Green IT

Tous engagés pour le numérique responsable

Par Marie Varandat, publié le 12 août 2024

Alors que les entreprises s’efforcent de maîtriser l’empreinte environnementale de leurs activités informatiques, les défis liés à une économie circulaire en quête de solutions pérennes, au manque de transparence des opérateurs de cloud ou encore au délicat équilibre entre green IT et IT for green, soulignent toute la complexité des démarches.

Malgré les efforts réalisés de part et d’autre, force est de constater que l’empreinte environnementale du numérique ne diminue pas. La dernière enquête de l’Arcep, par exemple, interpelle sur l’augmentation de 2 % des émissions de GES (gaz à effet de serre) des principaux opérateurs télécoms français. De son côté, le Benchmark Green IT 2023 estime que 37 à 48 % du « budget soutenable » de la planète est grignoté par le numérique au bureau et que « les entreprises privées et publiques doivent diviser par un facteur 4 à 10 les impacts de leur système d’information pour que leur activité soit soutenable », selon Frédéric Bordage, co-auteur de l’étude au sein du Collectif Green IT.

Le green-by-design au service d’une économie plus durable

Mais se pourrait-il qu’on fasse fausse route en cherchant à réduire à tout prix l’empreinte environnementale du numérique ? Certes, tout effort qui profite à la planète est le bienvenu et, en matière de numérique, la marge de progression existe. Mais « réduire le numérique de manière aveugle est contre-productif », estime Patrick Duverger, directeur de la logistique et des systèmes d’information de la ville d’Antibes. « La période Covid a largement démontré que davantage de visioconférences implique moins de déplacements et génère donc moins de pollution. Il s’agit de ne plus penser l’innovation et le numérique comme des fins en soi, mais comme des outils au service de l’enjeu le plus important des décennies à venir : la transition écologique vers une croissance soutenable qui produira moins de gaz à effet de serre. »

Certes, le greenwashing n’a pas disparu et certaines entreprises pratiquent encore le numérique responsable avant tout pour soigner leur image. Mais d’autres font preuve d’une réelle conviction, considérant désormais la sobriété numérique non pas comme « une fin en soi », mais comme une discipline à intégrer systématiquement dans leurs activités. Avec un objectif : essayer de trouver le meilleur équilibre entre efficacité opérationnelle globale et réduction de l’empreinte environnementale du numérique. C’est notamment le cas d’EDF qui veille à ce que chaque décision soit évaluée en termes d’équilibre entre les bénéfices environnementaux potentiels et l’augmentation de l’empreinte environnementale que l’utilisation du numérique pourrait entraîner. « Nous nous efforçons de concilier progrès technologique et responsabilité écologique », résume Richard Bury, directeur du programme numérique responsable du groupe. Très investi, Decathlon est même prêt à prendre des risques. « Nous sommes tout à fait conscients que certains choix en faveur du numérique responsable impactent notre compétitivité sur le marché. Mais nous les assumons complètement parce que nous avons décidé de privilégier la pérennité et la responsabilité environnementale sur le gain à court terme », indique Nathalie Otte, green IT project leader du spécialiste du sport français.

Encore embryonnaire l’an dernier, cette tendance à intégrer le numérique comme un levier stratégique pour une transition écologique durable est désormais bien affirmée. Les entreprises sont même prêtes à faire plus de numérique dès lors que cette augmentation profite à la planète en réduisant l’empreinte globale de leurs activités.

La labélisation, un canevas méthodologique largement adopté

Qu’elles soient matures, convaincues ou simplement en train de s’acheter une image de bon élève, la plupart des organisations s’appuient sur le processus de labélisation, notamment par l’INR (Institut du Numérique Responsable), pour établir leur plan d’action. « Globalement, nous nous sommes basés sur sa charte pour définir nos principaux indicateurs de suivi », confirme Redouane Djelouah, directeur des formations et du campus ouest de l’école d’ingénieurs ESAIP.

De fait, en cherchant à remplir le questionnaire pour obtenir le label écoresponsable, les entreprises balaient tous les aspects de la sobriété numérique. Certaines en profitent pour créer des groupes de travail par sujet, d’autres pour définir leurs propres indicateurs, d’autres encore pour cadrer leur stratégie en fonction de leurs points forts et de leurs points faibles.

