Gouvernance

Kyndryl quatre ans après : indépendance assumée, infogérance reconfigurée

Par Thierry Derouet, publié le 02 septembre 2025

La Défense, milieu d’après-midi. Quatre ans après la scission, Jérôme Calmelet, président de Kyndryl France, revendique une trajectoire d’exécution : une entreprise de services indépendante d’un constructeur, des alliances élargies, et une infogérance qui se pratique autrement, par co-création et modules de sous pilotage du client.

La Défense, milieu d’après-midi : retour d’étape chez Kyndryl. Dans ses bureaux de La Défense, Jérôme Calmelet, président de Kyndryl France, ne projette pas des promesses : il déroule des faits. « Les dépenses IT restent en croissance, accélérées par les hyperscalers et le SaaS », pose-t-il. Les DSI, observe-t-il, « arbitrent, déplacent les lignes de budget et de responsabilité ». Sur l’IA, il insiste : loin d’un épouvantail pour les services managés, elle est « dans notre ADN dès la création de Kyndryl ». Quant à la séparation d’IBM, il revendique le choix : « Dans un modèle très hybride, avoir une entreprise de services indépendante d’un constructeur, c’est le bon modèle. Kyndryl l’a prouvé. »

Un plan France d’exécution, pas de vitrine

Le dirigeant rappelle le cadre posé à Choose France : une feuille de route en France, des recrutements ciblés (cloud, data, IA), un digital hub à Sophia-Antipolis et l’évolution des centres de données opérés dans l’Hexagone pour rapprocher l’IA des données clients. Pourquoi Sophia-Antipolis ? « Trois raisons », déroule-t-il : des équipes déjà à Nice ; une technopole alignée avec l’ouverture agnostique de Kyndryl — « SAP y fait de la R&D IA et sécurité, Fortinet y est présent » ; et un vivier étudiant nourri par des partenariats, jusqu’au parrainage de la promotion Eurecom « à deux pas » du centre. L’idée, résume-t-il, est d’attirer les talents, de travailler au contact des partenaires et de dessiner des offres au plus près des environnements des clients.

Bridge : de la réaction à l’anticipation

Côté opérations, la colonne vertébrale s’appelle Kyndryl Bridge. « Dès la création, nous avons intégré l’IA dans nos opérations : automatisation de tâches, détection accélérée, implémentation rapide. Lors de la crise CrowdStrike, Bridge nous a permis d’injecter les patchs et de redémarrer rapidement les serveurs », explique-t-il. La suite est engagée : « Nous investissons des dizaines de millions d’euros pour y intégrer de l’IA agentique. » Les effets, assure-t-il, se mesurent : « Depuis la création de Kyndryl, plusieurs centaines de millions de dollars d’économies et –40 % d’incidents. En France, en un an, notre Net Promoter Score a augmenté de 19 points. » Mais il rappelle la condition : « Mettre de l’IA sur quelque chose qui n’est pas modernisé, on n’en obtient pas les bénéfices. D’où nos projets data governance / data platform. » Et d’enfoncer le clou : « Dans l’informatique, on a été réactif, puis proactif. Maintenant, il faut être prédictif. »

« Infogérance » : le mot change, le métier demeure

La sémantique a bougé, constate le dirigeant : « Le mot d’infogérance est souvent quasiment plus utilisé. Nous sommes dans des modèles agiles de co-création. » Concrètement, deux cadres coexistent sous contrôle du client. D’un côté, des périmètres stabilisés « qu’il peut confier de bout en bout » et qu’il benchmark. De l’autre, des blocs SaaS/hyperscalers encore évolutifs, « où l’on externalise des activités ou des tâches, mais sous contrôle du client ». La modularité est bidirectionnelle : « Nous avons des contrats où le client manage nos personnels dans ses locaux. À l’inverse, Kyndryl est responsable du service sur un domaine donné, avec des acteurs clients qui exécutent certaines tâches. »

Jérôme Calmelet : « Nous investissons des dizaines de millions d’euros pour y intégrer de l’IA agentique. »
Jérôme Calmelet : « Nous investissons des dizaines de millions d’euros pour y intégrer de l’IA agentique. »

Sur la souveraineté, il recadre : « Le sujet est souvent malhabilement utilisé : il y a la partie technique — la cyber — et il y a la dépendance économique. C’est un autre aspect. Kyndryl est une société de services : nous ne fournissons pas de clouds ; nous avons donc des alliances avec les hyperscalers et des fournisseurs en France. »

Ce qui accélère : résilience, réseau, workplace… et des profils « double culture »

Le mix d’activité évolue d’une maison très ops-centric vers un équilibre où Kyndryl Consult pèse davantage : « 90 % de managed services et 10 % de projet/intégration à la naissance ; nous visons 60/40 en 2–3 ans, et Consult s’est largement accéléré — les clients apprécient que si nous transformons, nous sachions ensuite exploiter. » Les practices qui tirent le marché français sont identifiées : cybersécurité & résilience — « Nous opérons 12 centres de données en France et aidons à la protection, au redémarrage, aux coffres-forts de données. C’est une forte croissance, amenée aussi par DORA. » —, la practice réseau (intégration + managed services) et un Digital Workplace qui décolle à l’heure de Copilot). Sans oublier bien évidemment la data, l’IA et le cloud !

Côté talents, la logique est celle de l’orchestration : « 45–50 apprentis en France. Beaucoup de jeunes veulent rejoindre les services — sécurité, data, IA — parce qu’on n’est pas uniquement dans du pur SaaS. » Le legacy, précise-t-il, n’est pas un repoussoir mais un chantier de modernisation : « Notre métier n’est pas de développer des produits, mais d’orchestrer les briques pour en tirer parti — cela irrigue formation et certifications. »

Secteur public et ETI : des priorités concrètes

Le secteur public reste modeste aujourd’hui, mais clairement priorisé, explique le dirigeant : « Nous avions d’abord un objectif de redressement financier : cela fait quatre trimestres que Kyndryl est bénéficiaire. Au dernier trimestre fiscal, nous affichons notre première croissance sur un an. La feuille de route est claire : continuer à croître avec nos clients historiques, nos clients régionaux, et accélérer sur le secteur public. »

Sur le terrain, l’offre se matérialise pour les ETI : « Un DSI d’ETI ne peut pas toujours avoir une équipe sécurité capable de tout faire. Nous pouvons fournir, entre guillemets, un “patron de la sécurité” as a service 2–3 jours/semaine, avec un service 24/7 pour le sécuriser. Mon message aux DSI : continuer à les écouter et anticiper leurs problématiques. »

2028 : faire les deux… autrement

En revanche, la manière change : « Dans les zones SaaS/hyperscalers, les modèles ne sont pas stabilisés : d’où la co-création agile et l’externalisation modulaire sous contrôle du client. ». À l’horizon, pas de faux dilemme, insiste-t-il : « On continuera à faire les deux. Il y a des environnements de long terme qu’il faut opérer en toute sécurité ; et avec notre division conseil des projets de modernisation. L’an dernier, nous avons étendu une grande partie de nos contrats sur plusieurs années. »


À LIRE AUSSI :

Dans l'actualité

Verified by MonsterInsights