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À Meudon, Bouygues Telecom met l’IA à hauteur d’homme…
Par Thierry Derouet, publié le 10 novembre 2025
Dans une boutique-école du campus de Meudon, les comptoirs alignent leurs smartphones sous une lumière feutrée, les affiches vantent les offres du moment — seuls les prix ont disparu, gommés pour la forme. C’est là, entre les étagères familières d’un opérateur devenu institution, que Bouygues Telecom a dévoilé sa nouvelle mécanique de relation client : B360+, la console qui unifie les gestes, et Iris, l’agent conversationnel branché sur la base de connaissances maison. Pas de grand soir, pas de slogan : juste quatre mots de métier — faire bien du premier coup.
Alain Angerame, directeur de la relation client et de l’expérience collaborateur chez Bouygues, résume l’esprit du projet avec simplicité : « Notre ambition, c’est de créer une relation client d’exception. L’innovation, chez Bouygues Telecom, ne sert à rien si elle n’aide pas d’abord les collaborateurs à répondre mieux, plus vite, plus juste. » Autour de lui, les chiffres parlent : 6 000 conseillers déjà équipés de la console, 10 000 à terme ; 3 500 techniciens terrain connectés aux mêmes outils ; et une obsession : rendre la relation fluide, homogène, humaine.
Dix ans d’unification
L’histoire remonte à 2015. Cette année-là, Bouygues Telecom choisit Salesforce pour refondre son front-office. « On a choisi Salesforce en février, déployé le 1ᵉʳ octobre », rappelle Alain Angerame, avec ce calme méthodique des dirigeants qui mesurent leurs transformations dans la durée. Dès lors, l’entreprise empile les briques : gestion des rendez-vous, planification des tournées, omnicanal total. Résultat : un installateur peut désormais faire un rendez-vous de plus par jour, et les données circulent sans couture entre boutique, technicien et centre d’appels.
Avant de penser IA, Bouygues Telecom a appris à simplifier. La maison comptait autrefois plus de 2 600 formules B2C/B2B, un labyrinthe de combinatoires. « Aujourd’hui, nous sommes largement autour de 500 à 300 offres, » précise Alain Angerame. « On a énormément simplifié, parce qu’à chaque test, il faut vérifier toutes les combinaisons sur tout le parc. » Cette réduction, amorcée dès 2015 avec Salesforce CRM, a rendu possible la modernisation du front-office.
Le choix du terrain : la relation client
C’est dans les centres de relations clients que Bouygues Telecom a choisi de déployer ses premiers agents IA. Un choix assumé : « Dans les télécoms, les combinaisons tarifaires sont innombrables, explique Alain Angerame. Deux clients appellent à une heure d’intervalle, et leurs situations n’ont rien à voir. Un agent qui aide le conseiller à trouver tout de suite la bonne réponse, c’est un vrai gain. »
B360+ : la console qui fait respirer le conseiller
Au moment où un client appelle, sa fiche s’ouvre automatiquement. Nom, adresse, lignes, historique, alertes colorées : l’ensemble s’affiche dans un cockpit clair et ordonné. Le parcours du conseiller suit désormais un fil unique : B Nice (accueil), B Curious (qualification), B Smart (résolution), B Win (fidélisation), B Happy (clôture). « On espère toujours finir sur une note positive, » glisse un formateur, sourire en coin.
Le cœur de l’outil, c’est la synthèse automatique du dossier. En dix secondes, l’écran restitue les motifs des trente derniers jours, les interactions récentes et la prochaine étape. « Avant, on pouvait passer une minute, parfois dix, à retrouver l’historique » confie la direction. « Aujourd’hui, dix secondes suffisent. » Ce temps gagné, le conseiller le rend au client : moins de recherche, plus d’écoute.
Une écriture sans faute : 15 000 messages par jour
Chaque jour, les équipes de Bouygues Telecom envoient entre 10 000 et 15 000 SMS ou e-mails de confirmation. Désormais, un agent de rédaction les corrige et les harmonise : ton, syntaxe, charte, tout y passe. « Nos collaborateurs envoient des messages justes et cohérents, tout en gardant la main », explique Alain Angerame. « La confiance n’exclut pas le contrôle : le conseiller valide toujours avant envoi. » L’IA n’y remplace personne ; elle fait gagner du temps et de la sérénité, surtout dans un univers où la précision compte plus que la formule.
Iris : l’agent qui lit pour vous
Sur un autre écran, Iris prend le relais. On lui pose une question en langage naturel : « Quels forfaits incluent les appels depuis la France vers l’Europe ? » En dix secondes, la réponse apparaît : claire, sourcée, assortie des liens vers la base de connaissances. Autrefois, le conseiller devait ouvrir un tableur interminable, faire défiler des dizaines de lignes, vérifier les conditions d’un client parti au Maroc ou en Tunisie avant de lui confirmer s’il pouvait téléphoner depuis l’étranger. Désormais, il suffit de demander : « Mon client part demain à Marrakech, son offre fonctionne-t-elle ? » Et la réponse tombe, exacte, contextualisée, adaptée à son profil.

