

Gouvernance
Souveraineté numérique : et si on regardait vraiment où dorment nos données ?
Par La rédaction, publié le 17 juin 2025
Entre domination américaine, risques juridiques et fragmentation des offres cloud, la bataille pour la souveraineté numérique s’intensifie en Europe, où la localisation et la gestion des données deviennent des armes stratégiques. Face à la dispersion croissante des informations entre clouds publics et infrastructures locales, la reconquête de la souveraineté passe aussi par une visibilité totale et des choix éclairés sur la gestion des données.
Par Matthias Nijs, EMEA VP, Datadobi
Depuis plusieurs années, l’Union européenne s’inquiète à juste titre de la perte progressive de sa souveraineté numérique. En 2020, le Parlement européen tirait déjà la sonnette d’alarme sensibilisant les citoyens, les entreprises et les États membres sur la perte de leur capacité à contrôler leurs données, à innover et à faire respecter la législation dans l’environnement numérique face à la domination croissante de géants du cloud américains. Qu’elle soit envisagée sous un angle politique, économique ou opérationnel, la souveraineté des données est un enjeu majeur. Au-delà de la maîtrise technique, elle est aussi une question de confiance, de résilience et de conformité. Une gouvernance intelligente et indépendante des données au niveau de chaque entreprise est donc plus que jamais essentielle pour reprendre le contrôle.
Amazon, Microsoft, Google, … ont acquis une position quasi hégémonique sur le marché européen avec leur puissance commerciale et technologique. Au cœur des enjeux politiques et économiques actuels, cette domination soulève une question majeure : qui contrôle nos données ? Sous quelle législation sont-elles soumises lorsque leur localisation échappe aux frontières européennes ? La réponse dépasse largement la sphère technique. Il ne s’agit pas simplement d’optimiser l’efficacité ou la capacité de stockage pour nos données, mais de garantir la souveraineté, la sécurité juridique, et la maîtrise stratégique de l’information. Dans un monde où la donnée est devenue le nouvel or noir pour les entreprises comme pour les États, leur localisation et leur gouvernance conditionnent la confiance des citoyens, la résilience des organisations, et la capacité de l’Europe à peser sur la scène numérique mondiale.
Certes, les hyperscalers américains ont révolutionné le paysage numérique mondial. Leur offre flexible, évolutive et puissante a permis à des milliers d’entreprises européennes d’accélérer leur transformation digitale. Mais cette réussite s’accompagne aussi d’une dépendance préoccupante, qui expose à des risques géopolitiques concrets : certaines législations étrangères peuvent contraindre les fournisseurs à divulguer des données, indépendamment de leur lieu d’hébergement effectif. Cette situation crée un vide juridique dangereux, qui fragilise la souveraineté européenne. De plus, stocker ses données en Europe n’est pas une garantie absolue : nombre de centres de données implantés sur le sol européen sont la propriété de groupes étrangers, dépendants de législations extraterritoriales, ce qui expose les entreprises européennes à des décisions politiques échappant à leur cadre national.
Face à cette réalité, plusieurs initiatives voient le jour. L’Europe développe des cadres réglementaires plus exigeants, et encourage des modèles de cloud souverain fondés sur la collaboration entre acteurs locaux. Cependant, ces alternatives peinent encore à atteindre l’échelle, la maturité et l’efficacité des solutions globales. La fragmentation du marché, les coûts élevés et la complexité opérationnelle en matière de portabilité et d’interopérabilité entre systèmes et fournisseurs constituent par exemple des freins importants. Il est également important de prendre en compte les dépendances contractuelles, souvent sous-estimées. Pour nombre d’entreprises, la transition vers un cloud entièrement souverain reste un défi de taille, d’autant que leurs engagements financiers et technologiques actuels les retiennent souvent en arrière.
Côté hyperscalers, la volonté d’adaptation est aussi plus tangible. AWS, par exemple, a récemment annoncé un investissement massif en Europe pour renforcer son offre « cloud souverain » AWS European Sovereign Cloud. Reste encore à démontrer si ces initiatives sauront répondre aux exigences croissantes de souveraineté et de contrôle plébiscitées par les entreprises européennes.
Le rôle de la gestion intelligente des données
Pour les organisations européennes confrontées à ces enjeux, il est rassurant de constater qu’il n’est nul besoin d’attendre une refonte structurelle du paysage cloud pour amorcer la reconquête de leur souveraineté numérique. Celle-ci peut être engagée dès à présent grâce à des technologies de gestion des données à la fois modernes et agnostiques vis-à-vis des fournisseurs. Ces solutions permettent d’obtenir une visibilité complète sur l’ensemble du patrimoine informationnel, quels que soient les environnements de stockage concernés, tout en appliquant des politiques uniformes et cohérentes à l’échelle de l’organisation. Une fois cette visibilité unifiée assurée, qu’il s’agisse d’environnements cloud ou sur site, les entreprises sont en mesure de prendre des décisions stratégiques en toute connaissance de cause : quelles données conserver, où les localiser, et comment en garantir la sécurité de manière optimale.
La visibilité constitue en effet le point de départ incontournable. Car sans une connaissance précise des données détenues, de leur localisation et de leurs flux, l’entreprise agit à l’aveugle. Cet impératif prend une dimension encore plus critique dans les architectures multi-cloud et hybrides actuelles, où la donnée est fréquemment morcelée, dispersée et peu encadrée. En dressant un inventaire exhaustif des actifs numériques, en les qualifiant selon leur sensibilité et leur valeur stratégique, et en s’assurant que des copies des données critiques soient systématiquement disponibles en local, les entreprises peuvent mettre en œuvre des politiques conformes aux cadres réglementaires et aux exigences de gouvernance.
La question de la souveraineté numérique ne relève pas uniquement d’un enjeu technologique ou géographique, elle s’inscrit dans un cadre bien plus large, qui touche à la résilience des organisations, au respect des normes, à la maîtrise des flux informationnels… et à la confiance que les citoyens comme les clients placent dans les services numériques. L’avenir digital de l’Europe ne dépendra pas seulement du lieu où résident les données, mais de la capacité des acteurs à en contrôler l’accès, à les gouverner efficacement et à les protéger durablement. Comme le souligne une note du Parlement européen : « Construire un cadre de données sécurisé à l’échelle européenne et adopter de nouveaux standards et pratiques pour proposer des services et produits numériques fiables et maîtrisables permettrait de garantir un environnement numérique plus sûr. »
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