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Workday remet l’IA à sa place : au service de l’humain
Par Thierry Derouet, publié le 17 juin 2025
Face à l’emballement généralisé pour l’IA générative, Workday revient à l’essentiel. Lors de l’événement ELEVATE à Paris, l’éditeur de logiciels de gestion des ressources humaines et de la finance a clairement indiqué son orientation : pas d’agents IA pour briller sur scène, mais des agents pour travailler. Gouvernance, interopérabilité, souveraineté… l’IA selon Workday, se veut utile, sobre et européenne.
Dans un secteur saturé de démonstrations techniques et de promesses futuristes, Workday a choisi une autre voie. Celle d’une sobriété revendiquée, d’un ancrage métier, et d’un effort de clarté sur ce que l’intelligence artificielle peut — et surtout doit — apporter à l’entreprise. Dès l’ouverture de la conférence, le message est posé : « L’humain et l’IA, ce sont les deux mots qu’on voulait faire passer aujourd’hui. »
Ce n’est pas qu’un slogan. C’est un rappel, presque un garde-fou, contre une fuite en avant technologique. Car chez Workday, l’IA n’est pas une nouveauté marketing : elle s’inscrit dans une continuité. « La première vraie solution d’IA à grande échelle, c’est la talent marketplace de 2018. Aujourd’hui, ce sont plus de 2000 clients qui l’utilisent. » Une manière de dire que l’IA ne commence pas avec ChatGPT, ni même avec l’agent conversationnel.
Mais une nouvelle étape s’ouvre : celle des agents métiers, conçus pour répondre à des usages très ciblés dans les domaines RH et Finance. Des agents conversationnels capables d’interagir avec les collaborateurs pour répondre à des demandes, enclencher des processus, fournir des préconisations ou automatiser des tâches. Un autre agent, surnommé « Business Process Optimizer », est chargé de monitorer les processus internes pour identifier les blocages et recommander des améliorations, parfois même en se comparant à des benchmarks sectoriels. « Peut-être que celui-ci est le véritable instigateur de changements », suggère un participant. On est loin du gadget.
Ne pas céder à l’effet de mode
Workday ne cache pas son agacement face à la surenchère générative. « Tout n’est pas agent AI. Et tout n’est pas IA générative. On veut la bonne IA, pour le bon usage, dans le bon contexte. » Le refus d’un effet de mode se double d’une exigence technique : celle de l’interopérabilité. Car à mesure que les agents se multiplient, la question se pose de leur gouvernance, de leur dialogue entre eux, et de leur intégration dans des systèmes complexes.
C’est là qu’intervient une autre annonce clé d’ELEVATE : le support du protocole MCP (Model Context Protocol), porté par Google, Microsoft et… Anthropic, qui en est bien cosignataire. « On veut s’aligner sur les standards qui émergent. Ne pas créer notre propre couche. » À cette fin, Workday propose désormais une brique baptisée Agent Gateway, qui permettra de connecter les agents internes, ceux des partenaires, ou ceux que les clients développeront eux-mêmes via la plateforme Extend.
Encore faut-il pouvoir les piloter. Car un agent, même bien formé, ne vaut rien s’il est déployé sans visibilité. D’où la création prochaine d’une console de supervision, destinée à mesurer l’usage, le coût CPU, la productivité, voire même l’impact métier de chaque agent. Une approche décidée et résolue du FinOps qui rappelle que l’inférence a un coût et que l’IA ne se pilote pas à l’aveugle.
La question de la tarification revient d’ailleurs dans les échanges. Pour l’instant, seuls deux agents sont facturés à part. « On a fait le choix de ne pas tout monétiser dès le départ. Parce qu’on pense que certains cas d’usage vont très vite devenir des commodités, et que les clients pourraient nous reprocher de les avoir facturés trop tôt. » Mais pour les agents financiers, plus complexes, un pricing est bien prévu, annoncé comme à venir lors d’un prochain évènement.
L’Europe en ligne de mire
Workday n’a pas seulement parlé technologie. Le terrain était aussi politique. Car sur la scène d’ELEVATE, il a beaucoup été question de souveraineté, de résidence des données, et de conformité au RGPD comme à l’AI Act.
« Tous nos clients EMEA sont opérés depuis des data centers en Europe. Irlande, Allemagne, et très bientôt Belgique. Et l’on va plus loin : les clients peuvent opter pour un mode “EU Access Only”, avec des clés de chiffrement qu’eux seuls contrôlent. » Le tout compatible avec une IA qui reste opérable, puisque les inférences passent par des clés secondaires, sans que Workday ne puisse consulter les données — sauf si le client le permet.
Et sur le plan du consentement, chaque service IA peut être activé ou désactivé individuellement, avec une documentation technique complète, des délais de conservation précisés, et des interfaces dédiées. « Allez comparer cela avec nos concurrents. Nous, on n’a rien à cacher. » Le ton se fait plus incisif — presque militant.
C’est là que l’on touche peut-être au vrai virage stratégique : l’Europe, et particulièrement la France, n’est plus considérée comme des marchés secondaires. « Sur 70 millions d’utilisateurs Workday, 2,4 millions sont français. » Centres d’innovation à Paris, effectifs croissants à Dublin, engagements clairs auprès de la Commission européenne sur l’AI Act… la stratégie est posée.
L’IA, un pillier transversal
Ce qui frappe, à écouter les prises de parole lors d’ELEVATE, c’est la maturité du discours. Workday n’est plus dans l’enthousiasme exploratoire : il structure une doctrine. L’IA n’est plus un outil en marge de la plateforme, elle est un pilier transversal de l’architecture, intégrée à tous les étages — recrutement, mobilité, gestion des compétences, processus financiers.
Ce changement de posture est d’autant plus lisible si on le met en regard des propos récemment tenus dans IT for Business. Hubert Cotté, directeur général France, y déclarait : « Il faut référencer les agents IA comme on référence les employés. » Une phrase qui, hors contexte, pourrait paraître provocante. Mais ici, elle illustre une inflexion stratégique : dès lors que les agents IA participent à des processus structurants, ils doivent être gouvernés comme n’importe quel acteur du SI. Cela ne signifie pas leur donner un statut RH, mais les inscrire dans une logique de supervision, de traçabilité et de responsabilité.
Workday ne parle pas d’“égalité” entre humains et agents, mais d’un traitement organisationnel cohérent. Les agents n’existent pas à la périphérie du système : ils l’animent. Et c’est cette prise de conscience, lucide et méthodique, qui marque le tournant de cette édition d’ELEVATE. Ce n’est pas une contradiction par rapport au discours antérieur, mais un approfondissement. Car à mesure que les usages mûrissent, les concepts eux aussi doivent s’ajuster.
Une approche qui peut faire la différence
Il y a quelque chose de terriblement rationnel dans la manière dont Workday construit sa stratégie IA. Pas de promesse hors-sol. Pas de rupture fantasmatique. Mais une volonté de produire de la valeur, dans le respect du réel — des données, des utilisateurs, des cadres juridiques. L’IA n’y est ni un gadget, ni une menace, mais un outil qui s’insère dans un ensemble plus large : celui du travail organisé.
Alors oui, les agents conversationnels arrivent. Oui, l’IA transforme les flux comptables, les processus RH, les benchmarks métiers. Mais chez Workday, cela ne se fera pas au détriment de l’humain. Et c’est peut-être ce qui, dans le brouhaha actuel, fait la différence.
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