« Pendant des mois, on a affiné le modèle, raconte Alain Angerame. On n’a pas appuyé sur le bouton tant qu’on n’était pas au-dessus de 90 % de bonnes réponses. Aujourd’hui, on est à 95 %. » Cette précision est le fruit de trois mois de tests intensifs, de vérifications quotidiennes, et d’un travail patient de réglage sur la base de connaissances existante — sans réécriture massive, juste du bon sens et de la méthode.
Former, adopter, transformer
« Notre vrai défi, c’est que chaque collaborateur interroge la base de connaissances à chaque appel », précise Alain Angerame. Car l’expérience et l’habitude peuvent jouer contre la rigueur. Bouygues Telecom a donc mis en place des modules e-learning et des fiches-prompts pour aider les conseillers à “parler à la machine”. L’entreprise s’appuie aussi sur ses “meilleurs joueurs” : des collaborateurs expérimentés qui testent les nouvelles fonctions, remontent les irritants, inspirent les autres. C’est une transformation au long cours, ancrée dans la pratique plutôt que dans le discours.
L’unification des outils a aussi profité aux installateurs fibre, qui réalisent désormais un rendez-vous supplémentaire par jour grâce à la brique de gestion des tournées.
La voix comme prochain horizon
Le chantier continue. Début de l’année prochaine, Bouygues Telecom migrera ses centres de relations clients vers Genesys Cloud, connecté à Salesforce. Ce passage au cloud permettra de détecter en temps réel les intentions dans les conversations — “résiliation”, “changement de propriétaire”, “facture” — et de pousser automatiquement la bonne procédure au conseiller. Mi-année prochaine, la V2 introduira des agents vocaux capables de proposer la bonne action sans rompre la conversation.
Mais la prudence reste de mise. « Sur le technique, les scripts marchent très bien, » reconnaît Alain Angerame. « Sur le commercial, il faut de la nuance. Le collaborateur a encore de beaux jours devant lui. »
L’art d’automatiser sans effacer l’humain
Bruno Katz, vice-président de Salesforce France, regarde la scène avec la distance de celui qui a vu passer des centaines de projets d’IA trop vite annoncés. Puis il lâche, d’un ton posé : « On n’est pas dans la démo ici, on est dans le monde réel. » Pour lui, Bouygues Telecom incarne ce que doit être la technologie quand elle sort des slides : « Ce que fait Bouygues Telecom, c’est un passage concret à l’ère agentique. Pas une vitrine, mais une transformation patiente où les conseillers travaillent main dans la main avec des agents IA, au service du client. »
Il rappelle que la promesse n’a rien de théorique : « AgentForce équipe déjà plus de 12.000 clients dans le monde. Sur notre propre support, 70 à 80 % des demandes sont traitées sans intervention humaine. » Puis il conclut avec une simplicité presque professorale : « Tout repose sur trois couches : une interface conversationnelle claire, des modèles fiables, et des données bien tenues. Bouygues Telecom n’a pas cherché la démonstration, mais la continuité — et c’est là que commence le vrai changement. »
Le ROI de la confiance
Sur la rentabilité, le directeur est clair : « La hausse de la qualité, ça n’a pas de prix. Un client satisfait achète plus et reste plus longtemps. » Le projet vise d’abord – 25 % de rappels, puis des gains plus diffus : fidélisation accrue, rebonds commerciaux, et capacité des équipes à “écouter autrement”.
En somme, à Meudon, Bouygues Telecom ne cherche pas la prouesse : il cherche l’équilibre. L’IA n’y efface pas l’humain ; elle lui rend du temps, de la cohérence et du souffle. Dans la boutique-école, le progrès n’a rien de spectaculaire : il se mesure à la fluidité d’un appel, à la justesse d’un mot, à la tranquillité d’un geste. Bref, à cette idée simple que la technologie n’a de valeur que si elle rend la relation plus humaine.
Repères du projet
- 6 000 conseillers équipés de B360+ et Iris, 10 000 prévus début année prochaine.
- 3 500 techniciens terrain connectés à la même architecture.
- 10 000 à 15 000 messages/jour générés ou corrigés par IA.
- 200 conseillers pilotes, > 90 % d’adhésion.
- 95 % de bonnes réponses (latence : ≈ 10 s).
- – 25 % de rappels visés, + 1 rendez-vous/jour/installateur.
Bouygues Telecom en quelques chiffres
- Création : 1994
- Siège : Campus de Meudon (Hauts-de-Seine)
- Effectifs : environ 9 800 collaborateurs
- Chiffre d’affaires 2024 : 9,5 milliards d’euros
- Clients : plus de 29 millions (mobile, fixe et entreprises confondus)
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