Gouvernance

Isabelle Fraine (Google Cloud) : « Je détesterais que l’on me dise que j’ai eu mon job parce que je suis une femme »

Par Thierry Derouet, publié le 22 mai 2024

Rencontrer Isabelle Fraine, c’est découvrir une dirigeante à la croisée des chemins entre technologie, innovation et diversité. Directrice de Google Cloud France, elle incarne une vision résolument tournée vers l’avenir, guidant ses équipes et ses clients dans un paysage technologique en constante évolution. (Cet article fait partie d’une série à venir sur « Ces femmes qui font l’IT »)

Isabelle Fraine n’a pas son pareil pour aller droit au but. Interrogée sur les trois priorités actuelles d’un DSI en matière de cloud – FinOps, sécurité et Green IT – elle répond avec une clarté et une assurance qui la caractérisent.

Toutefois, Isabelle n’en oublie pas pour autant les utilisateurs des services des DSI lorsqu’on évoque l’IA générative : « J’adore, par exemple, la génération de campagnes marketing de Carrefour. Étant donné que je ne suis pas ingénieur, tout ce qui se fait en langage naturel me fascine. Pouvoir, par exemple, demander une campagne pour promouvoir un nouveau camembert, ciblant une population spécifique, et obtenir des messages adaptés pour la radio, la télé, LinkedIn et X, c’est incroyable. Même les images et les vidéos générées sont impressionnantes. Si j’étais marketeur et créatif aujourd’hui, je trouverais cet outil extraordinaire. »

Et d’évoquer, avec passion et détails, les innovations présentées par Google lors de Google Next.

Mais pour Isabelle Fraine, l’étape indispensable est l’appropriation de la technologie par les équipes : « Elles doivent comprendre ce que cela va leur apporter dans leur quotidien. Comment cela va leur faciliter la vie et les débarrasser des tâches à faible valeur ajoutée ? Et si cela représente un réel gain de productivité. »

Être manager et passionnée par l’humain, la clé ?

Rien ne prédestinait Isabelle Fraine à une telle carrière. Son parcours est un exemple de détermination et d’adaptation. Elle a débuté dans l’aéronautique, au sein d’une entreprise vendant des petits avions de tourisme et d’affaires, avant de se tourner vers l’informatique chez Sequent. Son aventure chez IBM commence après l’acquisition d’Informix, où elle travaillait. « Passer d’une petite entreprise à une structure de 10 000 personnes n’était pas facile, mais IBM créait de nouvelles entités et les opportunités étaient nombreuses », raconte-t-elle. En 18 ans chez IBM, changeant de poste tous les deux à trois ans, elle y découvre une passion pour le management.

« Si l’on m’avait prédit quand j’avais 20 ans que j’allais faire ma carrière dans une boite de la Tech pendant que je préparais ma maitrise de Russe, j’aurais bien rigolé ! »

Isabelle Fraine

Après IBM, Isabelle rejoint Dell, où elle est impressionnée par la personnalité de Michael Dell : « Michael est incroyablement modeste et très axé sur les clients. J’ai beaucoup appris sur le solution selling et la gestion des équipes. » Elle a dirigé toute la partie infrastructure en France avant de se voir proposer un rôle chez Google Cloud.

Quand Google l’a approchée pour diriger l’entité cloud en France, Isabelle n’a pas hésité longtemps. « C’est comme devenir Mbappé au PSG, » dit-elle avec enthousiasme. Elle reconnaît avoir été attirée par les principes de diversité et d’inclusion que Google prône, ainsi que par l’aventure de travailler à nouveau dans une entreprise challenger. « Nous sommes au début d’une révolution, comme celle d’Internet dans les années 90, mais beaucoup plus rapide, » explique-t-elle.

La diversité, un enjeu fondamental

Isabelle est par ailleurs passionnée par la diversité, les questions du handicap et l’inclusion. « La diversité doit être vue sous tous ses aspects, y compris culturel et générationnel, pour enrichir les équipes et améliorer les performances globales, » affirme-t-elle. Elle déplore le manque de femmes dans les écoles d’ingénieurs et plaide pour une plus grande représentation des femmes dans les métiers techniques. « Nous devons encourager plus de jeunes femmes à s’orienter vers les carrières technologiques, » dit-elle.

