Gouvernance
L’IT ne livre pas des outils… mais bien plus !
Par Thomas Chejfec, publié le 15 décembre 2025
L’IT ne livre pas des outils. Elle fabrique des conditions de réussite.
Parole de DSI / Par Thomas Chejfec, Directeur des systèmes d’information
Il y a un malentendu persistant dans nos organisations : beaucoup pensent encore que l’IT « livre des outils », un peu comme un fournisseur déposerait un colis à la porte et disparaîtrait. On imagine qu’un logiciel, une appli mobile ou un nouvel écran suffisent à résoudre un problème métier, comme si la technologie pouvait fonctionner seule, par la seule force de sa présence.
Mais, petite prolepse, le succès en IT est profondément ingrat : l’informatique est pointée du doigt parce qu’elle ne marche pas, puis on dit qu’elle met trop de temps à livrer, et quand enfin les solutions arrivent, une brève période de grâce s’installe avant que tout le monde finalement ne considère la valeur comme évidente, presque banale – comme si cela avait toujours dû exister.
La réalité est beaucoup plus subtile, un produit digital n’est jamais seulement un produit : c’est la partie visible d’un écosystème entier. L’idée métier qui l’a inspiré, la maturité technologique qui le rend possible, l’élan d’innovation qui lui donne sa forme, ou parfois la pression concurrentielle qui accélère sa sortie – tout cela contribue à sa naissance, mais rien de cela ne garantit sa réussite.
Car ce n’est pas l’outil qui fait le résultat : ce sont les conditions dans lesquelles il est accueilli. On peut copier une technologie, un design, une fonctionnalité, mais ce qu’on ne copie pas, ce sont ces conditions de réussite qui l’entourent : l’intention stratégique, la qualité du pilotage, la progression du changement, la dynamique humaine qui transforme un livrable en véritable adoption. Et c’est justement là que se joue l’avantage compétitif durable, celui qui résiste au temps, aux modes, aux concurrents et aux belles slides.
Dans toutes les entreprises, le cycle naturel d’une solution suit un chemin immuable : idéation -> réalisation -> appropriation -> formation -> gestion du changement. On parle beaucoup des deux premiers, presque jamais des trois autres.
Pourtant, c’est dans cette partie du parcours que tout peut se gagner ou se perdre. Entre la livraison et l’usage réel, il existe un espace fragile, rempli d’habitudes anciennes, de résistances, de contraintes opérationnelles et de questionnements légitimes. Cet espace-là, s’il est mal préparé, peut engloutir n’importe quel projet, même brillant sur le papier.
Regardons ce qui se passe sur le terrain. Une application métier essentielle – qu’elle s’adresse à des livreurs, des opérateurs, des facteurs, des préparateurs logistiques ou des agents en tournée – n’est jamais adoptée parce qu’elle est « moderne », « belle » ou « cloud native ». Elle est adoptée parce qu’elle simplifie la vie de celles et ceux qui s’en servent, qu’elle réduit les irritants, qu’elle respecte les gestes métier, qu’elle tient ses promesses, et parce que le collectif autour d’elle a été préparé à s’en emparer.
Et cela ne dépend ni du langage de programmation, ni du device utilisé, ni même de la roadmap technique : cela dépend de la manière dont l’outil s’inscrit dans la culture, dans les habitudes et dans les priorités opérationnelles du moment. Certes, le manque de qualité technique de la solution peut être un facteur de non adoption (trop de bugs, trop de lenteurs). Mais elle peut être parfaite sur le plan technologique, et rester pourtant lettre morte si les conditions de son lancement n’existent pas. À l’inverse, une solution imparfaite peut devenir un succès massif si le terrain a été bien préparé, et l’utilisateur accompagné, écouté, convaincu, rassuré, formé et embarqué.
C’est pour cette raison que l’IT n’est jamais simplement un producteur d’outils ; l’IT est un fabricant de conditions. La valeur réelle d’un service numérique ne réside pas dans la vitesse de développement, ni dans le nombre de fonctionnalités, ni même dans le degré d’innovation. Elle réside dans la capacité à créer un climat où l’arrivée d’une solution devient un progrès partagé – anticipé par les managers, compris par les métiers, désiré par les utilisateurs.
Dans un monde où tout s’accélère, où les technologies se copient et se diffusent à une vitesse fulgurante, les organisations les mieux préparées ne seront pas celles qui adoptent les « meilleurs outils », mais celles qui savent fabriquer les meilleures conditions d’adoption autour de ces outils. C’est là que se joue, aujourd’hui, la différence entre un département IT qui « livre des choses » et une organisation digitale qui transforme vraiment son entreprise.
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