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Et si l’IA provoquait une hallucination collective ?

Par Thierry Derouet, publié le 06 décembre 2023

Depuis septembre dernier, les études sur l’intelligence artificielle se succèdent à un rythme soutenu. Ces rapports traduisent un intérêt sans précédent, mais peinent à proposer des actions concrètes au-delà de l’adoption et du passage à la caisse. La question du retour sur investissement (ROI) de l’IA demeure souvent en suspens, soulignant un fossé entre l’enthousiasme suscité et les bénéfices économiques tangibles à en retirer. Explications.

Rien de moins, rien de plus : « De 2700 à 4400 milliards de dollars apportés par an à l’économie mondiale. » La promesse de la création de valeur grâce à l’IA promet monts et merveilles. Mais n’oublions pas qu’à chaque ruée vers l’or, le grand gagnant est toujours celui qui vend les pelles et les pioches. Et cette année, en prenant indirectement la main sur Open AI, Microsoft a vu sa valorisation boursière littéralement augmenter de plus de 1000 milliards de dollars, soit moitié moins que nVidia avec la vente de ses cartes spécialisées qui lui n’a vu la valeur de ses actifs ne s’apprécier que de 500 milliards! De quoi donner le tournis!

Mais qu’en sera-t-il pour les entreprises utilisatrices ? C’est la question à laquelle tout DSI est confronté depuis ces derniers mois. C’est à cette question que nos fournisseurs de solutions essayent d’apporter des réponses.

Car la question n’est plus de savoir si l’adoption de l’intelligence artificielle est inévitable, mais plutôt de déterminer quand et comment elle aura lieu. L’IA, au cœur de nombreux rapports, est désormais une nécessité et non plus une simple option. C’est ce qu’affirme une étude d’IBM. 77 % des dirigeants français ont soit déjà implémenté l’IA générative, soit prévoient de le faire dans l’année à venir. Cette statistique donne à penser que ceux qui ont déjà pris des mesures sont considérés sur un pied d’égalité avec ceux qui ont simplement l’intention d’agir. Ce n’est donc pas une option.

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Une pression presque insoutenable

Pour saisir le contexte, l’étude d’IBM ne cible pas le grand public, mais 1 600 hauts dirigeants sous forte pression pour adopter l’IA. Peu se disent insensibles à son potentiel. La pression vient aussi bien de l’extérieur de l’entreprise — concurrents, consommateurs — que de l’intérieur : employés, conseil d’administration, investisseurs. Cette dynamique rend la résistance à l’IA peu probable.

IA et ROI : Un investissement rarement calibré

En matière de finances, l’IA sait faire grimper les chiffres. L’Université d’Édimbourg, avec un brin d’ironie comptable, note que la formation de GPT-3 a coûté un modeste 4,6 millions de dollars. Quant au modèle PaLM et ses 540 milliards de paramètres, il a seulement engendré une facture de 8 millions de dollars.

Pour créer un modèle de langage à grande échelle (LLM) la recette semble connue et suggère de disposer :

– D’un service de recherche et de développement;

La phase initiale de recherche pour comprendre et développer de nouvelles architectures de réseau de neurones peut nécessiter des investissements significatifs en temps et en ressources humaines.

– D’une très grande quantité de données;

La collecte, le nettoyage, et éventuellement l’achat de données pour entraîner le modèle peut être coûteux. Les grandes entreprises peuvent également investir dans la création de datasets propriétaires.

– D’une puissance de calcul phénoménale pour faire bouillir la marmite;

L’entraînement de modèles de langage avancés nécessite une puissance de calcul considérable, souvent fournie par des GPU ou des TPU haut de gamme.

– D’un zeste d’infrastructure;

Les coûts d’infrastructure comprennent non seulement le matériel, mais aussi les logiciels et les plateformes nécessaires à la gestion de grandes quantités de données et au fonctionnement efficace des modèles.

– De grandes quantités d’énergie;

La consommation d’énergie pour faire fonctionner le matériel de calcul pendant l’entraînement est également un facteur de coût.

– D’équipes opérationnelles;

Des équipes multidisciplinaires composées de chercheurs, d’ingénieurs en machine Learning, de développeurs de logiciels, et d’autres spécialistes sont nécessaires, et leurs salaires représentent une part significative des coûts.

– D’une pincée de tests et de déploiements;

Après l’entraînement, le modèle doit être testé et éventuellement ajusté, ce qui peut nécessiter des cycles d’entraînement supplémentaires.

– D’une bonne maintenance et de mises à jour;

Une fois déployés, ces modèles nécessitent une surveillance continue, des mises à jour et parfois un réentraînement.

