

Gouvernance
Le GAIN AI Act américain peut-il vraiment priver l’Europe de GPU ?
Par Laurent Delattre, publié le 08 septembre 2025
S’il est voté, le GAIN AI Act imposerait à Nvidia et consorts une priorité nationale dans la livraison des GPU pour l’IA engendrant une pénurie artificielle à même de redistribuer les cartes de l’innovation mondiale. Une menace géopolitique venue des USA de Trump qui met une nouvelle fois l’Europe face à ses faiblesses.
Nouvelle illustration de la politique « America Only » du président Trump (après l’America First de son premier mandat), le GAIN AI Act (« Guaranteeing Access and Innovation for National Artificial Intelligence Act ») est un amendement déposé en août 2025 au Sénat américain qui entend donner un « droit de priorité » aux acheteurs US sur les GPU accélérateurs d’IA de dernière génération. Il vise à créer un régime d’export spécifique pour toutes formes de puces avancées utilisées en IA.
D’une part, il impose une obligation pour les fournisseurs (Nvidia, AMD, Intel…) de certifier un droit de préférence des acheteurs américains (“right-of-first-refusal”) avant toute exportation vers un « pays de préoccupation ». D’autre part, il définit des seuils techniques au-delà desquels l’export est soit strictement contrôlé, soit refusé.
Le GAIN AI Act formalise ainsi une ligne déjà engagée : bloquer l’accès de Pékin aux GPU les plus performants (les seuils TPP 4 800+ couvrent typiquement des puces comme H100/H200 et Blackwell B300, ou encore certaines AMD Instinct), et subordonner toute exportation au fait que la demande américaine est servie en premier.
La définition des « pays de préoccupation » vise notamment ceux sous embargo d’armement US ou hébergeant des installations militaires liées à de tels pays mais reste suffisamment floue pour inquiéter notamment les Européens aux relations plutôt tendues avec l’administration Trump.
Sur le papier, le GAIN AI Act vise directement la Chine, mais aussi la Russie et la Corée du Nord. Reste que la stratégie américaine de domination technologique, qui place la sécurité nationale et le leadership industriel au-dessus de toute autre considération, fait aussi du GAIN AI Act une menace systémique et multidimensionnelle pour les ambitions stratégiques, la souveraineté technologique et la compétitivité économique de l’Europe. Dit autrement, pour de nombreux observateurs, le GAIN AI Act n’est pas une menace abstraite et lointaine pour l’UE.
Une pénurie orchestrée en faveur des USA
L’Europe n’est pas directement visée. Mais le marché mondial des GPU, TPU et NPU dédiés à l’accélération de l’IA est dominé de manière quasi monopolistique par une poignée d’entreprises américaines, au premier rang desquelles figure Nvidia. Cette concentration du marché crée un point d’étranglement technologique. En imposant aux fabricants comme Nvidia de servir en priorité le marché américain, la loi institutionnalise une pénurie artificielle pour tous les autres acteurs mondiaux, y compris les entreprises, les centres de recherche et les universités européennes.
Et Nvidia en a bien conscience. Le géant des puces a lui-même vivement critiqué cette proposition, avertissant qu’elle « restreindrait la concurrence mondiale dans toute industrie utilisant des puces informatiques grand public ». Nvidia soutient que la loi tente de « résoudre un problème qui n’existe pas », affirmant n’avoir jamais privé ses clients américains au profit de clients étrangers. Certaines études montrent d’ailleurs que les géants américains (Microsoft, Google, AWS, Meta, xAI, Oracle Cloud) captent déjà environ 75 % de la production haut de gamme de Nvidia avant même sa mise en vente. Néanmoins, si elle est appliquée, cette politique de priorisation domestique perturbera inévitablement les chaînes d’approvisionnement mondiales et ralentira la croissance des entreprises européennes qui dépendent de manière critique de ces composants pour innover, mener des recherches et déployer de nouveaux services basés sur l’IA.
L’Europe une nouvelle fois face à sa dépendance
Si cet amendement est adopté, Washington fixerait de facto les conditions d’accès de l’Europe à l’infrastructure matérielle de l’IA, limitant un peu plus encore sa souveraineté technologique. Il aurait comme directe conséquence de freiner les plans d’AI Factories et d’AI Gigafactories annoncés cette année par la Commission Européenne.
Une nouvelle fois, la politique de Trump remet les européens face non seulement à leur trop grande dépendance aux technologies américaines mais plus encore face à son incapacité à changer cet état de fait.
À court terme, l’UE va devoir sécuriser des licences et des volumes via des achats groupés (EuroHPC, coalitions nationales) et des accords intergouvernementaux explicites avec Washington, afin d’obtenir des carve-outs pour la recherche, les PME deep-tech et les usages régaliens. L’expérience EuroHPC (JUPITER) montre que des consortiums européens bien structurés peuvent rester éligibles et livrables même dans un contexte de contrôles renforcés.
Mais il est important aussi pour l’Europe de contre-attaquer en rappelant aux américains que sans le géant technologique néerlandais ASML aucune puce américaine ne sortirait de fabrication. Trump aime le chantage… Mais l’Europe aussi a des leviers de chantage. Elle l’oublie trop facilement.
Mais au-delà d’une géopolitique à base de chantages, l’Europe doit poursuivre ses efforts sur son Chips Act. Malgré les retards et difficultés rencontrées par SiPearl pour son CPU Rea 1, cet exemple montre que l’Europe peut reconquérir son autonomie dans la création de puces de dernière génération. La riposte européenne tient au final en trois leviers : garantir des volumes et des licences à court terme, diversifier et industrialiser l’offre de calcul à moyen terme, investir dans l’efficacité et l’amont technologique à long terme. Bref, la réponse européenne doit être l’action. Sinon quoi, les effets de bord des politiques « America Only » de Donald Trump finiront par tuer toute forme d’innovation, même en Europe. Le GAIN AI Act n’est pas une menace directe mais indirecte pour l’UE qui la met, une nouvelle fois, au pied de sa trop grande dépendance et de son incapacité à affirmer sa souveraineté numérique.
À LIRE AUSSI :

À LIRE AUSSI :

À LIRE AUSSI :
