

Newtech
Le MIT dessine le paysage de l’informatique quantique en 2025
Par Laurent Delattre, publié le 25 août 2025
L’informatique quantique avance à petits pas entre promesses technologiques, avancées académiques et réalités industrielles. Dans le brouhaha médiatique orchestré par les grands acteurs américains, le MIT tente de mettre de l’ordre et un éclairage plus concret avec son Quantum Index report 2025.
L’informatique quantique est encore loin d’être une réalité pour les entreprises. Elle est néanmoins devenue un peu plus concrète et tangible avec l’accès à de nombreux prototypes via des services QaaS (Quantum as a Service) dans le Cloud mais aussi via de premiers développements logiciels (cf. ColibriTD) qui loin de démontrer la supériorité quantique démontre que l’on commence déjà à progresser sur la partie logicielle et pas uniquement sur le développement hardware.
Le nouveau Quantum Index Report 2025 du MIT, cosigné avec Accenture, tente de démystifier le paysage actuel et d’évaluer la maturité de la technologie afin d’aider les entreprises à préparer une stratégie quantique mais aussi d’éclairer les défis de souveraineté numérique qui s’annoncent. Car l’Europe ne peut se permettre de se laisser distancer. Elle dispose de toutes les compétences requises mais peine du côté des investissements.
Le rapport du MIT survient alors qu’un papier de recherche de Peter Gutmann et Stephan Neuhaus accusent certains chercheurs quantiques d’avoir triché dans les benchmarks notamment pour gonfler l’état de l’art en matière d’informatique quantique et engendrer une urgence vers le besoin d’un chiffrement post-quantique qui, selon eux, ne devrait pas être la priorité du moment. Un papier qui s’appuie sur des publications et benchmark désormais relativement anciens et qui est exploité par certains pour décrier les progrès de l’informatique quantique bien au-delà du spectre très orienté « algorithme de Shor » des auteurs. Une polémique qui une nouvelle fois remet en lumière le gouffre abyssal qui sépare le marketing du quantique de certaines entreprises américaines et la réalité de la R&D dans les centres de recherches quantiques.
Aussi la lecture du rapport du MIT/Accenture tombe-t’il à point nommé pour remettre un peu de réalité tangible dans les débats partisans portés par les réseaux sociaux et redonner quelques perspectives aux DSI.
Des progrès réels, mais lents
Le rapport du MIT montre que désormais plus de 40 processeurs quantiques (ou QPU) sont « commercialement » disponibles auprès d’une vingtaine de fabricants. Les États-Unis sont en tête en termes de nombre et de diversité de machines. La France fait partie du groupe de tête européen, avec entre 3 processeurs quantiques (QPU) commercialement disponibles. Mais le MIT considère aussi qu’en terme de futurs prototypes et QPU annoncés, la France suit de près la Chine pour revendiquer la deuxième place mondiale.

Le rapport met aussi en avant la pluralité des approches notamment aux USA. Et si plusieurs approches (modalités) coexistent (supraconducteurs, ions piégés, photonique, atomes neutres), pour le MIT aucun vainqueur clair n’a encore émergé. Chaque technologie présente des compromis distincts entre maturité des technologies, vitesse, fidélité et nombre de qubits. On notera quand même que les solutions à base de super-conductivité constituent près de 50 % des QPU aujourd’hui disponibles mais le rapport signale tout de même une forte progression des solutions à base d’atomes neutres et de spin d’électrons à court terme.

Selon le rapport, « les QPU progressent de manière impressionnante, mais restent loin des exigences nécessaires pour exécuter des applications commerciales à grande échelle ». Et les auteurs soulignent surtout une réalité déjà évoqué dans nos colonnes et très visible dans la roadmap d’IBM : les créateurs du QPU ont abandonné la course aux nombres de qubits.
Les fabricants de machine quantique poursuivent en effet désormais deux pistes plus prioritaires : d’une part l’amélioration de la correction d’erreurs, des fidélités et des vitesses de portes et d’autre part l’élaboration de « qubits logiques » les plus économiques possibles.

