

Gouvernance
Microsoft veut la jouer fairplay en Europe… Mais qui y croit ?
Par Laurent Delattre, publié le 05 mai 2025
Sous la pression d’une régulation européenne renforcée, d’une envie renouvelée de souveraineté numérique et d’un climat géopolitique tendu, Microsoft sort les grands moyens pour séduire l’Europe : Engagements juridiques, expansion datacenter, gouvernance européenne… L’éditeur déroule un plan musclé pour sauver son image et son business en Europe allant même jusqu’à ouvertement défier Donald Trump !
Lobbying à coup de millions de dollars, des pratiques maintes fois lourdement sanctionnées par la Commission européenne, des rapports tendus avec tous les éditeurs et opérateurs de Cloud européens… Microsoft a toujours tout fait pour imposer sa suprématie à l’Europe sans forcément le faire avec beaucoup d’éthique et de respect de la concurrence. Bien évidemment, personne ne nie pour autant les investissements importants réalisés par le groupe sur le Vieux Continent ni ses partenariats majeurs avec des institutions et des ESN.
Pour rappel, le groupe, qui célèbre cette année ses 50 ans, a réellement débuté sa conquête européenne il y a 42 ans en y lançant Word en versions localisées pour l’Allemagne et la France. Le début d’un parcours de succès et d’une forme d’emprise de l’éditeur sur le numérique européen mais aussi d’un parcours chaotique avec Windows, avec Office, avec Internet Explorer, avec Media Player, avec Windows Server, avec Teams, avec Azure autant de produits qui ont un moment ou à un autre été dans le collimateur de l’Union européenne.
Les « rapports historiquement tendus » entre Microsoft et l’Europe se sont construits sur une succession d’abus constatés, d’amendes record et de recours judiciaires. Sous la pression cumulative de plus de 2 milliards d’euros de sanctions et de réglementations toujours plus exigeantes, l’entreprise a semblé ces derniers mois vouloir afficher une volonté d’alignement stratégique avec les priorités et attentes européennes. Notamment avec des modifications rapidement apportées à Windows pour s’aligner sur la DMA ou encore un inattendu accord avec le CISPE l’été dernier, qui a finalement vu Microsoft rejoindre le groupement européen en janvier dernier.
La géopolitique inquiète Microsoft
Il est vrai que l’Europe est un marché essentiel pour Microsoft et pour tous les géants de la Tech. Or l’actuelle politique américaine et les déclarations très anti-europe du président Trump ont eu un effet « anti-US » sur le vieux continent qui a rapproché les pays et les politiques européens et fait naître une volonté renouvelée de défendre la « souveraineté numérique de l’Europe », l’écosystème des éditeurs et fournisseurs cloud européens et les solutions « made in Europe ».
Typiquement, lors du dernier Forum InCyber 2025, Max Schrems – le grand défenseur des droits européens – alertait face à la possibilité d’une coupure des services Cloud américains pour un pays européen, une hypothèse que CEO et DSI devaient désormais juger crédible. Pour lui, ce n’est clairement plus un scénario de Science-Fiction.
Des promesses pro-Europe
Et Microsoft anticipe déjà le danger de cette politique américaine qui met forcément en péril son business sur le Vieux Continent. Au point d’inciter le président de Microsoft, Brad Smith à reprendre la plume. Il s’exprime rarement. Et lorsqu’il le fait, c’est toujours pour insuffler une nouvelle direction au groupe. En l’occurrence, Microsoft – qui cherche d’abord à rassurer ses clients européens et préserver sa manne financière européenne – promet désormais de la jouer plus fairplay et de tout faire pour se conformer aux besoins européens quelles que soient les gesticulations du président américain.
Dans une Keynote donnée à Bruxelles le 30 avril dernier, il explique que « nous comprenons que les lois européennes s’appliquent à nos pratiques commerciales en Europe, tout comme les lois locales s’appliquent aux pratiques locales aux États-Unis et des lois similaires s’appliquent ailleurs dans le monde. Cela comprend le droit européen de la concurrence et la législation sur les marchés numériques, entre autres. Nous nous engageons non seulement à construire une infrastructure numérique pour l’Europe, mais aussi à respecter le rôle que jouent les lois à travers l’Europe dans la réglementation de nos produits et services. »
Confronté à la montée des tensions commerciales transatlantiques, l’éditeur promet de garantir la continuité de ses services cloud sur le Vieux Continent, même en cas d’injonction américaine contraire, et s’engage à renforcer massivement son empreinte datacenter.
« Si nécessaire, nous sommes prêts à saisir la justice », a prévenu Brad Smith. Son entreprise assure qu’elle contestera « promptement et vigoureusement » toute demande gouvernementale visant à suspendre ou fermer ses infrastructures européennes. Pour asseoir cette promesse, l’obligation figurera désormais noir sur blanc dans les contrats passés avec les gouvernements et la Commission européenne.
Cette fermeté s’accompagne d’une batterie de mesures opérationnelles. Microsoft annonce une hausse de 40 % de sa capacité cloud en Europe d’ici à 2027, via l’extension ou la création de centres de données dans 16 pays, pour dépasser la barre des 200 sites. L’investissement, chiffré à plusieurs dizaines de milliards de dollars par an, vise autant la performance que la souveraineté : les opérations dans tous les datacenters européens seront dorénavant supervisées par un conseil d’administration composé exclusivement de ressortissants européens, opérant sous droit européen.
Mieux encore, pour garantir la résilience, des copies du code source critique seront conservées dans un dépôt sécurisé en Suisse ; des partenaires locaux disposeront des droits nécessaires pour en assurer l’exploitation si Microsoft devait un jour être contrainte de couper ses services. L’éditeur nommera également un « Deputy CISO Europe » et soumettra ses engagements à un audit indépendant.
