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Facture électronique : un projet qui n’a plus le droit à l’erreur

Par Thierry Derouet, publié le 29 février 2024

Après un retard à l’allumage initial de 18 mois, passant de juillet 2024 à septembre 2026, en raison de divers obstacles à surmonter, la facturation électronique est censée être de nouveau sur les rails. 1300 entreprises se seraient à l’origine portées volontaires pour participer au pilote qui devait avoir lieu en janvier dernier. Elles sont pour l’heure toutes sur le quai de la gare. Enquête.

L’étonnement est là : « C’est la problématique d’être loin du terrain ». Chrystelle Verlaguet, Directrice marketing solutions digitales chez Quadient, exemples à l’appui, illustre le besoin d’apporter auprès de la direction générale des finances publiques (DGFiP) « des cas concrets, des cas clients, afin qu’ils enrichissent les spécifications techniques ». Même tonalité chez Christophe Viry, Product Marketing Director chez Generix Group qui ironise à propos de nouvelles règles administratives devant permettre l’immatriculation des Prestataires de Dématérialisation Partenaire (PDP) « Je pense qu’ils vont se faire rattraper par leur retard. »

Un changement d’équipe

À deux ans de la mise en place de la facturation électronique, la situation reste confuse. Depuis trois mois, Stéphane Eustache, a été spécifiquement nommé directeur du programme de facturation électronique au sein de l’AIFE (Agence pour l’informatique financière de l’État) pour faire face à la complexité du sujet et à l’ampleur de l’écosystème concerné. Car outre la construction du Portail Public de facturation, Stéphane Eustache à déclaré récemment que ce ne sont pas moins de « 24 projets informatiques distincts dans 9 systèmes applicatifs qui sont en cours de construction. » Tenir le calendrier prévu va donc être compliqué.

Des PDP pas très sereins

Les Prestataires de Dématérialisation Partenaire (PDP) jouent un rôle clé dans la transition vers la facturation électronique en France. Ces prestataires tiers proposent des services de conversion de factures papier en format numérique et assurent leur transmission sécurisée entre les entreprises. Pour devenir un Prestataire de Dématérialisation Partenaire, il est nécessaire de suivre un processus d’agrément établi par la DGFiP. Ce processus garantit leur conformité aux normes et exigences en vigueur et assure que les PDP sont en mesure de fournir des services de dématérialisation sécurisés et conformes aux réglementations.

Une immatriculation des PDP suspendue à un décret ?

Cette réglementation serait en attente de la finalisation d’un décret spécifique. Avec pour objectif de modifier les règles d’immatriculation de nos fameux « PDP ». Cependant, pour l’instant, seule la promesse de publier sur le site des finances publiques le nom des cinquante-et-un opérateurs ayant déposé un dossier de demande a été tenue. Ils ne devraient pas être plus de 80. La situation est si tendue avec nos PDP que cette liste est mise à jour tous les quinze jours. « Nous devons rassurer nos clients », souligne Chrystelle Verlaguet, pour qui l’enjeu est commercial !

Des tests possibles avant la fin de l’année ?

Cependant, le réaménagement réglementaire proposé pour immatriculer les PDP plus rapidement, sans attendre les tests d’interopérabilité avec le portail public de facturation (PPF) en 2025, est au point mort. Pourquoi vouloir déjà immatriculer les PDP « sous réserve de la réussite du test de connexion » ? Jusqu’à présent, pour être immatriculés, les PDP devaient entamer des essais techniques avec le portail public. Des tests techniques qui seront loin d’être une simple formalité, comme l’indique Christophe Viry, en comparant cette situation à la mise en place de la CFDI (Justificatif Fiscal Numérique par Internet) au Mexique. Cependant, comme la première version du portail public de facturation ne sera pas disponible avant la fin de l’année 2024…

