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IBM affine sa roadmap vers l’informatique quantique tolérante aux fautes (FTQC) [MAJ]
Par Laurent Delattre, publié le 12 juin 2025
IBM consolide sa position de leader en livrant une trajectoire technologique précise vers l’informatique quantique à grande échelle, où fiabilité et modularité deviennent indissociables. Et le constructeur est persuadé de pouvoir disposer d’une première machine FTQC dès 2029. En attendant sa nouvelle roadmap nous promet une vraie démonstration pratique de l’avantage quantique en 2026.
En matière de quantique, IBM est à peu près la seule société à respecter relativement les roadmaps et échéances qu’elle se fixe. Et tous les deux ans environ, IBM revient sur le devant de la scène avec une roadmap toujours plus riche, toujours plus complète et, surtout, toujours plus ambitieuse.
La roadmap mise à jour cette semaine par IBM peaufine des échéances annoncées 18 mois plus tôt et surtout confirme sa conviction et sa volonté de pouvoir produire sa première machine quantique de génération FTQC, autrement d’ordinateurs quantiques tolérants aux erreurs, en 2029 avec sa machine « Starling ». Et IBM est désormais très confiant sur l’échéance 2033 avec les premières vraies machines FTQC de production destinées aux entreprises.
On le sait, la correction d’erreur est le problème central qui freine aujourd’hui le développement d’une informatique quantique pratique. Et en la matière IBM a fait des progrès remarquables ces derniers mois d’une part en fiabilisant ses qubits actuels (notamment sur les machines Heron R2) et d’autre part en développant un algorithme de gestion de qubits logiques dénommé qLDPC qui, selon IBM change la donne.
« Nous avons percé le code de la correction d’erreur quantique et c’est maintenant une question d’ingénierie pour construire ces machines, plutôt que de science », affirme Jay Gambetta, vice-président d’IBM Quantum.
Dit autrement, IBM considère désormais avoir résolu les principaux défis scientifiques fondamentaux et se concentre sur leur mise en œuvre pratique.
Au cœur de cette percée se trouve une nouvelle architecture basée sur les codes de correction d’erreur à faible densité de parité quantique (qLDPC). Cette nouvelle approche réduit d’environ 90% le nombre de qubits physiques nécessaires par rapport aux codes de surface traditionnels jusqu’ici utilisés pour la correction d’erreurs et la création de qubits logiques. Là où ces derniers nécessitent environ 1000 qubits physiques pour créer un qubit logique fiable, la nouvelle méthode d’IBM n’en requiert qu’une centaine.
Une roadmap FTQC de plus en plus détaillée
Le chemin vers Starling passe par plusieurs étapes intermédiaires soigneusement planifiées.
* Dès cette année, IBM lancera Loon, un processeur doté de “coupleurs C” permettant de connecter des qubits distants sur une même puce.
* En 2026, Kookaburra introduira le premier module capable de stocker et traiter l’information encodée.
* Cockatoo suivra en 2027, démontrant la capacité d’interconnecter plusieurs modules via des “coupleurs L”, éléments essentiels pour construire un système modulaire à grande échelle.
Un aspect crucial souvent négligé concerne le décodage en temps réel des syndromes d’erreur. IBM a développé un décodeur appelé Relay-BP qui peut fonctionner sur des FPGA ou ASIC conventionnels, réduisant les besoins de calcul d’un facteur 5 à 10 par rapport aux approches concurrentes. Cette efficacité est vitale car sans décodage rapide, la correction d’erreur devient impossible en pratique.
Surtout, pour rendre plus efficace sa correction qLDPC et permettre l’évolutivité vers des systèmes à plusieurs milliers de qubits logiques (qubits corrigés), IBM a découvert qu’il valait mieux disposer les qubits selon une typologie fermée en forme de Tore (comme un beignet) plutôt que sur une grille ouverte comme elle le faisait jusqu’ici avec ses processeurs comme Falcon et Heron.
Cette disposition en grille fermée torique (les bords de la grille sont ainsi connectés entre-eux) permet une connectivité plus uniforme et une meilleure tolérance aux fautes. Dans cette “topologie en tore”, tous les qubits ont le même nombre de voisins, même ceux aux “bords” (puisqu’ils qui n’existent plus).

L’idée d’IBM est de composer des “modules quantiques” s’appuyant sur un tore de 288 qubits physiques donnant vie à 12 qubits logiques (via l’algorithme qLDPC) !
Chaque module comporte :
– un tore de qubits physiques (encodant 12 qubits logiques);
– des circuits logiques permettant la communication interne entre les qubits (C-Couplers) et la communication externe (avec les qubits d’autres modules, via des L-Couplers);
– des interfaces de contrôle, pour piloter les qubits physiques, lire les résultats, synchroniser les modules entre eux et même assurer la communication avec l’informatique classique;
– une mémoire quantique (quantum memory) qui stocke les qubits logiques;
– un LPU (Logical Processing Unit) pour exécuter les opérations quantiques sur les qubits logiques;
– un packaging cryogénique, autrement dit chaque module est encapsulé dans un boîtier qui fonctionne à des températures proches du zéro absolu et qui est conçu pour minimiser les interférences et maximiser la stabilité.

Ensuite, IBM assemblera ses machines quantiques en multipliant de tels modules. Dans la feuille de route d’IBM, le processeur Loon doit commencer à inaugurer la topologie Tore et les premières briques d’un module typique tel qu’imaginé. Avec Kookaburra, IBM concrétisera le LPU et la mémoire quantique pour obtenir un module presque complet. Avec Cockatoo, IBM démontrera la combinaison de modules via les coupleurs-L et sa capacité à intriquer deux qubits logiques de deux modules séparés.

