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Objectif 2030 : Microsoft veut sortir Windows de l’ère C/C++ et mise sur Rust et l’IA
Par Laurent Delattre, publié le 25 décembre 2025
C et C++ restent la charpente historique des systèmes, mais leurs risques structurels pèsent sur la sécurité comme sur la stabilité. En visant une substitution progressive par Rust, Microsoft entend industrialiser la modernisation du noyau, des pilotes et des services critiques grâce à des pipelines d’analyse et d’agents IA.
Créé en 2006 chez Mozilla, gouverné par une fondation depuis 2021, Rust est un langage “système” moderne, compilé, conçu pour concilier performance et sûreté mémoire grâce à un modèle qui élimine une large part des erreurs classiques de gestion mémoire sans recourir à un ramasse-miettes.
Noyau, pilotes, couches bas niveau et services critiques des systèmes d’exploitation restent structurellement exposés aux corruptions mémoire, aux dépassements de tampon et à leurs effets en chaîne sur la stabilité comme sur la sécurité. C’est précisément ce terrain que Rust vise, en apportant des garanties de sûreté et de concurrence au plus près du hardware, là où C et C++ dominent historiquement.
Chez Microsoft, l’investissement autour de Rust n’a plus grand-chose d’expérimental. Côté cloud, l’éditeur assume publiquement ce langage comme une voie privilégiée quand C/C++ demeure incontournable pour des raisons de performance, tout en reconnaissant qu’une bascule ne peut pas être instantanée : de nombreux composants critiques d’Azure ont déjà été développés ou redéveloppés en Rust. Côté Windows, certains pilotes sont développés en Rust depuis quelques années et l’éditeur se montre de plus en plus motivé pour « adopter des langages plus sûrs » dans la modernisation de Windows et même déplacer progressivement des fonctionnalités de C++ vers Rust.
Un cap 2030 et une “usine” de réécriture dopée à l’IA
Le signal le plus spectaculaire est arrivé cette semaine au travers des déclarations de Galen Hunt (Distinguished Engineer) qui a confirmé un nouvel objectif : éliminer chaque ligne de C et C++ chez Microsoft d’ici 2030, en combinant IA et algorithmes pour réécrire les plus grandes bases de code.
Le slogan interne de l’opération « 1 engineer, 1 month, 1 million lines of code » résume l’incroyable ambition de cette initiative : industrialiser la transformation, à l’échelle du million de lignes, via une infrastructure de traitement du code mêlant analyse de graphes et agents IA capables d’appliquer des modifications massives. Le chantier se matérialise aussi par un recrutement ciblé sur des profils Rust “systems-level” (OS, compilateurs), trahissant un effort outillé et structurant.
Windows “en Rust” : une migration incrémentale sans big bang
Pour l’équipe de développement de Windows, l’enjeu de cette initiative dépasse la modernisation : il s’agit de réduire une classe entière de vulnérabilités, celles liées aux erreurs mémoire, qui pèsent lourd dans le bilan sécurité.
Plusieurs indices laissent entendre que ce mouvement « pro RUST » s’accélère déjà dans Windows 11. Le langage n’y apparaît pas comme une expérimentation isolée, mais comme une brique qui s’installe dans l’écosystème Windows, via windows-rs (un ensemble de bibliothèques officielles qui facilite l’accès depuis Rust aux API historiques de Windows telles que Win32, COM, WinRT) et via windows-drivers-rs (un projet open source qui ouvre la voie à davantage de développements de pilotes Windows en Rust).
L’idée reste néanmoins de s’appuyer massivement sur ces briques et sur les capacités agentiques de refactorisation de code de l’IA pour insuffler davantage de Rust dans Windows.
« Réécrire Windows en Rust » ne signifie néanmoins pas forcément tout reprendre à zéro. Les déclarations de Microsoft sur Azure rappellent qu’un remplacement total, immédiat, est irréaliste même avec l’aide de l’IA. La stratégie la plus crédible est donc hybride et progressive, faite de composants migrés, de frontières d’API stabilisées, de cohabitation longue durée et de dette technique résorbée par vagues. Car l’IA peut changer l’échelle, pas la nature des risques : traduire de la syntaxe ne garantit ni l’intention, ni les invariants de sûreté, ni les hypothèses de performance, ni les comportements subtils d’un noyau et de ses pilotes.
La crédibilité du cap 2030 se jouera moins sur la promesse que sur l’exécution. Les ingénieurs Windows vont devoir démontrer, version après version, des gains mesurables de robustesse sans casser la compatibilité, tout en industrialisant les vérifications au même rythme que la réécriture. Si seulement, au passage, Microsoft décidait également de publier en open source… On peut rêver, non ?
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