Avec des spécifications toujours en cours

En outre, il est crucial que les PDP disposent des dernières spécifications techniques pour avancer dans le développement de solutions compatibles avec le futur système de facturation électronique. Une mise à jour des spécifications devrait être disponible au printemps. Christophe Viry espère que « cette fois-ci, elles seront stables pendant 9 à 12 mois et qu’elles seront complètes, c’est-à-dire qu’elles contiendront toutes les pièces dont un développeur a besoin pour effectuer des tests ». Il convient de rappeler que les spécifications techniques sont décrites dans un document d’environ cent cinquante pages, mais avec des parties en attente de précisions. Pour y parvenir, la DGFiP avance pas à pas et découvre, comme le souligne Chrystelle Verlaguet, des spécificités comme gérer dans une même facture des taux de TVA à 0% et d’autres taux de TVA en fonction des produits et services vendus. Ce serait au cours d’ateliers avec la DGFiP que d’autres contraintes seraient évoquées par notre spécialiste, par exemple la complexité d’émettre un e-reporting tous les 15 jours notamment lorsque l’entreprise a besoin d’« agréger des données de différents points de vente, qui parfois n’utilisent pas toujours les mêmes logiciels ». Le passage de la théorie à la pratique risque d’être beaucoup plus compliqué que prévu.

Un annuaire plus que problématique

Enfin, pour que le système fonctionne correctement, il est essentiel de disposer de l’identité numérique de l’ensemble de nos professionnels, un sujet fondamental, mais encore largement en construction, comme l’a reconnu Céline Frackowiak, directrice de projet Facturation électronique à la DGFiP, lors d’un entretien avec l’un de nos confrères (voir encadré).

Peut-être que l’ensemble des parties prenantes obtiendront des réponses à l’occasion de la Journée de la Facture Électronique 2024 organisée le 7 mars prochain au Palais Brongniart. Son organisateur, Cyrille Sautereau, Président du Forum National de la Facture Électronique et des Marchés Publics Électroniques (FNFE-MPE), avait été surpris l’été dernier, non pas par l’arrêt du projet, mais par la brutalité de son annonce : « Il est étonnant d’annoncer, à trois mois du démarrage, que l’on n’est pas prêt. » Cependant, comme nous l’avions souligné il y a quelques mois, « Il y a une différence majeure entre un train et un projet mené par l’État. Les trains, eux, lorsqu’ils déraillent, s’arrêtent ! ». Espérons qu’un retard n’en cache pas un autre. Mais le degré d’impréparation d’un tel projet, dont l’enjeu est de réduire toute possibilité de fraude à la TVA, estimée à 14-15 milliards d’euros, reste préoccupant.

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TVA : un annuaire pour la collecter

Le Répertoire National des Entreprises et des Établissements (RNEE) est l’un des outils clés pour la mise en place de la facturation électronique dans les transactions entre entreprises assujetties à la TVA. Le RNEE a été créé dans le cadre de la loi PACTE du 22 mai 2019, qui vise à simplifier et moderniser la vie des entreprises. Il rassemble les informations auparavant contenues dans les bases SIRENE et RCS, ainsi que dans d’autres répertoires d’entreprises.

PDP mode d'emploi.  Le Répertoire National des Entreprises et des Établissements  vise à simplifier et moderniser la vie des entreprises.
Le Répertoire National des Entreprises et des Établissements vise à simplifier et moderniser la vie des entreprises.

Le RNEE permet une identification plus précise des entreprises et une simplification des démarches administratives. Il est géré par l’Institut national de la statistique et des études économiques (INSEE) en collaboration avec les greffes des tribunaux de commerce et les chambres consulaires. Dans le cadre de la généralisation de la facturation électronique, le RNEE sera utilisé pour identifier les entreprises et leurs établissements, ainsi que pour vérifier la validité des numéros de TVA intracommunautaire. Les entreprises devront également transmettre leurs factures électroniques via la plateforme Chorus Pro, qui sera connectée au RNEE.

Cependant, les modalités de renseignement des informations complémentaires pour assurer l’identification des acteurs n’ont pas encore été définies. De plus, le RNEE a pris du retard et s’appuie sur la base INSEE, qui ne serait pas toujours à jour. Il appartiendra à chaque entreprise de renseigner cet annuaire avec une granularité en fonction du SIRET, du SIRENE ou d’un code dit de routage, différent du code APE, pour s’assurer que les factures arrivent à bon port. Le RNEE doit être à jour pour remplir efficacement son rôle dans la mise en place et le fonctionnement de la facturation électronique.

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