Une recherche européenne reconnue
Sur le plan scientifique, l’Union européenne pèse 22 % des publications en calcul quantique, loin derrière le duo États-Unis/Chine qui cumule près de la moitié des travaux. La France contribue à hauteur de 2 % du volume total des publications mondiales mais, surtout, le pays produit 2 % des publications les plus citées dans ce domaine, se plaçant ainsi dans le groupe des nations à fort impact. Néanmoins, et c’est assez surprenant, même si son H-Index (indice de Hirsch évaluant la profondeur et l’influence des programmes de recherche) de 31 se révèle finalement inférieur à celui de l’Allemagne (43) et du Royaume-Uni (46), tandis que les États-Unis creusent l’écart à 104, devant la Chine (61). Alors que nous avons des pépites ultra-renommées comme Pasqal, Alice & Bob et Quandela, on peut se demander si finalement les chercheurs français publient suffisamment alors même que leurs travaux semblent se concrétiser mieux qu’ailleurs.

Parmi les 10 % d’articles les plus cités en informatique quantique, les États-Unis détiennent la plus grande proportion de publications avec 34 %. La Chine suit avec la deuxième proportion la plus élevée, soit 16 %. L’Union européenne représente environ 17 % du total mondial.

Propriété intellectuelle et brevets
Le MIT s’est aussi intéressé à un autre aspect de la course géopolitique et économique de l’informatique quantique : les brevets. Car la pression concurrentielle s’exprime aussi sur la propriété intellectuelle. Entre 2016 et 2021 le nombre de brevets quantiques déposés a progressé de 300%. La Chine détient 60 % des brevets en technologies quantiques en 2024, les États-Unis restent seconds, et le Japon se hisse au troisième rang parmi les pays. Dans le calcul quantique stricto sensu, les entreprises et les universités concentrent 91 % des brevets — signe que la course reste avant tout un jeu d’acteurs structurés et capitalisés. En Europe, la dynamique est plus morcelée : aucun pays européen n’apparaît dans le trio de tête, et une part non négligeable des dépôts transite par des voies régionales (OMPI/WIPO) et l’Office européen des brevets (EPO), ce qui rend les comparaisons « par pays » moins lisibles.

Des investissements européens qui ne font pas le poids
606 millions de dollars. C’est, sur la période 2012–2024, le cumul des financements annoncés en capital-risque pour les entreprises quantiques françaises, selon le Quantum Index Report 2025 du MIT. Un montant honorable qui place la France dans le milieu du peloton mondial, derrière les États-Unis (4,94 Md$) et le Royaume-Uni (1,6 Md$), et au coude-à-coude avec les Pays-Bas (540 M$), l’Australie (412 M$) ou la Chine (398 M$). Mais cette dernière mène une stratégie d’État très volontariste, avec un effort public estimé à 15 Md$ et des feuilles de route centralisées qui accélèrent la montée en capacité.
Un montant qui illustre aussi le problème d’échelle entre l’Europe et ses concurrents.

Le rapport note aussi que le financement par capital-risque a atteint un nouveau sommet en 2024, bien qu’il représente moins de 1 % du financement total du capital-risque mondial. Les entreprises de hardware de calcul quantique ont attiré la part du lion avec 1,6 milliard de dollars en 2024.
La clé de la formation
Côté formation, l’Allemagne devance le monde sur les masters intégrant “quantum” dans l’intitulé, suivie du Royaume-Uni et des États-Unis ; ces trois pays concentrent 45 % des masters “quantum” au niveau mondial. La France se classe quand même dans le top 5 mondial pour l’offre de formations spécialisées, proposant 6 programmes de master dont le titre inclut spécifiquement le mot “quantique”.
Selon Jonathan Ruane, rédacteur en chef du rapport, inspirés par « la vitesse à laquelle l’IA transforme aujourd’hui les industries », beaucoup de DSI ont pris conscience que « les technologies qui mijotent en arrière-plan peuvent exploser très rapidement et avoir un impact considérable ».
Aussi, beaucoup de DSI « s’intéressent à ce qui se passe dans le quantique… et veulent s’assurer d’avoir les perspectives nécessaires pour ne pas se faire surprendre et rater la prochaine grande révolution ». C’est tout l’intérêt de ce rapport qui constate « un progrès rapide et des développements selon plusieurs axes ainsi qu’un impact dans un large éventail de domaines qui sont importants pour les dirigeants d’entreprise ».
À LIRE AUSSI :

À LIRE AUSSI :

À LIRE AUSSI :
