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Les champions du logiciel made in France

Par La rédaction, publié le 03 avril 2013

Cinquième pays éditeur de logiciels, la France est un vivier unique de talents et de savoir-faire. Souvent à l’étroit sur le marché hexagonal, de plus en plus d’entreprises nationales exportent une “ French touch ” reconnue partout dans le monde.

Voilà un secteur qui ne connaît pas la crise ! Entre 2010 et 2011, les éditeurs de logiciels français avaient déjà fait bondir leur chiffre d’affaires de 12 % en moyenne selon Syntec numérique. Et l’année 2012 a confirmé la tendance. Les deux poids lourds du secteur, Dassault Systèmes et Ubisoft, ont ainsi vu leurs ventes croître respectivement de 14 et 20 %. Certes, malgré la présence de ces colosses, l’édition logicielle française affiche encore une taille modeste vis-à-vis de la concurrence européenne et, surtout, américaine.

Avec 50 000 salariés, l’ensemble du secteur réalise un chiffre d’affaires total de 7,5 milliards d’euros. C’est seulement 8 % du chiffre d’affaires de l’Américain Microsoft, le premier éditeur mondial ! Mais cela n’empêche pas nos sociétés de rayonner dans le monde entier. Aujourd’hui, le chiffre d’affaires de l’ensemble des éditeurs français provient pour 23 % de l’export. La “ French touch ” est mondialement appréciée. A cela, trois explications : la qualité de nos ingénieurs, un écosystème qui pousse à l’innovation, et la naissance de nouveaux business models qui incitent un nombre toujours croissant d’entrepreneurs à se lancer.

Une appellation qui devrait l’aider à doper son chiffre d’affaires (13,3 millions d’euros en 2011) en développant ses exportations. Il n’a pas le choix : dès lors qu’un client français dispose lui-même d’une présence globale, il exige des fournisseurs internationalement reconnus. Cela tombe bien : les étrangers sont nombreux à apprécier la qualité des ingénieurs formés sur notre sol. “ Le goût des Français pour les maths n’est pas une légende ”, résume Pierre Baylet, directeur du développement de l’Institut Mines-Télécom, qui chapeaute 11 grandes écoles.

L’Hexagone n’est-il pas le pays des 11 médailles Fields, l’équivalent du prix Nobel pour les maths, en deuxième position derrière les Etats-Unis ? “ Le socle scientifique fondamental de nos ingénieurs est bien plus solide que celui de leurs homologues d’outre-Atlantique ”, affirme le responsable. Dans la plupart des systèmes éducatifs, en effet, les élèves sont formés à utiliser des applications : on leur donne des recettes, mais ils n’apprennent pas à cuisiner. La formation à la française, elle, se fonde sur un apport théorique solide dès les classes préparatoires. “ Résultat, les ingénieurs français s’adaptent bien plus vite aux nouvelles technologies. Ils ont les clés pour comprendre. ”

Jean-Michel Bérard, président du directoire et fondateur d’Esker, éditeur spécialiste de la dématérialisation, partage ce constat. Après avoir acquis successivement quatre concurrents américains, Esker réalise 40 % de son chiffre d’affaires de l’autre côté de l’Atlantique. Pourtant, il ne lui viendrait pas à l’idée d’y transférer sa R&D. “ Les ingénieurs sont plus créatifs en France ”, affirme le fondateur. Moins chers aussi, et moins opportunistes, ajoute un autre fin connaisseur du secteur. Ce cocktail de rigueur mathématique et de créativité explique pourquoi les éditeurs français excellent sur les créneaux ultra-techniques comme l’imagerie 3D, les jeux ou encore l’informatique financière.

La France peut aussi compter sur une des traditions d’incitation fiscale à l’innovation les plus avantageuses au monde. Nos entrepreneurs bénéficient du dispositif Jeune entreprise innovante (exonération d’impôt et de charges sociales lorsque la R&D représente plus de 15 % des charges) ou du Crédit d’impôt recherche. Plus récemment, le gouvernement Ayrault a inauguré le Prêt pour l’innovation (PIP) qui attribue à des PME innovantes entre 30 000 et 1 500 000 euros, remboursables à partir de la troisième année. Ce terreau a permis de changer l’image de l’entrepreneur dans la société. De plus en plus de jeunes sont tentés de se mettre à leur compte sans passer par la case salariat. “ La plupart des étudiants sortent de l’école avec le désir de travailler pour une start up dans le Web, le commerce en ligne ou les télécoms, ou d’en créer une ”, témoigne Patrick Bertrand, l’ex-président de l’Afdel (Association française des éditeurs de logiciels).