Objectif de toute cette roadmap “Innovation” autour de qLDPC, de la topologie torique, et des modules : aboutir en 2028 à la construction du premier prototype de « Starling », première machine estampillée « FTQC » d’IBM. L’architecture modulaire permettra de connecter une vingtaine de modules pour atteindre les 200 qubits logiques promis avec une profondeur de circuits de 100 000 portes !
Le nouveau système sera construit dans un centre de données quantique à Poughkeepsie, New York. « Nous avons déjà commencé à construire l’espace », précise Jay Gambetta.

Une deuxième roadmap NISQ
Parallèlement à cette feuille de route orientée correction d’erreur qui doit nous conduire à l’ordinateur FTQC, IBM développe une autre feuille de route dédiée à l’informatique NISQ (Noisy Intermediate-Scale Quantum) actuelle afin de prouver le plus rapidement possible la réalité de l’avantage quantique. C’est celle de Nighthawk, avec une première version de ce processeur de 120 qubits physiques à connectivité élevée utilisant une architecture en grille carrée (plutôt que l’architecture hexagonale actuelle). Cette configuration « en carré » plus dense permet une connectivité accrue entre qubits, multipliant par 16 la profondeur effective des circuits quantiques. Objectif : rapidement arriver à une première vraie application quantique utile et pratique démontrant l’avantage quantique (avec un traitement réalisé en quelques minutes plutôt que quelques mois ou années).
La première version de Nighthawk est attendue dès cette année. Elle doit permettre d’exécuter des circuits quantiques contenant jusqu’à 5000 portes quantiques à deux qubits, avec un niveau de précision suffisant pour enfin produire des résultats utiles avec une machine quantique. Pour rappel, plus un processeur peut exécuter de portes sans erreurs fatales, plus il peut résoudre des problèmes complexes. En moyenne, la plupart des machines quantiques d’aujourd’hui (Rigetti, IonQ, Quantinuum H1 et H2) gère, sur le papier, entre 1000 et 1500 portes à deux qubits. Avec Nighthawk, IBM veut travailler d’abord sur la fiabilisation de chaque qubit physique et sur la profondeur des circuits quantiques plutôt que sur le nombre de qubits. [Rappel : Une porte quantique est une opération élémentaire appliquée à un ou plusieurs qubits, vaguement l’équivalent quantique d’une porte logique classique comme AND, OR, NOT). Ce travail sur la profondeur des circuits réalisés avec Nighthawk sur plusieurs années doit venir aussi enrichir les travaux menés sur l’informatique FTQC.

« Nous pensons que Nighthawk sera la plateforme utile pour explorer les premiers cas de véritable avantage quantique, et nous travaillons et continuerons de travailler pour améliorer continuellement sa qualité et sa connectivité. D’ici 2028, Nighthawk sera capable d’exécuter des circuits avec 15 000 portes, et nous pourrons connecter jusqu’à 9 modules avec des coupleurs L pour réaliser 1 080 qubits interconnectés » affirme Jay Gambetta.
IBM prévoit que les premières démonstrations d’avantage quantique – où les ordinateurs quantiques surpasseront les classiques pour certaines tâches – apparaîtront dès 2026 avec cette plateforme. Pour rappel, l’éditeur français ColibriTD, partenaire quantique d’IBM, a développé un solveur d’équations différentielles sous forme de Qiskit Function déjà opérationnel sur les machines Heron R2 d’IBM. L’éditeur compte justement sur Nighthawk pour démontrer dès 2026 l’avantage quantique grâce à son solveur sur les applications pratiques de simulation d’écoulement de fluides ou de déformation de matériaux.
Un quantique déployé à grande échelle dès 2033
Tous ces développements doivent conduire IBM vers Blue Jay à l’horizon 2033, un système à 2000 qubits logiques capable d’exécuter un milliard d’opérations. Pour mettre ces chiffres en perspective, IBM affirme que représenter l’état computationnel de Starling nécessiterait la mémoire de plus d’un quindécillion (10^48) des superordinateurs les plus puissants au monde.

Cette annonce intervient dans un contexte de compétition intense. Google, Microsoft, Amazon Web Services, OVHcloud mais aussi des startups comme IonQ, Rigetti, Atom Computing, PsiQuantum, Infleqtion, Quatinuum, QCI et plusieurs startups françaises très en vue, comme Alice & Bob, Quandela, C12 et Pasqal, travaillent également sur la correction d’erreur quantique, mais selon IBM, aucun n’a présenté de plan aussi détaillé et complet.
La transparence de l’approche d’IBM, avec des jalons précis et des publications techniques détaillées, contraste avec le secret qui entoure souvent ce domaine. Tout comme la régularité d’IBM à respecter les échéances de sa roadmap depuis désormais près de 10 ans.
Ces développements d’IBM démontrent l’approche d’une ère où l’informatique quantique pourrait menacer les systèmes de cryptographie actuels tout en offrant des opportunités pour la découverte de médicaments, la science des matériaux et l’optimisation complexe. La timeline jusqu’à 2029 offre une fenêtre pour préparer les infrastructures et développer les compétences nécessaires, d’autant qu’IBM prévoit de rendre Starling accessible via le cloud dès son lancement.
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