DOSSIERS

Les faux avis de consommateurs, un business juteux !

Par La rédaction, publié le 26 juin 2013

Qu’il s’agisse d’améliorer l’image d’une marque ou de la dénigrer, publier de fausses appréciations est une pratique courante. Mais les internautes se méfient… et les amendes coûtent cher.

Patatras. Le groupe hôtelier Accor vient de mettre à pied le directeur de la communication de son entité australienne. Motif ? Il s’est aperçu que l’homme publiait depuis 2006 de faux avis sur Tripadvisor dans le but de dénigrer ses concurrents. Embarras comparable chez Samsung à Taiwan. La FairTrade Commission (l’autorité locale de la concurrence) menace de condamner l’industriel à 25 millions de dollars taiwanais d’amende (650 000 euros environ) parce qu’il avait demandé à des étudiants locaux de brocarder les téléphones du rival HTC sur leurs comptes Facebook.

Piteux, le constructeur pris en faute a annoncé qu’il renonçait officiellement à toute activité marketing basée sur la publication de commentaires anonymes. Pour deux cas révélés au grand jour, combien passent encore inaperçus ? Le recours aux faux avis pour vanter sa marque ou dénigrer celle d’un rival sur le Web est une pratique mondiale.

A l’heure du Web 2.0, les internautes font davantage confiance à l’opinion de leurs pairs qu’au discours marketing des entreprises, quel que soit le type d’achat envisagé. Avant d’acquérir un nouveau frigo ou d’inviter des amis au restaurant, un tiers d’entre eux vérifie les appréciations laissées sur les forums ou les sites d’e-commerce. Et 6 % s’informent grâce aux réseaux sociaux, selon une étude d’Econsultancy. La tentation est donc grande pour une enseigne d’enjoliver plus ou moins discrètement la réalité. Entre 2 et 6 % des avis de sites comme Hotels.com, Orbitz ou Tripadvisor seraient ainsi des faux, selon une étude réalisée par l’université Cornell en 2012.

Fans gonflés. Sites d’avis de consommateurs, mais aussi Facebook, Twitter ou même Youtube : les faussaires ont investi toutes les plates-formes disponibles. En juillet 2012, Facebook annonçait ainsi que 83 millions de ses 955 millions de comptes étaient des faux servant, entre autres, à gonfler artificiellement le stock de fans d’enseignes en mal de notoriété. C’est que multiplier les fans présente l’avantage d’améliorer le référencement d’une page par les moteurs de recherche comme Google et Bing. Plus une marque est visible sur les réseaux sociaux, plus elle gagne en visibilité sur toute la Toile.

Enfin, des prestataires marketing peu scrupuleux affichent parfois des résultats bidonnés afin d’impressionner leurs clients. C’est la mésaventure qu’a connue Orangina. L’année dernière, une partie des 300 000 fans Facebook de la boisson s’est ainsi révélée factice. Le pourcentage de faux fans avait beau être officiellement “ très faible ”, il s’agissait des comptes les plus actifs de la page. La marque a décliné toute responsabilité en interne, mais l’impact sur son image fut tel qu’elle a dû réagir et s’est engagée, notamment, à former ses collaborateurs aux enjeux des médias sociaux.

Le coût d’un faux avis élaboré par un professionnel de la communication va de un à 150 euros, selon son savoir-faire et les sites ciblés. Mais on peut faire moins cher ! De nombreux indépendants se sont lancés sur ce juteux créneau. Sur des sites de petites annonces tels que Freelancer, Fiverr voire Craigslist, l’offre comme la demande sont très explicites. Cela va du laconique : “ Nous recherchons 500 avis pour notre business. Faites-nous une offre si vous avez de l’expérience dans le domaine. Et précisez votre tarif. ” Au plus racoleur : “ Pour 5 dollars, je fournis 2 500 like Facebook américains à votre page de fans, site Web, photo ou publication. ” De fait, le métier du faux avis reste encore largement artisanal.

D’autres traitent différemment les avis positifs et négatifs sans le préciser dans leurs conditions générales d’utilisation. “ Les premiers sont publiés immédiatement, quand les seconds attendent parfois un mois avant d’être mis en ligne ”, explique Sophie Bresny. Le temps que la période des soldes ou celle des achats de Noël soit terminée, par exemple. Ce mécanisme, appelé modérations tronquées, est sanctionné par la DGCCRF.

Certains d’entre eux gèrent déjà les observations de manière à garantir au maximum leur validité. Ils s’attellent à démasquer les faussaires en mélangeant techniques automatiques et manuelles. “ Des sites tels que Tripadvisor ou Yelp surveillent, entre autres, la fréquence des publications effectuées sur chaque rubrique ”, explique Jenny Sussin, du cabinet Gartner. Si trois commentaires sur le même produit sont postés dans un court laps de temps, ils sont considérés comme douteux. “ Une autre méthode consiste à s’assurer de la cohérence des notations d’un internaute ”, explique Thierry Spencer. Un consommateur qui attribue une note de 0,5 à quatre pizzerias et une autre de 4,5 à une cinquième sera ainsi perçu comme suspect.

En plus de ces alertes en partie automatisées, les sites demandent parfois aux internautes de signaler les avis qu’ils estiment suspects. Mais prouver l’invalidité d’un commentaire n’est pas toujours facile. L’avocat Bernard Lamon, du cabinet Lamon et associés, a ainsi été sollicité un jour par un hôtelier. “ Il avait détecté de faux avis négatifs le concernant, et souhaitait les faire retirer du site Tripadvisor. ” Le professionnel avait l’intime conviction que ces appréciations provenaient d’un concurrent. Mais seul un avis contenant une information clairement mensongère a finalement pu être supprimé. “ Il critiquait un équipement que l’hôtel ne possédait pas ”, poursuit Bernard Lamon.

