Souveraineté numérique et autonomie numérique : Philippe Latombe est notre invité de la semaine

Gouvernance

Philippe Latombe : « L’Europe est une colonie numérique des États-Unis »

Par Laurent Delattre, publié le 04 juillet 2025

Alors que la géopolitique pèse de plus en plus sur les choix des DSI, Philippe Latombe, député de Vendée et secrétaire de la commission des lois, s’impose comme l’un des rares parlementaires à porter une voix forte sur les enjeux numériques. Auteur d’un rapport remarqué sur la souveraineté numérique en 2021, il est l’invité de la semaine d’IT for Business et d’InformatiqueNews.

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Quatre ans après son rapport, Philippe Latombe constate avec satisfaction une évolution des mentalités : « Je vois un monde, un fossé entre 2021 au moment où j’ai remis le rapport et maintenant ». Cette prise de conscience traverse désormais tout l’échiquier politique, « de la gauche jusqu’à la droite », autour de la nécessité d’une « autonomie stratégique » dans le numérique.

Le rapport Draghi a d’ailleurs confirmé ce diagnostic : « Si on prend la partie industrielle et commerciale, les États-Unis et l’Europe ont à peu près la même valeur ajoutée, la même croissance en PIB. Le delta, c’est le numérique » rappelle notre invité.

L’État face à ses contradictions

Malgré cette évolution, le député pointe du doigt les incohérences persistantes de l’action publique. Il cite l’exemple édifiant du ministère de l’Éducation nationale qui « quasiment le même jour, signe un marché public avec Microsoft pour ses propres serveurs tout en demandant aux territoires d’éviter les solutions américaines ». Cette schizophrénie illustre le chemin qu’il reste à parcourir : « On n’est pas passés au carnet de chèques » regrette Philippe Latombe.

Le problème, c’est que la dépendance aux technologies américaines est devenue insoutenable et nous paralyse. Trois exemples en témoignent.

Le Health Data Hub, pudiquement rebaptisé “Plateforme des données de santé” pour éviter les procès selon Philippe Latombe, cristallise les contradictions de la politique numérique française. Hébergé chez Microsoft Azure depuis des années malgré les alertes répétées sur la souveraineté des données de santé, ce projet illustre l’incapacité de l’État à concrétiser ses ambitions. Le député ne mâche pas ses mots sur la gouvernance actuelle : « Il y a une sorte d’arrogance de la part de la plateforme qui explique aux entrepôts de données de santé, des CHU de province, ben, on va vous prendre vos données, puis on vous rémunérera peut-être un jour ». Plus grave encore, la réversibilité promise n’a jamais été préparée : « Ça fait trois ans et demi qu’on leur demande de préparer la migration […] ils vont suer sang et eau pour pouvoir faire la réversibilité à toute vitesse. Mais c’est leur faute ! ». Philippe Latombe plaide pour un changement radical avec un modèle décentralisé qui redonne leur place aux CHU et aux chercheurs de province, car « la recherche, elle ne se passe pas qu’à Paris ».

Second exemple, les conséquences financières de notre trop grande dépendance. « Faire payer 20% de plus la licence pour mettre du copilot qui ne fonctionne pas, on va être très honnête, c’est un peu de l’arnaque ». Le député y voit une stratégie délibérée pour financer les investissements dans l’IA sur le dos des clients captifs. Cette situation illustre parfaitement le piège de la dépendance : « Quand ils sont en position dominante ou de monopole, toute augmentation de tarif vous est répercutée immédiatement en budget en baisse, en rentabilité en baisse ».

Enfin, pour notre invité, l’affaire VMware-Broadcom cristallise également les dangers de la dépendance : « Ils ont flairé le bon filon, ils se sont dit, on va racheter un truc qui est monopolistique, on augmente les tarifs parfois en les multipliant par 7 ».

Face à ces “adhérences”, le député appelle à identifier systématiquement les points de vulnérabilité et à développer des solutions de contournement.

La nécessité d’une filière cybersécurité souveraine

Philippe Latombe milite activement pour la création d’une « base industrielle et technologique de cybersécurité (BITC) », sur le modèle de ce qui existe pour la défense. Face à la concentration du secteur et aux rachats par des acteurs étrangers, comme celui de Vade par Proofpoint, il alerte : « ce qui s’était passé sur le cloud et sur les suites collaboratives et sur les OS est en train d’arriver dans la cyber ».

L’IA, une chance à saisir pour la France

Sur l’intelligence artificielle, Philippe Latombe reste optimiste malgré l’écart d’investissement avec les États-Unis. La France dispose d’atouts : “des très bons ingénieurs“, “des données de très bonne qualité” et surtout des données “naturelles” non altérées par l’IA. Mais il manque “la puissance de calcul” et il faut éviter le saupoudrage : « Il faut qu’on cible 2-3 grands acteurs et qu’on leur donne de la commande publique ».

L’Europe, seul horizon possible

Pour Philippe Latombe, la souveraineté numérique ne peut s’envisager qu’à l’échelle européenne : « On ne pourra avoir une autonomie stratégique qu’au niveau européen ». Mais cela suppose de convaincre nos partenaires avec des produits compétitifs : « On ne leur fera pas acheter du logiciel français si on n’est pas meilleur que les autres ».

Le député conclut sur une note d’espoir, notant que « le gros avantage de Trump, c’est qu’il n’a pas changé fondamentalement la politique des États-Unis mais qu’il dit les choses de façon tellement brutale que ça réveille tout le monde ». Un électrochoc salutaire pour accélérer la construction d’une Europe numérique souveraine, en somme.


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