Gouvernance

“Influer sur la stratégie de SAP, c’est possible”

Par La rédaction, publié le 09 octobre 2014

Claude Molly-Mitton
Président du club des utilisateurs SAP francophones (USF)
 

En 2009, le club des utilisateurs SAP francophones (USF) a fait entendre sa voix, avec d’autres clubs SAP dans le monde, et contribué à faire infléchir la politique tarifaire de maintenance de SAP. Cette année, Bill Mc Dermott, le PDG de l’éditeur, a acté l’influence des clubs d’utilisateurs et rendu la nouvelle interface Fiori gratuite pour tous. Claude Molly-Mitton nous explique pourquoi et comment c’est possible.

 
Vous êtes dans votre cinquième mandat à la tête de l’USF. Pouvez-vous nous dresser les contours de cette association ?
Claude Molly-Mitton : Nous venons d’avoir 25 ans, puisque l’USF est né le 28 septembre 1989. L’USF est le second club d’utilisateurs de solutions SAP dans le monde par l’ancienneté. Nous avons été précédés par le club VNSG hollandais et rapidement suivis par le DSAG allemand et l’ASUG américain. J’insiste sur le terme général de « solutions », car SAP n’est plus seulement un éditeur allemand d’ERP. C’est devenu un éditeur mondial au portefeuille conséquent de logiciels et services dans de nombreux domaines. Et nous souhaitons refléter cette diversité.
L’USF regroupe près de 3 000 membres représentant plus de 450 entreprises. Parmi nos adhérents, nous comptons 73 % des entreprises du CAC40, 62% des entreprises du SBF120 et 50 Administrations ou établissements publics. Des directeurs financiers, des DSI, des chefs de projet, des architectes SAP : les profils reflètent la diversité des sujets – économiques, stratégiques, techniques – abordés par la cinquantaine de commissions du club.
Nous nous appuyons sur 65 bénévoles et sur un bureau de 6 personnes, que je tiens tous à remercier pour leur implication. Car, au total, nous organisons plus de 120 réunions de commissions ou de groupes de travail par an. Notre grand-messe annuelle, la convention USF, qui se tient cette année à Tours, attend plus d’un millier de visiteurs uniques et plus de 80 partenaires de l’écosystème SAP.
 
Comment vous distinguez-vous des autres associations d’utilisateurs du secteur ?
CMM : Il y a maintenant plus de quatre ans, lorsque j’ai pris la présidence de l’USF, j’ai déterminé les cinq missions que nous avions à mener à bien, sous la forme de cinq verbes : étudier, partager, réfléchir, éduquer, influencer.
Etudier, c’est se maintenir aussi à jour que possible sur les annonces stratégie et produits de SAP. Notre reconnaissance au plus haut niveau chez l’éditeur – j’ai déjà rencontré plusieurs fois ses dirigeants – nous donne accès à des informations d’analyses techniques en avance de phase. J’emmène quelques présidents de commission deux fois par an à Walldorf, au siège mondial de SAP. L’éditeur y organise, à notre demande, des séances communes, mais aussi des face-à-face avec les patrons mondiaux des solutions.
Partager, c’est l’objectif de tout club. Des informations, des idées, des retours d’expériences, etc., dans une ambiance aussi conviviale que possible. En cela, nous nous distinguons peu des autres.
Réfléchir, c’est se réunir au sein des commissions ou des groupes de travail. Cela se prolonge chez nous par nos livres blancs. C’est un peu la marque de fabrique de l’USF. Nous en produisons en moyenne un tous les deux mois. Tout le monde ne peut pas assister à toutes les réunions. C’est donc un vecteur de partage de nos réflexions avec l’ensemble de nos adhérents.
Eduquer, cela participe du même effort de pousser les informations les plus pertinentes vers nos adhérents, au travers des livres blancs, de notes de perspective, d’un magazine et d’une newsletter. Nous nous donnons aussi la mission de répondre en toute objectivité aux questions éventuelles de prospects en situation de choix d’un produit SAP.
Influencer, en l’occurrence la stratégie et les pratiques de l’éditeur, c’est ce que souhaiteraient pouvoir faire tous les clubs d’utilisateurs. Si nous pouvons le faire, c’est que nous sommes financièrement indépendants de notre fournisseur. Ce qui est loin d’être une généralité sur le marché du logiciel, et même au sein de tous les clubs SAP.
 
