Gouvernance

Liberté, Égalité… Traçabilité ?

Par Mathieu Flecher, publié le 26 mai 2020

J’ai craqué. Je m’étais promis de ne pas écrire d’article pendant la période de crise Covid-19. J’ai tenu un mois. Je sors de ma réserve car je ne suis pas fier de ce qui se passe. Pas fier de voir que, dans un moment de crise sanitaire sans précédent, notre pays se complaît dans ses vieux démons.

J’illustre : si vous avez vu Mars Attack, les extraterrestres zigouillent tout sur leur passage. Les Français se croient plus forts et parlementent, discutent, palabrent… mais se font zigouiller quand même. Emma Marcegaglia, PDG du groupe ENI, avait eu un bon mot illustrant aussi mon propos : « Quand il y a une innovation, les Américains en font un business, les Chinois la copient, les Français la règlementent ».
Et nous y sommes donc, en plein dedans. L’objet du délit ? L’application StopCovid. Plusieurs points me choquent dans la problématique StopCovid.

La première est que l’application a déjà été développée, sous une forme légèrement différente, dans d’autres pays. Mais non, en bons Français, on a décidé qu’il fallait la refaire du sol au plafond, utiliser tel ou tel protocole, etc. Je ne rentre pas dans les détails mais, une fois de plus, la caravane passe et nous sommes en train de nous crêper le chignon, nous mettre la rate au court-bouillon, entre nous, pour trouver un consensus qui, au final, ne sera pas trouvé !
Rien que l’application sur smartphone pour les autorisations de sortie, bien que tout ait été fait pour ne pas être tracé, c’est toujours un débat sans fin entre les complotistes qui continuent de faire une version papier sous prétexte de flicage si vous utilisez la version en ligne…
Ne rigolez pas ! Votre voisin de palier, votre copine sont peut-être dans ce trip-là ! Alors, imaginez une application StopCovid qui, par proximité Bluetooth de deux téléphones, peut alerter : c’est… l’antéchrist, l’inacceptable. Bon, par contre, ça ne gêne pas ces personnes de mettre le nom de leur chien en mot de passe, d’utiliser Tinder, et d’envoyer des sextos à des inconnus. Bon passons…

Dans cette même période, parlons de la deuxième chose qui me chagrine. Kim Jong-un est-il mort ou pas, finalement ? Grand spécialiste de la surveillance de son peuple, j’ai dans l’idée que l’application StopCovid ne ferait pas débat et irait même plus loin… si les Nord-Coréens avaient des smartphones.
Bon, l’exemple vous semble extrême ? Prenons la Chine alors. Grands spécialistes de la surveillance du peuple – tiens, répétition -, la Chine n’a pas tergiversé longtemps pour imposer une application similaire. En février, les Chinois découvrent une nouvelle application conçue par le gouvernement chinois et Alibaba. « L’application affiche un code-barres vert. Si l’algorithme estime que la personne s’est déplacée dans une zone à risque ou a fréquenté de trop près un porteur du nouveau coronavirus, le code vire au jaune, voire au rouge. Et son utilisateur doit se confiner », explique-t-on sur lemonde.fr le 27 avril. Finalement, un peu de dictature dans ces crises sanitaires permet à mon sens d’être beaucoup plus efficace. Soit on meurt libre du Covid-19 parce que notre gouvernement érige en dogme la liberté individuelle et la non localisation/ traçabilité de ses habitants, soit il faut accepter de vivre (un peu) avec une application de traçage. Mais, soyons sérieux, entre la Chine et la France, il doit bien exister un juste milieu acceptable, non ?

Enfin, le troisième point qui me chagrine et qui fait donc référence à la citation de la PDG d’ENI, c’est l’imbroglio avec les smartphones Apple. Ces derniers jours, Cédric Ô s’étalait dans la presse sur le sujet. Le souci résidait dans le fait que l’application StopCovid française allait utiliser le protocole Robert, imaginé par l’Inria, et non les protocoles standards fournis par Apple et Google. Mais pourquoi, sérieusement ?! Pendant ce temps-là, des gens meurent et on préfère se crêper le chignon, concevoir nos propres protocoles, et rentrer dans un bras de fer avec Apple et Google… 67 millions de Français contre le reste du monde et, surtout, contre deux géants.
David contre Goliath. « Oui, mais David, il a gagné… » Enfin, il a surtout eu une chance de dingue de viser au bon endroit. Ça n’arrive pas systématiquement. Même nos voisins allemands et autres partenaires européens se sont rendus à l’évidence qu’être efficace impliquait, oui c’est vrai, d’être peut-être un peu moins regardants sur les API Google et Apple. Bon, pour la petite blague sur StopCovid, soyez sûrs que d’autres API seront utilisées tout de même. Ironie du sort. Mais bon, admettons que l’application soit développée et fonctionne. Il y aura encore un autre débat. La notion de volontariat pour installer l’application sur nos smartphones reboucle sur les deux premiers points : les paranos et les égoïstes – qui ne le feront pas. Mais soyez sûr d’une chose, ce seront les mêmes qui organiseront ce week-end un bal improvisé à Paris dans le XVIIIème.

Liberté, Égalité, Traçabilité !

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Par Mathieu Flecher, DSI d’une entreprise industrielle française
Mathieu Flecher est le pseudonyme d’un DSI bien réel

Tribune écrite fin avril et publiée dans le numéro 2250 daté mai du magazine IT For Business.

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