Mais cette quête de la labélisation revêt aussi d’autres enjeux, notamment dans le domaine de l’engagement, ainsi que le souligne Safia D’Ziri, directrice solutions numériques du département de Loire-Atlantique : « Notre adhésion à la charte INR est fondamentale car il s’agit d’un engagement formel qui entraîne forcément une mobilisation des équipes IT, et plus globalement des décideurs de tout le département, autour d’objectifs communs. » Idem chez EDF, première entreprise française à avoir obtenu le label INR : « Ces reconnaissances externes valident nos pratiques, renforçant ainsi sans équivoque notre réputation et notre crédibilité dans le domaine du développement durable. Parallèlement, elles servent d’accélérateur car en récompensant nos efforts, elles renforcent l’engagement interne et la fierté des équipes, tout en valorisant notre entreprise auprès des clients et partenaires », estime Richard Bury.

Pour Bérénice Geslin, cheffe de projet RSE de Zento, « le processus de labélisation
ouvre aussi l’accès à un réseau global d’entreprises certifiées partageant des valeurs similaires de durabilité et d’engagement social. Ce réseau favorise les échanges, l’apprentissage mutuel et les opportunités de collaboration entre entreprises engagées »
.

Priorité au matériel pour avoir plus d’impact

Quel que soit le degré de maturité des entreprises sur le numérique responsable, leurs premières actions portent forcément sur le matériel. La raison de cette stratégie unanime est relativement simple, ainsi que l’explique Caroline Desmaretz, directrice des solutions numériques collaborateurs à la direction des solutions et innovations numériques de Nexity : « 80 % de l’empreinte environnementale du numérique provient de la fabrication des machines, il est donc logique de s’attaquer à cette partie en priorité. Nous attendions les résultats d’un audit pour lancer des initiatives d’écoconception, et quand nous avons constaté à quel point la part du logiciel représente peu de choses comparée au matériel, nous avons préféré nous focaliser sur les équipements. Le sujet de l’écoconception n’est toutefois pas abandonné. »

Fort logiquement, la majorité des entreprises ont commencé par prolonger la durée de vie du matériel. Mais certaines vont plus loin, abandonnant la logique financière du renouvèlement systématique au profit d’un remplacement des PC et des smartphones à la carte, en fonction du besoin réel de leurs collaborateurs en termes de confort de travail, de sécurité, etc. Decathlon, par exemple, combine cette approche personnalisée à sa vision de l’écoconception : la société a « déconstruit » ses progiciels pour proposer uniquement les fonctions dont les collaborateurs ont besoin sur les postes de travail, ce qui permet au passage de conserver le matériel plus longtemps.

Cette chasse au gaspillage sur le matériel a aussi provoqué chez certains le basculement vers des terminaux légers (afin que le poste de travail soit moins tributaire des montées de versions logicielles intempestives qui entraînent de nouveaux besoins en mémoire, CPU, etc.) et l’adoption de l’hyperconvergence pour optimiser l’utilisation des ressources
serveur.

Une économie circulaire toujours à la peine

Globalement, toutes les entreprises ont aussi adopté le recyclage et le reconditionné pour réduire l’empreinte environnementale du matériel. Mais outre l’absence d’équipements reconditionnés (PC fixes ou portables, smartphones) en quantité suffisante pour couvrir les besoins des grands groupes, la plupart des entreprises se retrouvent confrontées à l’aberration des prix.

« Le matériel reconditionné est parfois même plus cher que le neuf, reconnaît Patrick Henrion, vice-président des ventes de CHG Meridian, acteur du marché du matériel d’occasion. Les raisons sont multiples. Logistique pour collecter le matériel en entreprise, nettoyage, remise à niveau, redéploiement chez le client, maintenance sur la durée… tout cela a forcément un coût et il est parfois préférable de louer son matériel sur des durées courtes, dès lors qu’il est bien dimensionné pour les besoins du moment. » Une déclaration étonnante qui n’est pas sans rappeler le lobby des acteurs du leasing : « louer plutôt qu’acheter pour être plus écologique. » En pratique, la location n’est écologique que si elle est combinée à des pratiques de reconditionnement et de recyclage efficaces, garantissant que les équipements sont utilisés de manière optimale tout au long de leur cycle de vie avant d’être recyclés ou éliminés de manière responsable. De plus, elle suppose des utilisateurs qui acceptent de travailler avec du matériel de seconde main. Or, même si les lignes bougent, la majorité se sent encore dévalorisée quand on ne lui propose pas du matériel neuf. Enfin, loué ou pas, le processus de reconditionnement du matériel reste le même. Dès lors, on a du mal à comprendre pourquoi la location serait plus vertueuse en termes économiques ou écologiques.