Vous êtes donc complètement indépendants de SAP?
CMM : Oui. Nous avons acquis cette indépendance au fil du temps. Au niveau mondial, ce n’est pas le cas de tous les clubs SAP. C’est une question d’ancienneté, de stratégie et aussi de culture. SAP est par exemple au conseil d’administration du club japonais, qui a à peu près notre taille : ce serait impensable chez nous. Cette indépendance est avant tout financière. Sans autonomie, nous n’aurions pas cette influence. Notre convention annuelle a, elle, son propre mode de financement et SAP paye son stand comme les autres, avec le même prix au mètre carré. Seul avantage que nous leur concédons à cette occasion : ils ont droit à huit ateliers « marketing » sur des solutions que nous choisissons avec eux. Par exemple, au moment du lancement de Hana, il était clair que les membres attendaient beaucoup d’informations de la part de l’éditeur.
 
Dans les faits, comment se traduit votre influence sur l’éditeur ?
CMM : Elle est très concrète depuis 5 ou 6 ans. En 2009, nous avons par exemple pu modérer et étaler l’inflation du coût de la maintenance, cette manne pour l’éditeur qui nous conduit à repayer peu ou prou une nouvelle fois nos licences tous les cinq ans. Nous avons obtenu que l’augmentation décidée par SAP soit étalée dans le temps, jusque fin 2016 pour les clients existants. Et nous espérons aujourd’hui pouvoir convaincre SAP de plafonner le taux du support Enterprise à 22%, qui doit concerner environ 95% de nos adhérents, au-delà de fin 2016. Nous pensons notamment déjà à l’échéance de 2020. 2020, c’est la fin théorique du support d’ERP 6. Pour nous, c’est demain. Nous interpelons donc régulièrement l’éditeur sur ces sujets.
Grâce à la pression du club américain, appuyé par le club allemand et l’USF, nous avons aussi obtenu la gratuité de la nouvelle interface graphique Fiori. C’est loin d’être négligeable. Pour rester dans le domaine de la tarification, connaissez-vous le nombre de références produits du catalogue SAP ? Il y en a plus de 4 000 ! Un vrai casse-tête, illisible si vous n’avez pas le mode d’emploi. Conscient de cette difficulté, qui devait aussi l’empêcher de réaliser certaines ventes, SAP a simplifié cet été sa tarification. Parmi la trentaine de modèles de licences clients, il a notamment supprimé le Limited Professional dont les contours étaient flous et laissaient libre court à des interprétations côté client comme côté éditeur. Par ailleurs, pour certains moteurs comme le CRM ou la BI, il n’y a désormais plus de partie utilisateur à acquitter. On paye toujours le moteur de manière variable selon qu’on est une grosse ou plus petite entreprise, mais le nombre d’utilisateurs n’est plus limité. Ça simplifie les prévisions et les montées en charge. Espérons juste que cela ne cache pas une augmentation des tarifs, car la comparaison avant / après n’est pas toujours aisée. Nous travaillons en ce moment même avec SAP et espérons pouvoir, dans les prochaines semaines, produire un document commun clair et pédagogique expliquant cette nouvelle grille tarifaire. Mais le sujet reste complexe, malgré cet effort de simplification qu’il convient de noter.
 
Les avancées sont-elles uniquement d’ordre financier ?
CMM : Non, loin s’en faut. Et je tiens d’ailleurs à saluer une autre des initiatives récentes de SAP. En avril dernier a été lancé le programme One Support. Il est encore trop tôt pour dire s’il sera efficace, mais il répond à une de nos grandes préoccupations du moment : la lisibilité du cloud.
Les grands clients de SAP ne passent pas en un jour et sur l’ensemble de leur parc d’un module « traditionnel » à un nouveau module en mode SaaS. Ils ont donc besoin d’un support hybride de la part de SAP, par exemple sur son offre CRM (Customer Relationship Management) ou bien sur le process achat. C’est d’autant plus important que l’éditeur propose deux solutions dans ce domaine : la solution d’Ariba (acquis en 2012) en mode cloud ou bien la solution SRM (Supplier Relationship Management) en mode dit « on premise ». Le programme One Support consiste à nous fournir un seul point de support, ici sur la fonction achat, plutôt que deux disjoints. Nous ne nous leurrons pas. C’est aussi un moyen pour eux de nous conserver dans leur cocon, d’éviter dans certains cas que nous partions à la concurrence pour certaines fonctions. Mais l’initiative mérite d’être soulignée et va dans le sens de la simplification.
 