Des projets concrets et impactants

Pour Isabelle Fraine, l’IA générative est une révolution en cours qui ne ralentira pas de sitôt : « L’innovation est là, et nous sommes très contents qu’il y ait ces challenges. » Même si Google a choisi de développer ses propres technologies plutôt que de s’appuyer sur des partenaires comme Microsoft avec OpenAI, Isabelle est à l’aise avec cette idée : « Cela me va très bien et c’est même plutôt sain. »

Selon Isabelle, Google se distingue par des projets concrets et impactants, et elle y trouve une énergie unique : « Par rapport à ce que j’ai pu vivre auparavant, je vois que Google a une capacité à se réinventer et à innover constamment. La mentalité de Google repose sur cette dynamique. Chacun est libre de consacrer 20 % de son temps à un autre sujet que son domaine de prédilection, ce qui permet de créer des poches d’innovation, de créativité et de productivité au sein de l’entreprise. Ce côté adaptable et flexible n’est pas évident à l’échelle d’une grande entreprise. »

Ne pas confondre rapidité et précipitation

Si l’IA générative a suscité une certaine forme de scepticisme, certains craignant d’être ubérisés par leurs concurrents, pour Isabelle Fraine, nous avons passé cette étape : « Nous n’en sommes plus là. » Selon elle, les entreprises ont désormais saisi le potentiel de l’IA générative et cherchent activement à l’exploiter.

Toutefois, elle insiste sur la nécessité de ne pas confondre rapidité et précipitation. Avec un préalable : « Il faut être réaliste et comprendre l’importance de former en interne, massivement. Il y a également un besoin d’accompagnement métier. »

Rien n’est jamais gagné d’avance

Pour autant, elle reconnaît que rien n’est gagné d’avance : « Il est crucial de commencer par cette phase d’acculturation au plus haut niveau. Les membres d’un comité de direction qui ne sont pas des ingénieurs ou des experts en informatique doivent comprendre ce qu’est l’IA, à quoi elle peut servir et comment elle peut être utilisée dans l’entreprise ? »

Et de constater la puissance qu’un collectif peut former : « Lorsque nous faisons participer les équipes de nos clients, elles viennent de toutes les entités et fonctions, y compris les RH et le marketing. Je suis bluffée par l’imagination des équipes de Valeo, qui ont trouvé par eux-mêmes les cas d’usage qui leur correspondaient le mieux ».

« Le fait d’avoir de la compétition et d’être challengée me convient parfaitement. Nous croyons fermement au multicloud plutôt qu’au monocloud », affirme Isabelle. Elle observe un changement significatif dans le discours autour de l’IA générative dans les Comex et les réunions qu’elle a eues depuis son arrivée chez Google Cloud en septembre dernier : « Les discussions ont évolué vers des sujets concrets et des projets qui se déploient à grande échelle. Il y a un véritable passage de l’exploration théorique à la mise en œuvre pratique de solutions d’IA générative, avec des cas concrets et de la mise en production. »

Mais Isabelle Fraine n’a pas que la tête dans le cloud, elle a surtout les deux pieds sur terre. Elle n’oublie ni l’humain, ni de marteler ce qui est essentiel : « Si les jeux de données ne sont pas les plus précis possibles, les résultats seront médiocres, car l’IA ne traite que les données qui lui sont fournies. Et là où cela se complexifie, c’est quand on va vouloir mixer avec Gemini toute la partie des données non structurées avec de la vidéo, de l’audio… » Elle résume facilement ce qu’est au fond son quotidien : « Nous sommes là pour accompagner nos clients avec nos partenaires sur le déploiement de cas concrets pour faciliter la vie. » Quoi d’autre ?


5 questions posées à Isabelle Fraine

1. Quelle est la qualité professionnelle que vous appréciez le plus ?

L’honnêteté,  professionnelle, intellectuelle, commerciale et bien sûr personnelle

2. Quel est le défaut que vous trouvez le plus rédhibitoire dans le milieu professionnel ?

En plus de la malhonnêteté, la fermeture, d’esprit ou technologique

3. Quel est votre plus grand accomplissement professionnel ?

Il est forcément encore à venir ! 

4. Quelle est votre plus grande ambition dans votre carrière ?

Qu’à terme, la diversité et l’inclusion ne soient plus un sujet, ni dans les entreprises ni dans la société.

5. Quel conseil donneriez-vous à un jeune professionnel entrant dans votre secteur ?

N’ayez peur de rien, ni de personne. Formez vous. Eclatez-vous (ok, ça fait 3 conseils 🙂 )

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