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L’intelligence collective en question (2/3)

Par La rédaction, publié le 05 juin 2013

Tour d’horizon des outils qui favorisent l’intelligence collective et des questions à se poser pour évaluer le degré de maturité de votre organisation.

Comment développer l’intelligence collective de manière durable dans l’entreprise ? Cette question en conclusion de mon dernier billet mérite qu’on s’y attarde un peu.

Veille collective et veille d’experts : les deux ont leur place en entreprise

Le sujet est d’importance, car cette aptitude d’une organisation à réagir et à agir comme un seul organisme, plus intelligent que la somme des intelligences qui la compose, peut donner un réel avantage compétitif. Même si on a les moyens financiers de faire une veille technologique et commerciale poussée, de développer des programmes de R&D conséquents, on n’a plus le temps pour organiser de vastes programmes en profondeur, accélération de la société oblige. Mettre à contribution l’ensemble des employés est certes plus laborieux que lâcher la bride à un groupe restreint d’experts, mais aboutit à un résultat beaucoup plus exhaustif.

Autre avantage : c’est moins coûteux sur le long terme. Et l’un n’empêche pas l’autre : avoir des équipes de choc pour des domaines très pointus et identifiés dans la stratégie, tout en développant l’intelligence collective pour tout le reste, l’imprévu, le complexe, le diffus, le superflu à première vue. L’impact se fera sentir dans de nombreux domaines, que ce soit l’innovation, la compétitivité, le développement du business, sa rationalisation ou encore l’adaptabilité face au changements du marché et aux sursauts de la conjoncture. Le retour sur investissement est important, mais intangible au premier abord. On ne pourra le calculer qu’a posteriori.

Développer l’intelligence collective est un exercice difficile et spécifique à chaque entreprise. Selon sa culture, sa structure et ses processus, les points d’appuis et les leviers seront différents. Voici néanmoins quelques exemples de programmes qui peuvent vous aider dans cette démarche au sein de vos entreprises, et à en recueillir les fruits.

Les forums ouverts (Large Group Intervention ou LGI) :  une famille de méthodologies utilisées depuis deux décennies pour faciliter et accompagner le changement, en général en réponse à des problématiques de crise. Ce sont des interventions réunions ponctuelles, dont le nombre de participants varie de 10 à 3 000 personnes, structurées pour favoriser les débats et la cocréation. L’idée est de faire émerger les axes de la transformation par la richesse et de la diversité des discussions de discussions stratégiques. L’intérêt de ces exercices est l’alignement sur une vision, la prise de conscience de l’aspect systémique des problèmes et du fait qu’essayer de les contrôler est illusoire. Parmi les méthodes plus connues : Future Search, Open Space Technologies et Future Conference. Les Jams (exemple d’IBM) en sont une version technologique plus récente.

Big data et open data : les données sont récupérées partout dans l’organisation et au-delà, il est important que tous les salariés y aient accès et qu’ils soient formés aux techniques de recherche… d’où le terme open. L’analyse prédictive est une version programmée qui sert surtout à étudier des comportements d’achats et des profils clients. Probablement une famille d’outils dont l’appartenance à la catégorie d’intelligence collective n’est pas évidente, car la participation humaine est limitée. On pense aux données mises à disposition par les gouvernements, mais aussi par les organisations privées : Carbon Disclosure Project, Ecodesk, Wikileaks, informations sur le trafic routier, respect des horaires des trains.

L’innovation ouverte : au contraire de l’innovation propriétaire, permet à d’autres acteurs que l’inventeur de collaborer ou reprendre des créations. C’est l’open source en informatique. On pense aux applications de l’Open Invention Network, aux hackathons, ou encore aux réseaux d’innovation comme le réseau de chirurgiens SpineConnect.

Les réseaux sociaux d’entreprises et les plates-formes collaboratives : sujets largement traités sur ce site, ils permettent de s’affranchir des distances et d’impliquer le plus grand nombre dans des projets, la recherche de solutions ou de compétences, le partage des pratiques, et bien plus encore.

Le Lean : lui aussi un peu contestable en tant qu’outil d’intelligence collective car très structuré et policé, a néanmoins l’avantage de mettre chacun des intervenants dans une chaîne ou un processus à contribution pour l’améliorer. C’est la participation de chacun qui permet l’amélioration globale de la structure.

Le scenario planning : méthodologie de prospective et de planification stratégique non linéaire, au long cours, qui permet de prendre en compte les signaux faibles et d’augmenter la résilience de l’entreprise face aux sursauts de la conjoncture et du marché. Elle implique de travailler avec de nombreuses personnes dans et hors de l’organisation. Dans les années 70, Shell, qui a été l’un des premiers et plus grands utilisateurs de scenario planning, a gagné plusieurs mois dans la détection de la première crise pétrolière. Plus proche de nous, l’European Patent Office organise la réflexion sur le devenir de la propriété intellectuelle. Le scenario planning est aussi utilisé couramment à plus petite échelle.

© Cécile Demailly
Intelligence collective – développement

Si ces méthodes permettent de développer l’intelligence collective, idéalement il faudrait qu’elle devienne partie intégrante des valeurs et des pratiques de l’entreprise. Qu’elle soit un réflexe logique pour traiter ce qui sort des processus (même parfois remettre ceux-ci en question) ou une dimension du travail journalier. Pas si facile. Pour savoir quel degré d’intelligence collective a atteint votre organisation, il y a quelques qualités incontournables à évaluer. En version simplifiée :

– Les interactions dans la communauté (dans l’organisation) sont-elles riches, affranchies des limites de la structure (silos, organigramme), portent-telles sur de multiples sujets ?

– Un certain degré de chaos et d’auto-organisation est-il admis, voire encouragé, pour traiter des problèmes hors système ? Et y a-t-il de vrais problèmes donnés en pâture à l’intelligence collective ?

– L’intelligence est elle largement et équitablement répartie dans l’organisation ?

– Quel est le degré d’autonomie et d’initiative réparti dans l’entreprise en matière de décision et d’action, pour les problématiques hors système, la prospective, la transformation ?

– La mémoire de l’organisation est-elle accessible et utilisable, y compris pour les parties tacites et implicites (knowledge management) ?

– Comment l’organisation dialogue-t-elle avec ses parties prenantes externes (stakeholders) : clients, partenaires… ?

– Les personnes trouvent-elles un bénéfice personnel à participer à l’intelligence collective, s’engagent-elles naturellement, sont-elle à l’aise avec le degré de transparence et d’humilité que l’exercice suppose souvent ? Ceci, y compris le management qui doit être exemplaire, bien sûr.

Plus ces qualités sont présentes et plus l’intelligence collective de l’organisation est développée, comme on peut le visualiser dans le graphique ci-contre.

Dans le prochain billet, j’aborderai de manière plus pratique l’impact que cette intelligence collective peut avoir sur certains rôles dans l’organisation. D’ici là, n’hésitez pas à m’envoyer vos remarques et questions, ce sera un bon exercice de mise en pratique pour nous tous.

Cécile Demailly

Cécile Demailly

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