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Mistral AI lève 1,7 Md€ : ASML mène le tour et consolide l’écosystème IA européen
Par Laurent Delattre, publié le 09 septembre 2025
La rumeur courrait depuis plusieurs jours, fortifiée Lundi par les indiscrétions recueillies par Reuters. Mistral AI confirme ce matin une nouvelle levée de fonds XXL qui fait de la jeune pousse âgée de moins de deux ans la première décacorne française et la seule décacorne de l’écosystème IA européen.
Sans exagération aucune, le pari européen de l’IA a franchi ce matin un nouveau palier et affirmé un peu plus d’indépendance et souveraineté. Fondée à Paris en 2023 par Arthur Mensch, Guillaume Lample et Timothée Lacroix, Mistral AI s’est imposée en un temps record comme l’alternative européenne aux pionniers américains de l’IA générative (OpenAI, Anthropic, Google/DeepMind), avec un positionnement mêlant modèles « open-weight » et offres commerciales pour grands comptes.
Une progression fulgurante
En moins de deux ans, la start-up française a enchaîné un tour Seed de 105 M€ en juin 2023, une Series A de 385 M€ en décembre 2023 (valorisation env. 2 Md€) puis une Series B de 600 M€ en juin 2024 (valorisation env. 5,8 Md€).
Elle annonce cette semaine avoir bouclé une Série C de 1,7 Md€ qui double sa valorisation à 11,7 Md€. En deux ans, la startup est devenue décacorne et le plus grand espoir d’autonomie de l’Europe en matière d’IA et de modèles « frontière ».
On peut s’en réjouir tout en gardant la tête froide. L’écart de ressources avec les géants américains demeure considérable. Car, ses concurrents US évoluent, eux, à d’autres niveaux stratosphériques : OpenAI a récemment levé jusqu’à 40 Md$ pour 300 Md$ de valorisation et vise une opération secondaire autour de 500 Md$ dans les prochaines semaines et Anthropic vient d’annoncer une Series F de 13 Md$ qui la valorise à 183 Md$. Dit autrement, Mistral AI ne joue pas encore dans la même division mais peut au moins se targuer d’être désormais significativement mieux financée qu’une autre pépite d’outre-atlantique en vue, Cohere (valorisée à 6 milliards de dollars).
Ce tour de table n’est toutefois pas identique aux précédents pour Mistral AI. Car l’opération a été menée par le néerlandais ASML, leader mondial de la photolithographie dont dépendent tous les fabricants de puces (TSMC, Intel, Samsung, etc.). ASLM devient ainsi le premier actionnaire de Mistral AI avec environ 11 % du capital et obtient un siège au comité stratégique.
Mistral AI confirme que la levée totale de 1,7 Md€ résulte également d’une nouvelle participation de ses investisseurs historiques : DST Global, Andreessen Horowitz, Bpifrance, General Catalyst, Index, Lightspeed et Nvidia. Cette levée consacre Mistral AI comme la start-up d’IA la plus valorisée d’Europe.
Un partenaire industriel de poids
Maillon critique de la chaîne mondiale des semi-conducteurs, l’entrée d’ASML redessine les lignes de l’IA européenne et marque une alliance industrielle et technologique. Les modèles de la start-up française seront intégrés dans les outils et services d’ASML pour doper conception, métrologie, contrôle, maintenance et rendement des lignes de production. « ASML est fier d’entrer en partenariat stratégique… la collaboration vise des bénéfices clairs pour nos clients via des produits et solutions innovants dopés par l’IA », s’est ainsi réjoui Christophe Fouquet, CEO d’ASML.
De son côté, Arthur Mensch, le CEO et cofondateur de Mistral AI, assume une logique de filière : « Cet investissement rassemble deux leaders opérant dans la même chaîne de valeur… Nous avons pour ambition d’aider ASML et ses partenaires à résoudre les défis d’ingénierie présents et futurs, et, in fine, faire progresser toute la chaîne semi-conducteurs de l’IA. »
Cette convergence ancre un lien capitalistique et opérationnel entre le producteur d’équipements le plus stratégique d’Europe et le principal éditeur européen d’IA. Politiquement, le message dépasse la rhétorique de « souveraineté » : il organise une coopération concrète au sein du continent et crée des effets d’entraînement potentiels avec les industriels européens de la microélectronique et de l’automobile, de l’aéro-spatial, de l’énergie ou de la logistique. C’est aussi une réponse crédible à l’accélération américaine, au moment où OpenAI et Anthropic captent l’essentiel des capitaux et des revenus, et où les tensions transatlantiques autour des exportations de puces et accélérateurs se durcissent (notamment avec l’inquiétant amendement Gain AI Act étudié par le Sénat US).
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Amplifier la force d’impact de Mistral sur l’IA européenne
Cette levée de fonds XXL valide la stratégie de Mistral AI et va lui permettre d’intensifier sa R&D sur les modèles frontières et la mise en œuvre de plateformes IA plus efficientes.
La présence d’ASML au comité stratégique de Mistral crée un alignement d’intérêts qui sécurise la trajectoire produit et la pérennité des engagements contractuels tout en renforçant l’autonomie de la jeune pousse qui a, cet été, été convoitée par Apple.
À court terme, l’alliance devrait aussi se traduire par des modèles et services Mistral mieux « outillés » pour les cas d’usage d’ingénierie lourde : optimisation de procédés, détection d’anomalies, planification, génération assistée de code industriel, documentation technique augmentée.
Il faut aussi espérer qu’à moyen terme, le couplage avec un acteur dont l’écosystème clients couvre toute la chaîne des semi-conducteurs, pourra accélérer l’arrivée de puces IA européennes permettant à l’UE de ne plus dépendre en approvisionnement de Nvidia, AMD, Intel ou Qualcomm.
Alors, oui, bien sûr, face aux géants que sont OpenAI, Anthropic, Google, Microsoft et Meta, l’entrée d’ASML ne comble pas à elle seule le déficit d’accès au calcul, à la donnée sectorielle et aux canaux de distribution globaux de la jeune pousse française. Même si cette dernière a, jusqu’ici, su s’imposer sans en disposer. Elle installe néanmoins un centre de gravité européen crédible, susceptible d’aimanter d’autres partenaires industriels, d’élargir la base clients en Europe et de stabiliser un champion régional de l’IA au moment où les chaînes d’approvisionnement et les régimes d’export de technologies se reconfigurent.
Au final, à l’heure où tout le monde déplore la trop grande dépendance technologie de l’Europe, ce tour de table de Mistral mené par ASML tend à montrer, voire démontrer, une maturité nouvelle de l’écosystème européen : moins de dépendance exclusive aux fonds US, davantage de deals « stratégiques » intra-UE, une articulation explicite entre outils industriels et IA appliquée. Les prochains trimestres diront si cette alliance se traduit véritablement par des références phares côté clients et par une exécution à l’échelle, condition sine qua non pour exister dans une course mondiale où les valorisations outrancières d’outre-Atlantique se doublent d’un rythme d’innovation effréné. Il n’y a plus qu’à croiser les doigts… et soutenir le plus activement possible les équipes de Mistral AI.
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