Patrick Henrion

Vice-président des ventes de CHG Meridian

Le matériel reconditionné est parfois plus cher que le neuf. Logistique pour collecter le matériel en entreprise, nettoyage, remise à niveau, redéploiement chez le client, maintenance sur la durée… Tout cela a un coût. »

De fait, le marché de l’économie circulaire en informatique est loin d’être mature : beaucoup d’acteurs n’ont pas encore atteint la taille critique pour répondre à la demande, et les modèles économiques et écologiques manquent souvent de transparence et de clarté. Résultat, la majorité des entreprises qui témoignent dans ce dossier ont pris le parti de créer en interne leur propre « service réparation ». Et toutes cherchent des partenaires responsables, capables de s’intégrer à leurs processus pour collecter le matériel usagé à des fins de recyclage et de reconditionnement.

Maîtriser l’empreinte du cloud, un vrai challenge

Autre difficulté, mesurer l’empreinte environnementale de son parc informatique constitue toujours un véritable défi. L’ère de la green IT est aussi une ère de la data avec toutes les problématiques qui vont avec, ainsi que le souligne Maria Lanthiez, chef de projet green IT au sein d’e.SNCF Solutions : « Nous agrégeons les données émanant de nombreuses bases pour avoir une idée précise de la quantité d’équipements commandés, utilisés, en fin de vie, etc. Nous essayons également de connaître les usages, l’objectif étant de maintenir un contrôle précis sur le statut et l’emplacement de chaque équipement dans le parc afin de faciliter les décisions stratégiques concernant leur réutilisation ou leur recyclage. Cette démarche est complexe pour deux raisons principales : elle suppose un travail important sur la donnée de type nettoyage, transformation, etc., et elle implique une collaboration étroite avec de nombreux services, dont les équipes de la direction des achats groupe et celles en charge de la gestion des équipements. »

La problématique se complexifie encore avec le cloud, ainsi que le souligne Richard Bury : « Comme beaucoup d’entreprises, nous sommes dans une dynamique de “move to cloud”. Une dynamique irréversible car l’écosystème de services proposés est impossible à reproduire en interne, ne serait-ce que pour des raisons économiques. Mais on a beaucoup de mal à savoir où nos applications sont hébergées. On vous répond en Europe. Certes, mais entre l’Allemagne ou la France, par exemple, l’empreinte n’est clairement pas la même, en raison notamment du mix énergétique décarboné de la France. Et n’oublions pas les taux de réplication : là où vous vous contentez d’un taux de 2 ou 3 en interne, les providers vont parfois jusqu’à 6 pour être sûrs de vous garantir la continuité de service. En termes de consommation de stockage, l’opération n’est pas neutre. »

Un constat loin d’être isolé. « On pensait faire partie des bons élèves de la green IT en évoluant vers le cloud, mais quelle n’a pas été notre surprise, à l’occasion d’un audit, de découvrir que nous avions trois fois plus de serveurs après la bascule, ajoute Caroline Desmaretz. Les providers ne sont pas forcément en cause, mais ils ne sont pas d’une grande aide non plus : incapables de nous expliquer cette augmentation du nombre de serveurs, ils fournissent l’empreinte environnementale de certains traitements, mais pas d’autres ; ils garantissent que leurs datacenters sont alimentés à l’énergie verte, mais ne savent pas nous donner la consommation d’eau… Bref, tout cela est très confus. Et du coup, nous sommes dans l’incapacité d’estimer de manière fiable l’empreinte environnementale de nos actifs dans le cloud. »

Avancer ensemble…

Forts de ce nouveau tour d’horizon 2024, vous l’aurez compris, le numérique responsable est loin d’être un sujet maîtrisé avec des recettes clés en main. Toutefois, bon an mal an, les entreprises évoluent. Certaines même sont très avancées. Mais ainsi que le souligne Richard Bury : « L’écosystème est globalement immature. C’est un problème. Mais c’est aussi passionnant car il faut tout inventer. Je suis convaincu que la solution est dans l’échange : les organisations doivent s’ouvrir pour partager leurs expériences et ainsi pouvoir capitaliser sur les succès des unes en évitant les écueils des autres. Cette ouverture est tellement fondamentale qu’elle est aujourd’hui la première clef du succès en numérique responsable. » Un point de vue que semblent partager toutes les entreprises qui témoignent dans ce dossier : membres de l’AGIT, de GreenIT.fr, de l’INR, etc., toutes valorisent l’apprentissage collaboratif et l’échange d’expériences pour affiner leur démarche de numérique responsable.


Les prestataires numériques sont-ils écoresponsables ?

Face au manque de transparence des fournisseurs IT, AdVaes a lancé en fin d’année dernière un baromètre des prestataires du numérique écoresponsables. Explications d’Emmanuelle Olivié-Paul, présidente-fondatrice de la société.