L’éditeur écoute-t-il aussi vos demandes de développement de nouveaux modules ?
CMM : Oui. Depuis trois ou quatre ans, suite à un travail commun avec le SUGEN (SAP User Group Executive Network), qui regroupe 16 clubs internationaux dont l’USF, SAP a mis en place le programme Influence. Auparavant, l’éditeur proposait des évolutions suite à des développements réalisés avec un client. Et bien souvent, cela n’intéressait pas beaucoup d’autres clients. A côté de programmes beaucoup plus engageants de co-innovation figure donc désormais Customer Connection. Ce programme permet d’arbitrer de façon collaborative les demandes d’évolution des produits de SAP dans le cadre de la maintenance. Il donne à chacun, pourvu qu’il adhère à un club, la possibilité de proposer une évolution. Le processus est assez simple. SAP ouvre des « focus topics » correspondant à des ressources qu’il pré-réserve au sein de ses labs, dans des domaines tels que la finance, la BI, etc. Les utilisateurs ont alors deux mois pour publier leurs demandes sur le portail. Celles-ci sont ouvertes aux commentaires, aux modifications et soumises au vote des membres. SAP indique ensuite parmi celles qui sont plébiscitées lesquelles seront développées, avec un retour dans les six mois.
 
On vote pour les fonctions qu’on souhaite voir réalisées. C’est donc un moyen pour SAP de satisfaire le plus grand nombre ?
CMM : En quelque sorte, oui. Et à nous de nous organiser pour représenter le plus grand nombre ! Nous avons très tôt saisi cette opportunité à l’USF. Et nous en sommes récompensés. Sur les 8 focus topics auxquels nous avons participé, 55,3% de nos demandes ont été retenues. C’est un peu au-dessus de la moyenne globale de 50% annoncée par SAP. Avec certes des écarts types très importants puisque nous sommes parfois à 0% (sur SRM), parfois à 100% : c’est le cas sur EPM (Enterprise Performance Management), un module issu de Business Objects-Cartesis, donc développé en France, mais aussi sur Real Estate, qui est réalisé en Allemagne. Ce n’est donc pas que la proximité qui compte. Nous effectuons un réel travail de lobbying au sein des commissions pour publier des propositions et les soutenir. Le processus n’est certes pas parfait, car nous ne sommes pas toujours d’accord avec les raisons de refus invoquées par SAP, mais c’est déjà un grand pas que de pouvoir bénéficier de développements qui nous intéressent dans le cadre de la maintenance, avec une certaine visibilité.
 
Quels sont les prochains chantiers prévus à l’USF ?
CMM : Nous continuons d’aller vers les régions et les PME. La commission Grand Ouest a été créée il y a quatre ans puis, au rythme d’une par an, nous avons ouvert les commissions Grand Est, Grand Sud Ouest et Rhône-Alpes. Bientôt ce sera Grand Sud Est. Les membres se réunissent alternativement dans leurs entreprises. Nous avons aussi décidé d’offrir un accès en web conférence à toutes les réunions, pour ceux qui ne peuvent pas se déplacer. Parallèlement, nous continuons à incorporer les clubs ou groupes informels d’utilisateurs au rythme des rachats opérés par SAP, comme ce fut le cas pour BusinesObjects en 2011, ou plus récemment SuccessFactors. La convention de Tours sera l’occasion de révéler les résultats d’une grande enquête de satisfaction vis-à-vis de SAP, que nous avons réalisée avec TNS Sofres. Tout ça va dans le sens de l’amélioration des rapports entre SAP et ses utilisateurs. SAP France met en face de nous des interlocuteurs qualifiés et m’invite une fois par an à son comité directeur. Inversement, nous accueillons son directeur général une fois par an à notre conseil d’administration. Globalement, rappelons-le, 90 % des sujets se passent en bonne entente. 
 
Propos recueillis par Pierre Landry

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