La dématérialisation des logiciels facilite la création d’entreprise

Aujourd’hui, la plus belle succes story du logiciel français s’appelle Criteo. Fondé en 2005, il s’est spécialisé dans le ciblage publicitaire sur Internet. En 2009, son chiffre d’affaires atteignait à peine 6,7 millions d’euros. Il devrait dépasser les 300 millions d’euros sur l’exercice 2012 ! L’activité de Criteo repose entièrement sur des logiciels développés par des ingénieurs français. Pourtant, son fondateur, Jean-Baptiste Rudelle, refuse de classer sa société dans la catégorie des éditeurs. “ Criteo ne vend pas du logiciel, mais du clic, comme Google. Peu importe la technologie pour le client ”, défend-il.

Criteo illustre parfaitement la mutation profonde du marché du logiciel. La généralisation du modèle Saas (Software as a Service) rend en effet caduc le modèle précédent consistant à vendre des boîtes, et qui obligeait à faire d’abord ses preuves sur le marché hexagonal. Désormais, la dématérialisation permet aux entrepreneurs qui se lancent de raisonner immédiatement à l’échelle globale. Les catégories se brouillent. Faut-il considérer des champions français tels Deezer (musique en ligne), Viadeo (réseau social) ou Dailymotion (vidéos) comme des éditeurs de logiciels ou des prestataires de service ?

Pour Guy Mamou-Mani, président de Syntec numérique, la question ne se pose plus. “ Avec le Saas, le cloud ou le big data, la mutation des business models rebat les cartes et crée des opportunités. Vendre des licences ? C’est dépassé ! Bientôt, on paiera pour le numérique selon sa consommation, comme l’électricité. ” C’est pourquoi parmi les nombreuses start up qui éclosent sur notre sol, se trouve sans doute le Google ou le Microsoft de demain.

Les géants américains croquent nos plus belles pépites

Début janvier, la start up française Virtuoz, ses 75 salariés et sa technologie d’agents virtuels intelligents sont passés sous pavillon américain. Virtuoz, qui conçoit des avatars virtuels chargés de répondre aux internautes, avait été fondé en 2004 par trois jeunes polytechniciens férus d’algorithmes et de sémantique. Leur création avait été saluée, il y a deux ans, par le prix d’excellence technologique Oséo et une première place au palmarès Deloitte Fast 50 des entreprises innovantes françaises les plus performantes.

L’acheteur se nomme Nuance, c’est un géant des technologies de reconnaissance vocale dont le chiffre d’affaires dépasse 1,6 milliard de dollars. Et si le montant de la transaction n’a pas été révélé, Alexandre Lebrun, fondateur et PDG de Virtuoz, se dit satisfait de cette opération qui garantit l’avenir de sa technologie. “ Nous avions réalisé un bon produit, mais nous étions une petite société avec seulement deux ou trois commerciaux. Le mariage avec Nuance permettra de le faire connaître au monde entier ”, assure-t-il. Virtuoz n’est pas un cas unique.

“ Quasiment toutes les jeunes pousses issues des laboratoires de l’Inria ont été rachetées par des éditeurs américains. Tant mieux pour leurs fondateurs, mais dommage pour l’écosystème français ”, témoignait récemment un dirigeant de l’institut. Parmi les pépites auxquelles il pense, on dénombre notamment Kelkoo, acquis par Yahoo en 2004 pour 475 millions de dollars, ou encore Ilog, le spécialiste de la gestion des processus métier, avalé en 2008 par IBM pour 275 millions d’euros.

Cette même année, deux autres acteurs majeurs du logiciel français changeaient de nationalité : Business objects était absorbé par l’Allemand SAP pour 4,8 milliards d’euros, et GL Trade par l’Américain Sungard pour 400 millions d’euros. Plus récemment, en juillet dernier, c’est la start up hexagonale Sparrow qui se faisait croquer par Google pour 25 millions de dollars.

Peut-on parler de razzia ? “ Ne généralisons pas ”, tempère Patrick Bertrand, directeur général de Cegid et fin connaisseur de l’industrie logicielle. “ Chacune de ces transactions répondait à des logiques différentes. C’est la preuve, toutefois, que les Américains sont parfaitement conscients de la valeur de l’expertise française. Le point négatif de ce phénomène est qu’il empêche la création de grands acteurs hexagonaux ”, déplore l’ancien président de l’Afdel.

Pour tous les éditeurs français, petits ou grands, les Etats-Unis sont de toute façon un passage obligé. Le marché y est 15 fois plus grand que chez nous et les financements plus nombreux et plus faciles à obtenir. Les stars du secteur se trouvent là-bas. Sur les 100 plus gros éditeurs mondiaux, 74 sont américains. “ Dans le logiciel, tout le monde doit être aux Etats-Unis. Car si l’on réussit outre-Atlantique, on peut réussir partout ailleurs ”, témoigne Christophe Fabre, directeur général d’Axway, le quatrième éditeur français qui, pour cette raison, s’est installé à Phoenix en Arizona. Même raisonnement chez Cast, Talend, Bonitasoft ou Criteo, dont les patrons se sont expatriés… en prenant soin malgré tout de laisser leur équipes de R&D dans l’Hexagone.

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