Faux profils recherchés. Les plates-formes de réseau social sont plutôt à la traîne par rapport aux sites d’avis dans la lutte contre les faussaires, même si Facebook dispose en interne d’une équipe chargée de détecter et de supprimer les faux profils. Les enseignes ont donc intérêt à vérifier elles-mêmes que leurs afficionados ne sont pas des faux. En effet, seuls de vrais fans et de vraies interactions sont susceptibles d’améliorer l’image de la marque.

“ En moyenne, seulement 16 % des fans d’une marque vont vraiment voir le contenu de sa page, décrypte Christine Balagué, titulaire de la chaire de recherche sur les réseaux sociaux à l’Institut Télécom Ecole de management. Il faut donc beaucoup de supporters pour espérer un minimum d’audience. ”

Il existe heureusement des moyens de s’assurer de leur authenticité. “ Grâce aux pages administrateurs de Facebook, une agence d’e-réputation peut prouver qu’elle fournit des fans qualifiés à son client ”, explique Véronique Reille-Soult. Les fans recrutés sont censés avoir des centres d’intérêt compatibles avec ceux de l’enseigne. Ceux d’un constructeur automobile seront souvent aussi fans des concurrents. Dans le même ordre d’idée, une société du nord de la France n’est pas censée compter beaucoup de fans nord-américains…

Mais si de multiples techniques de détection existent, éradiquer complètement les faux avis et les faux fans semble irréaliste. “ Nous n’empêcherons jamais le mensonge, la mauvaise foi ou le conflit d’intérêts ”, admet Thierry Spencer. Les faussaires prennent pourtant des risques, tant en termes d’e-réputation qu’au niveau financier. Aux Etats-Unis, la Federal Trade Commission (l’équivalent de l’Autorité de la concurrence) considère les faux avis comme des pratiques déloyales. “ En mars 2011, une société qui vendait des DVD a ainsi payé 150 000 dollars d’amende car elle avait recruté un prestataire de service afin qu’il simule la prise de parole de consommateurs lambda ”, raconte maître Bernard Lamon. Problème : la fraude avait généré 5 millions de dollars de ventes… Pas sûr que la pénalité suffise à la dissuader de recommencer…

La décision d’acheter se prend plus tôt

Dorénavant, le moment clé d’un processus d’achat se joue entre la naissance de l’envie (après avoir vu une publicité, par exemple) et avant son examen en ligne ou en magasin. La décision intervient au cours de la recherche d’informations sur les qualités du produit qu’elle se fasse en ligne ou sur les réseaux sociaux. Ce que Google nomme le Zero moment of truth (i.e. le moment de vérité zéro).

Comment les cyberenquêteurs traquent les faussaires

Pour démasquer les pratiques illégales, 25 spécialistes travaillent au sein du service des enquêtes de la DGCCRF. Ils procèdent à une veille permanente et reçoivent aussi des réclamations de consommateurs ou de professionnels. S’ils soupçonnent l’existence de faux avis ou de faux fans, ils peuvent se rendre au siège de la société pour vérification. Depuis fin 2010, ils ont contrôlé 172 sociétés et en ont verbalisé 17. L’article L-121-1 du code de la consommation réprime en effet les pratiques commerciales trompeuses.

Les peines encourues s’élèvent à 187 500 euros pour une personne morale et à 37 500 euros et deux ans de prison pour une personne physique. La DGCCRF propose un montant pour une transaction. Celui-ci est ensuite validé par le procureur de la République qui l’augmente ou l’atténue. Il décide en fonction de la taille du site Web, du nombre de faux avis et de la manière dont la fraude a été mise en place (industrielle ou plus artisanale).

Dans la plupart des cas, il ne s’agit pas d’un procès public : la procédure est rapide, le nom du fautif et le montant de la sanction demeurent confidentiels. La plus grosse amende jamais infligée jusqu’à aujourd’hui se monte à 50 000 euros. Objectif : dissuader le coupable de recommencer et non nuire à son image. Mais certains juristes regrettent l’absence de poursuites judiciaires et de répercussions médiatiques. “ Les actions de la DGCCRF perdent l’aspect pédagogique qu’aurait une décision de justice ”, estime l’avocat Bernard Lamon du cabinet Lamon, & associés.

La France en pointe dans la lutte contre les faux avis

Une norme Afnor pour s’assurer au maximum de la validité des avis de consommateur sera publiée le 5 juillet. Elle encadre à la fois la collecte, la modération et la restitution des commentaires et a pour objectif principal de lutter contre les faux avis de consommateurs. “ Nous voulons créer de la confiance sur internet tout en préservant l’espace de liberté qu’est internet ” explique Raphael Colas, président de la commission « avis de consommateurs » de l’Afnor.

La future norme imposera par exemple que l’auteur soit identifiable par le gestionnaire du site, même si les commentaires anonymes seront toujours possibles publiquement. Fournir un numéro de téléphone ou un email sera donc nécessaire au moment de l’inscription. Le tri des avis par dates, notes mais aussi par existence ou absence de preuve d’achat sera obligatoire.

Des preuves d’achat seront donc demandées, même si leur absence n’empêchera pas la publication des commentaires. Niveau modération, “ une maîtrise du langage suffisante sera exigée pour les équipes de modérateur ” explique Raphael Colas. A moyen terme, “ la norme française aura vocation à devenir une norme ISO internationale ” anticipe Thierry Spencer, vice-président marketing de Testntrust. Aucun équivalent n’existe ailleurs pour l’instant.

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