« Dans une période de volatilité géopolitique, nous nous engageons à assurer une stabilité numérique. C’est pourquoi Microsoft annonce aujourd’hui cinq engagements numériques (cf encadré) envers l’Europe. Ceux-ci commencent par une expansion de notre infrastructure cloud et d’IA en Europe, visant à permettre à chaque pays d’utiliser pleinement ces technologies pour renforcer leur compétitivité économique. Et ils incluent une promesse de maintenir la résilience numérique de l’Europe indépendamment de la volatilité géopolitique et commerciale » écrit Bard Smith dans un billet de blog censé faire date pour l’entreprise.
Entre “Coup de Comm” et bonnes intentions
Bref Microsoft ose afficher ouvertement une position qui a de quoi rendre dingue Donald Trump. D’ailleurs, aux USA, des associations de consommateurs comme Will Hild ont immédiatement fustigé « une déclaration d’amour à l’Europe » jugée bien peu patriotique.
Pas de quoi inquiéter le géant américain dont l’offensive s’étend jusque dans les prétoires. Le groupe vient de confier à Jenner & Block, cabinet réputé critique vis‑à‑vis de Donald Trump, la défense d’un dossier d’acquisition, quittant au passage Simpson Thacher & Bartlett, plus conciliant avec la Maison‑Blanche. Un changement qui cherche à souligner la volonté de disposer d’alliés juridiques prêts à affronter Washington.
Personne en Europe n’est évidemment dupe. Microsoft cherche aujourd’hui à rassurer un marché européen qui pèse plus d’un quart de son chiffre d’affaires et où les appels à l’indépendance technologique se multiplient.
Et nombreuses sont les voix en Europe à dénoncer un « coup de com’ » et à affirmer que quoi qu’en dise Brad Smith son groupe est bien incapable d’annuler le CLOUD Act ou les pressions politiques américaines. Frank Karlitschek (CEO, Nextcloud) rappelle ainsi que le Cloud Act « s’applique où que soient hébergées les données » et juge que la promesse de Microsoft « ne change rien au fond ». Michela Menting (ABI Research) dénonce du « marketing fluff » notant bien évidemment que « promettre de se battre n’est pas garantir de gagner ».
Alors que l’Europe finalise (même si elle traîne un peu) ses règlements EUCS et « Cyber Resilience Act » (CRA), beaucoup attendent déjà Microsoft au tournant et voient dans les audits qu’ils vont engendrer des premiers tests concrets pour la firme américaine.
Entre ceux qui saluent « une voix de raison » au milieu de tensions transatlantiques extrêmes, et ceux qui considèrent que « tout ceci ne sont que paroles sans fondement », Microsoft va avoir fort à faire pour se racheter une bonne conduite et concrétiser ses nouvelles promesses. Mais, avec du fair play, de la transparence et de l’ouverture, tout le monde pourrait au final y gagner. On a bien le droit de rêver…
Dans un long billet de blog, Brad Smith détaille les engagements annoncés à Bruxelles. Il revient sur les 5 nouveaux engagements numériques pour l’Europe de Microsoft :

1 – Développement de l’écosystème d’IA et de cloud en Europe
Microsoft annonce une augmentation de 40% de sa capacité de centres de données européens au cours des deux prochaines années, avec une expansion dans 16 pays européens. Entre 2023 et 2027, la capacité des centres de données européens sera plus que doublée, pour atteindre plus de 200 centres à travers le continent. Cette expansion vise à stimuler la croissance économique et la compétitivité de l’Europe, en considérant que « la diffusion large de l’IA sera l’un des moteurs les plus importants de l’innovation et de la croissance de la productivité au cours de la prochaine décennie. »
2 – Résilience numérique européenne
Microsoft s’engage à maintenir la résilience numérique de l’Europe face à l’incertitude géopolitique et commerciale à travers trois mesures concrètes : la création d’un « cloud européen pour l’Europe » supervisé par un conseil d’administration exclusivement européen, un « Engagement de Résilience Numérique » contractuel, et des partenariats de continuité des activités avec des entreprises européennes sélectionnées et identifiées.
3 – Protection des données européennes
L’entreprise réaffirme son engagement envers la protection des données européennes avec le projet “EU Data Boundary”, qui permet aux clients européens de stocker et traiter leurs données en Europe. Microsoft offre également diverses options de sécurité et de chiffrement, et s’engage à défendre juridiquement les droits des clients européens.
4 – Cybersécurité européenne
Microsoft annonce la nomination d’un Deputy CISO (Chief Information Security Officer) pour l’Europe et de nouvelles mesures pour se conformer au Cyber Resilience Act (CRA), considéré par Brad Smith comme « un nouveau standard d’excellence pour la cybersécurité, tout comme le RGPD l’a été pour la confidentialité ». L’entreprise s’engage à faire vérifier et valider ses engagements envers l’Europe par un auditeur indépendant.
5 – Compétitivité économique et open source
Microsoft s’engage à protéger et stimuler la compétitivité européenne en garantissant un accès ouvert et sans frais à sa plateforme Azure AI. Microsoft rappelle que plus de 1 800 modèles, majoritairement open source (dont Mistral AI et Hugging Face), sont disponibles via API et peuvent être déployés sur Azure, sur d’autres clouds ou sur site, avec liberté totale d’exportation des données. L’éditeur rappelle que les clients peuvent librement exporter leurs données et que les frais de transfert vers un autre fournisseur ont été supprimés en 2024 (conformément aux Lois européennes).
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