres modes, et en particulier la voiture, sont extrêmement carbonés. Il sera très difficile de faire aussi bien que le train, même avec la voiture électrique, parce qu’une voiture, c’est individuel. Le train, ce sont des centaines de voyageurs. Donc oui, c’est aussi de l’écologie.

Les trains du quotidien sont aujourd’hui les plus innovants et les plus à jour en matière de technologies. Sur le sujet de la maintenance prédictive, par exemple, les ter ou les transiliens sont plutôt en avance sur le TGV.

Nous posons souvent la question : « Combien ça coûte ? ». Moi j’aime rappeler qu’il faut calculer les externalités négatives du transport. En France, les gaz à effet de serre, pour 30 % d’entre eux, sont liés au transport. Le train en représente 0,3 % pour déplacer 10 % des voyageurs français. Alors certes, il reste encore des trains diesel en circulation. Mais l’innovation va nous permettre de recourir à de l’hydrogène ou à des trains à « batteries ». Une innovation qui va solliciter toutes les technologies du moment.

Enfin, le TGV M, le TGV du futur, va nous apporter une grande modularité. Aujourd’hui, un TGV est composé de huit voitures. Vous avez dans l’ensemble quatre voitures de seconde, trois voitures de première et un wagon-bar. Demain, nous disposerons de TGV à la carte avec dix voitures, dix voitures de seconde, des TGV avec un bar, trois premières et un local à vélo, etc. Un principe modulaire qui s’adaptera en fonction des périodes de l’année. En plein mois de mars, nous aurons des TGV avec sept voitures par souci d’économie. Les matériaux employés pour la conception de ce TGV M seront réutilisables pour 97 % d’entre eux. Il s’agira d’un train 20 % plus économe en énergie et 100 % connecté de bout en bout. Il préfigure vraiment le train de demain.

Le train, c’est donc l’avenir ?

Oui, le train est vraiment notre avenir. Et je fais appel à tous les jeunes qui veulent travailler dans le numérique : la SNCF est l’endroit idéal pour faire du numérique au service de la transition écologique. Notre groupe propose des parcours exceptionnels, aussi bien pour les techniciens que pour les ingénieurs. C’est le mariage entre le numérique et l’écologie.

Propos recueillis par Thierry Derouet / Photos : Maÿlis Devaux


« Notre entreprise, on le sait peu, innove et dépose des demandes de brevets »


Vous êtes aussi le fondateur de 574 Invest. Pourquoi 574 ?

C’est effectivement moi qui ai créé le fonds d’investissement de l’entreprise. 574 se réfère au record mondial de vitesse du TGV, qui est précisément de 574,8 km/h. Ce fonds de 160 M€ a pour objectif d’investir dans des start-up. 574 Invest, c’est surtout pour avoir un accès à l’innovation et ouvrir un grand groupe comme le nôtre, pour ne pas rester repliés sur nous-mêmes en matière de R&D, et regarder vers l’extérieur. C’est permettre aussi à des start-up un accès à des data complètement ouvertes.

J’ai souvent l’habitude de dire que le groupe SNCF est un magnifique terrain de jeu pour la data. Altametris est l’exemple type de l’une des start-up que nous avons fait émerger dans le groupe. C’est depuis, chez nous, la filiale responsable du pilotage de drones, pour que SNCF Réseau puisse garder un oeil sur l’ensemble de ses ouvrages d’art. Mais aussi pour nous accompagner sur la question du BIM comme des jumeaux numériques. Notre entreprise, on le sait peu, dépose des demandes de brevets. Nous innovons beaucoup. Et dans un monde complètement ouvert, nous brevetons pour protéger nos savoirfaire. Par exemple dans le domaine électrique, pour savoir comment, au freinage de nos trains, nous pouvons renvoyer de l’énergie électrique dans la caténaire pour consommer moins.


« Grâce à la data, l’écoconduite nous fait économiser de 7 à 12 % d’énergie électrique »


Comment le numérique vous aide-t-il à consommer moins d’énergie ?

Pour nos 15 000 trains, nous sommes le premier consommateur d’énergie électrique industrielle. Cela représente de 1 à 2 % de la consommation électrique française. Ma préoccupation du moment est de savoir comment mon entreprise se met à la diète pour la réduire de 10 %. C’est à tous les niveaux. C’est dans nos bâtiments industriels et tertiaires. C’est aussi pour nos technicentres au sein desquels nous révisons l’ensemble de nos matériaux. Mais c’est surtout pour la traction de nos trains. Et là, le numérique et nos data nous aident grandement à réduire la consommation électrique, suivant le principe de l’écoconduite. Grâce à elle, selon les trajets, nous arrivons à économiser entre 7 et 12 % d’énergie électrique. Nous ne ralentissons pas les trains. Seulement, en fonction de la configuration de la voie, « on va tirer plus ou moins sur la motrice », comme on dit dans le jargon des conducteurs. Nous utilisons ainsi le profil de la voie pour exploiter les descentes. Aujourd’hui, 12 000 de nos conducteurs sont formés à cette écoconduite.

Vous sert-il également pour optimiser l’achat de l’électricité ?

Tout à fait. Au sein de SNCF Voyageurs, il y a une société qui s’appelle SNCF Energie et qui achète l’énergie électrique. Cette société est fondamentale pour nous. Prospectivement, nous faisons des deals pour acheter du photovoltaïque, de l’éolien ou du nucléaire. Mais tous les jours, nous avons besoin d’acheter, comme de vendre, au prix du « spot », en fonction de la météo ou de notre plan de transport.
Tous les jours, il n’y a pas exactement 15 000 trains qui circulent, du fait de travaux, de demandes supplémentaires… Donc, cette société s’appuie sur un ensemble de données internes comme externes. Et grâce à des algorithmes, elle est très performante pour faire du trading d’électricité.

PARCOURS DE CHRISTOPHE FANICHET

Depuis janvier 2020 :
Président directeur général de SNCF Voyageurs et directeur général adjoint Numérique du groupe SNCF

Depuis janvier 2019 :
Fondateur de 574 Invest

2014 à 2017 :
Directeur général de la communication groupe

2010 à 2014 :
Directeur des trains Intercités

2008 à 2010 :
Directeur de la stratégie de la SNCF

Avant 2008 :
Ministère des Finances,
Pricewaterhouse Coopers,
Ministère de la Défense

FORMATION

– Diplômé de l’ESIE A en 1992

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