« On manque terriblement d’études fiables permettant de déchiffrer ce qui se passe dans l’écosystème numérique et de décrypter les performances des acteurs du marché en termes de numérique responsable. L’objectif du baromètre est précisément de proposer un état des lieux et de suivre l’évolution des indicateurs environnementaux des prestataires du numérique tout en évaluant les progrès des actions qu’ils conduisent pour réduire leurs impacts. Il peut être utile aux entreprises, mais il s’agit avant tout d’un service qui permet aux acteurs du numérique de comparer leurs performances afin de les aider à identifier les leviers sur lesquels ils peuvent travailler pour améliorer leur impact environnemental et sociétal. À terme, nous envisageons d’étendre cet outil aux entreprises car elles ont aussi besoin de pouvoir se situer par rapport aux autres afin de mieux appréhender leurs résultats en matière de numérique responsable. »

Numérique responsable. Pour sa première édition, Advaes a analysé une centaine de fournisseurs en prenant en compte sept domaines clés de l’écoresponsabilité. Au regard des résultats, force est de constater qu’ils ne sont guère plus avancés que leurs clients. Seuls 40 % ont par exemple défini des objectifs de développement durable à l’horizon 2030. Et si 71 % ont déjà réalisé un bilan carbone plus ou moins approfondi, seulement 34 % connaissent leur consommation en eau et moins de la moitié sont capables d’évaluer la masse de DEEE (déchets d’équipements électriques et électroniques) qu’ils génèrent. (Source : Advaes)


Pour sa première édition, Advaes a analysé une centaine de fournisseurs en prenant en compte sept domaines clés de l’écoresponsabilité. Au regard des résultats, force est de constater qu’ils ne sont guère plus avancés que leurs clients. Seuls 40 % ont par exemple défini des objectifs de développement durable à l’horizon 2030. Et si 71 % ont déjà réalisé un bilan carbone plus ou moins approfondi, seulement 34 % connaissent leur consommation en eau et moins de la moitié sont capables d’évaluer la masse de DEEE (déchets d’équipements électriques et électroniques) qu’ils génèrent. (Source : Advaes)


1. La ville d’Antibes adopte la sobriété numérique « à la carte »

La commune de la Côte d’Azur relève le défi de la sobriété numérique par des stratégies adaptatives, alliant technologie et écologie pour optimiser son empreinte carbone tout en améliorant l’efficacité opérationnelle.

2. Nexity s’attaque en priorité au cycle de vie du matériel IT

Interpelée par l’impact environnemental des équipements numériques, Nexity a focalisé sa stratégie numérique responsable sur la durée de vie de ses équipements. Engagée dans des initiatives de sensibilisation, de recyclage et de réparation, l’entreprise lancera prochainement des chantiers d’écoconception de ses applications.

3. EDF opte pour une approche désormais systémique, globale et certifiée

L’énergéticien a mis en place une gouvernance solide pour coordonner ses actions et évaluer chaque décision en termes d’équilibre entre bénéfices environnementaux et augmentation de l’empreinte environnementale, en prenant en compte les enjeux sécuritaires, l’expérience utilisateur et les contraintes économiques.

4. Guidée par la certification B Corp, Zento trace sa route vers l’excellence durable

L’agence digitale s’est inspirée du questionnaire de la certification B Corp pour structurer sa démarche et mettre en place une stratégie globale grâce à des groupes de travail qui couvrent tous les aspects de ses activités.

5. L’ESAIP enseigne le numérique responsable et se l’applique à elle-même

École engagée en faveur de la formation des étudiants au numérique responsable et organisation cherchant à réduire l’empreinte de ses propres activités informatiques, l’ESAIP multiplie les initiatives.

6. Le département de Loire-Atlantique déconstruit les habitudes

Engagée dans une démarche de sobriété numérique, la direction solutions numériques du département de Loire-Atlantique déploie un plan d’action multidimensionnel et pragmatique.

7. e.SNCF Solutions concentre ses efforts sur le réemploi de son matériel IT

Fabrique numérique du groupe SNCF, e.SNCF Solutions donne la priorité à la réduction de l’empreinte environnementale du matériel IT pour avoir le plus grand impact possible très rapidement. Une équipe dédiée a même été créée qui multiplie les initiatives et les partenariats.

8. Decathlon capitalise sur l’engagement individuel pour porter sa stratégie globale

Le géant du sport et des loisirs n’est pas forcément parti avant les autres. Mais grâce à des collaborateurs convaincus qui ont devancé la mise en œuvre d’une stratégie à l’échelle mondiale, le groupe fait preuve d’une maturité étonnante sur le sujet de l’innovation responsable.


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