– Et enfin d’un soupçon d’éthique et de conformité.

S’assurer que le modèle répond aux normes éthiques et réglementaires peut également nécessiter des investissements en matière de gouvernance et de contrôle.

À l’autre extrémité, y passer suggère pour bon nombre de C-Levels de s’en tenir à souscrire à une offre chez l’un des éditeurs où l’IA est désormais activable en option. Du coup, 30 euros le supplément par utilisateur et par mois pour profiter d’un « copilote » semblerait presque la solution la plus raisonnable.

Seulement la volonté de modernisation et d’amélioration de l’efficacité opérationnelle exprimée dans l’étude d’IBM par 40 % des répondants en utilisant l’IA pour « automatiser les processus courants et permettre aux employés d’effectuer des tâches à plus forte valeur ajoutée tout en contribuant à favoriser l’innovation » nécessite une autre voie bien plus complexe à évaluer. En effet, cette route est bien plus sinueuse qu’il n’y paraît, surtout si l’on compte sur la technologie pour « améliorer l’expérience client (38 %) et redéployer la main-d’œuvre (36 %) ». Il s’agira donc de naviguer avec précision dans ce labyrinthe d’intentions et de promesses.

ROI d’accord mais régulation et formation à l’IA avant

Les attentes vis-à-vis des dirigeants politiques pour réguler l’IA sont également élevées, avec 39 % des dirigeants prévoyant de collaborer étroitement avec eux sur cette question. Parallèlement, l’accent est mis sur la formation, 92 % des dirigeants affirmant prendre des mesures pour s’assurer de posséder les compétences adéquates en IA au sein de leur organisation.

 79 % des entreprises françaises augmentent leurs budgets pour l’IA vs un ROI

Dans cette recherche de la recette miracle, chacun entend démontrer qu’il dispose de la bonne marmite. Selon l’étude « Generative AI Pulse » de Dell Technologies, réalisée par Morning Consult auprès de décideurs informatiques en France, Allemagne, Grande-Bretagne et États-Unis, « 46 % des entreprises auraient adopté des solutions d’IA générative en local (on-premise), 21 % dans le cloud et 33 % en modèle hybride ». Avec la certitude d’un retour à bonnes fortunes dans les 12 mois : 56 % des personnes interrogées estiment que des résultats significatifs devraient se concrétiser dans les 12 mois. Du quick Win? Au point où « 79 % des entreprises françaises augmentent leurs budgets informatiques pour soutenir davantage de projets dans le domaine de l’IA. » Si ça, ce n’est pas une bonne nouvelle! L’IA « quoiqu’il en coute? »

Un IA roi, mais le ROI d’abord!

Nos dirigeants auraient-ils perdu le Nord ou seraient-ils suffisamment prudents pour ne pas se laisser aveugler? Toujours selon l’étude de Dell Technologies, lorsque 20 % estiment que le principal atout de l’IA est l’augmentation de la productivité, que 16 % vantent ses bénéfices compétitifs et que 16 % envisagent une rationalisation des processus d’entreprise, il y a de quoi être optimiste. Car quand seuls « 12 % des répondants citent la réduction des coûts comme le principal avantage attendu », c’est qu’à priori ils ont de réels cas d’usage en tête. Le défi pour un DSI est d’aligner ces aspirations avec les besoins métiers. Il s’agit d’une quête de bon sens qui anime nos décideurs. Mais une certitude demeure : nos DSI continueront de parcourir des rapports élogieux sur des solutions d’IA générative ou autres. L’enjeu maintenant est de demander des preuves tangibles de leur valeur pour l’entreprise! L’IA roi, mais le ROI d’abord!

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* En partenariat avec Censuswide, IBM a interrogé 1633 décideurs de haut niveau autrement dit les CEO (Chief Executive Officer), CFO (Chief Financial Officer), CTO (Chief Technology Officer), COO (Chief Operating Officer), CMO (Chief Marketing Officer), CCO (Chief Compliance Officer), CSO (Chief Security Officer), CPO (Chief People Officer), CLO (Chief Legal Officer), CBO (Chief Business Officer), CDO (Chief Diversity Officer), CPO (Chief Product Officer), (Chief Experience Officer) et autres CIO (Chief Information Officer) dans des entreprises de plus de 500 employés au Royaume-Uni, en France, en Espagne, en Allemagne, en Italie et en Suède, en septembre 2023. Cela représentait un minimum de 250 personnes interrogées par marché avec au moins 100 personnes interrogées dans chaque marché au niveau C-suite et provenant de plus de 15 industries et secteurs différents tels que la finance, la santé, la fabrication, la vente au détail, les télécommunications et les services publics.

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