Autonomie numérique de l'Europe : Emmanuel Sardet, président du Cigref, est notre Grand Témoin

Gouvernance

Emmanuel Sardet (Cigref) : « L’autonomie stratégique numérique doit devenir un réflexe européen »

Par Laurent Delattre, publié le 06 juin 2025

La géopolitique impacte désormais la stratégie IT. Face à l’hyperdépendance des entreprises européennes vis-à-vis des Big Tech américaines, notre grand témoin de la semaine, Emmanuel Sardet, Président du Cigref martèle une priorité : bâtir un écosystème logiciel et cloud vraiment « de confiance », capable de restituer à l’Europe sa marge de manœuvre technologique et économique. Alors, comment amorcer ce virage ?

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Il n’est évidemment pas question de « refaire l’histoire » : ni celle des plans calcul français, ni celle des occasions manquées de l’Internet ou du cloud. Pour le Président du Cigref, Emmanuel Sardet, notre Grand Témoin cette semaine, le sujet du moment est bien plus pressant : « répondre à deux agendas : l’autonomie stratégique pour les entreprises et la souveraineté pour l’Europe ».

Cette double exigence, rappelle-t-il, s’est brutalement imposée au grand public avec le rachat de VMware par Broadcom, l’envolée des tarifs SaaS ou l’arrêt par indisponibilité et sous pression du gouvernement US de services Cloud par leurs éditeurs. « Nous sommes passés, en six mois, par plus de ruptures qu’en vingt ans », résume-t-il.

Dès lors, comment sortir d’une dépendance qui concentre « 80 % des dépenses IT européennes chez des géants extra-européens » ?
Le président du Cigref propose une feuille de route en cinq actes : structurer la filière, partager la cartographie des alternatives, sécuriser le cloud via l’EUCS H+, fixer un cap chiffré de 15 %, et porter la voix des DSI à Bruxelles.

Un comité stratégique pour un numérique (vraiment) de confiance

La filière « Logiciels et services numériques de confiance », installée par le gouvernement français, vise d’abord à « réduire l’hyperdépendance et rééquilibrer la chaîne de valeur au profit d’acteurs nationaux et européens ».
Pour Emmanuel Sardet, cette initiative ne réussira que si elle dépasse le seul marché français : « La cartographie, la qualification et l’accès au marché doivent se penser à 27 ».

15 % d’achats européens d’ici 2035 : un objectif mobilisateur

L’étude confiée au cabinet Asterès chiffre à 264 milliards d’euros la fuite annuelle de valeur vers les États-Unis et la Chine. Récupérer 15 % de ces achats en une décennie créerait 500 000 emplois en Europe : « Parfaitement réaliste ! », assurent les membres du conseil d’administration du Cigref, dont certains dépensent plusieurs milliards par an en IT.
Le message sous-jacent est limpide : il ne s’agit pas de bannir les Big Tech, mais de leur opposer un « marché dual » qui stimulera la concurrence, et donc, in fine, la résilience et la compétitivité des entreprises utilisatrices.

EUCS H+ : la certification qui change la donne cloud

Sur le terrain du cloud, Emmanuel Sardet défend bec et ongles la future certification européenne EUCS avec option H+. Seule cette déclinaison garantit, dit-il, une protection « contre les pressions extraterritoriales », tout en restant ouverte au marché unique. Le SecNumCloud français demeurera pertinent pour les usages les plus sensibles, mais « multiplier les labels nationaux reviendrait à pédaler à l’envers ».

Le Cigref muscle sa présence à Bruxelles

Longtemps focalisé sur Paris, le Cigref consacre désormais « la moitié » de son effort d’influence aux institutions européennes : rencontres régulières avec les commissaires, coalition avec ses homologues allemand, néerlandais ou belge, actions coordonnées sur les dossiers Broadcom-VMware ou NIS2… « Nous voulons être le fournisseur de contenus numériques de référence pour les directions générales et les décideurs publics », résume son président.

Des DSI stratèges, plus seulement “techos”

La montée en puissance d’enjeux géopolitiques place la fonction numérique au cœur de la stratégie d’entreprise. Selon Sardet, les directions générales oscillent « de 3 à 10 sur l’échelle de maturité digitale », mais toutes doivent désormais intégrer un « quotient technologique » pour arbitrer entre agilité, coûts et risques de dépendance.

Autonomie stratégique, souveraineté, résilience et compétitivité ne relèvent plus du lexique militaire : ce sont les nouvelles grilles de lecture du numérique en Europe. Avec un objectif-phare (15 % de solutions européennes) et une boussole réglementaire (EUCS H+), Emmanuel Sardet trace au final une trajectoire : « Passer du discours “Achetez-moi” à une dynamique de marché où l’offre européenne grandit, fusionne, exporte ». Reste à convaincre les DSI – et les capital-investisseurs – que le virage est moins coûteux que l’immobilisme.


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