Gouvernance

Money, it’s a gas…

Par Mathieu Flecher, publié le 03 février 2019

Très régulièrement le torchon brûle entre éditeurs et sociétés utilisatrices. Régulièrement ? En fait, j’ai toujours connu cela. Un rapport de force entre les deux parties, un maintien fragile de l’équilibre entre maîtrise des coûts chez les DSI et profit chez les éditeurs. Dernièrement, sur BFM TV, Frédéric Simottel relevait l’action récente du Cigref sur le sujet. Un sujet par ailleurs régulièrement abordé dans les colonnes d’IT for Business.

Par Mathieu Flecher (*)

Chaque rupture technologique a été découverte par un concours de circonstances – le syndrome tarte tatin – ou la présence d’un agrégat de technologies qui, mises bout à bout, viennent ouvrir le champ des possibles. Internet et le mode SaaS sont ainsi venus améliorer notre quotidien, et les éditeurs s’en sont majoritairement servi comme levier commercial. Les premiers mots qui me viennent à l’esprit sont « emprisonnement du client », « meilleur profit et sécurisation», « auto-promotion ».

Je ne veux en rien stigmatiser Microsoft, dont je suis – par la force des choses – client, mais pour illustrer les propos de façon concrète pour une meilleure compréhension, il me semble judicieux de prendre les contrats Office 365 en exemple.
Nous étions déjà tous tributaires de Microsoft quand Office 365 est sorti. Désormais, les contrats se renouvellent presque automatiquement et emprisonnent encore plus nos pratiques. Il est extrêmement difficile de changer. Et quand bien même nous le ferions, ce serait un peu quitter la proie pour l’ombre. Le problème resterait entier sur la dépendance à Google. Et puis, il faut avouer que renouveler un contrat, quel qu’il soit, et encore plus en mode SaaS, est d’une facilité déconcertante et permet d’un point de vue technologique de rester dans une continuité et d’éviter les déploiements de type big bang. Rien ne change ou presque sur les postes des utilisateurs – ni surtout dans leurs habitudes – et la mise à jour des logiciels se fait de façon quasi transparente.

Côté argument « meilleur profit et sécurisation », fournir un service en mode SaaS, c’est pousser à l’extrême la dématérialisation des produits en services : plus de boîte, plus de distributeur, plus de magasin, plus de livraison. Des économies structurelles qui viennent améliorer la marge de façon drastique. Le modèle SaaS devient donc une vraie mine de profitabilité pour les éditeurs. J’ai récemment eu aussi cet échange avec des gens d’Oracle qui poussent la version SaaS de leur ERP, sans réellement m’avoir convaincu de l’intérêt, outre l’évocation de grands concepts abscons de « souplesse », « granularité », « scalabilité »… Concrètement, j’ai parfois la nette sensation que les commerciaux sont entraînés pour ne pas répondre aux questions que vous leur posez.

Enfin, la partie « auto-promotion » du mode SaaS, c’est en fait un mode d’utilisation qui vous permet d’avoir une vitrine de type Try & Buy. Quand sur un portail Office.com vous retrouvez des logiciels que vous n’avez pas acheté, mais qui sont disponibles à l’essai, vous être très largement tenté d’en profiter. Et si ce n’est pas vous qui le faîtes, vos utilisateurs s’en chargeront. Donc quelle plus belle vitrine pour Microsoft que d’afficher ses produits sur la page d’accueil des utilisateurs. Plus efficace que de la pub traditionnelle. Comme je l’avais écrit courant 2018 dans un autre article, il est primordial dans ce type de contrats de voir non seulement la souplesse que ceux-là offrent, mais surtout de bien anticiper les écueils à venir par rapport aux contrats classiques.

Le critère sur lequel je suis le plus sensible est la renégociation de fin de contrat. En effet, une fois captif d’un Microsoft et avec toute la difficulté que l’on a à en sortir, vos marges de négociation sont drastiquement réduites. Microsoft sait que vous allez rester. Le seul exercice périlleux pour eux est de pouvoir faire passer la hausse la plus forte possible, mais néanmoins acceptable pour le client… Et vous, jusqu’où êtes-vous prêt à aller en termes de pourcentage de hausse pour ne pas être embêté par une remise en cause de votre éditeur ? 10 % ? 20 % ? 30 % ? Je n’ai pas dans l’idée que tous les ans, sous couvert de développer toujours de meilleurs produits innovants, la R&D chez Microsoft augmente d’autant…

C’est en tout cas une partie difficile à gérer pour les DSI. D’autant que dans cette renégociation, non seulement vous y incluez le tarif, mais il faut surtout essayer – avec Microsoft comme avec un autre – de caper la hausse potentielle si le contrat est renouvelé. D’autres astuces ? Prendre un contrat plus long… Lors de la renégociation, il est aussi important de pouvoir comprendre les clauses d’utilisation. Sans citer un éditeur en particulier, les contrats et les CGU sont très souvent complexes et difficiles à interpréter pour nous, DSI, mais aussi même pour les commerciaux des éditeurs. Pour citer un DSI dont je suis proche, « dès qu’un commercial est capable d’expliquer les CGU à son client, celui-ci passe sur un autre contrat ». Au-delà de la boutade, force est de constater que, malheureusement, la complexité des contrats vient aussi faciliter les conclusions des audits de compliance : il n’est pas rare que ceux-ci relèvent un non-respect des clauses contractuelles, dû à une méconnaissance du contrat.

Moralité de tout cela, derrière une facilité apparente, n’oubliez jamais que les éditeurs sont avant tout des marchands et qu’il serait ingénu de vouloir croire qu’ils développent des produits pour le bien commun. Et en pensant à eux, chantons en coeur les paroles de Money, des Pink Floyd : « Money, it’s a gas. Grab that cash with both hands and make a stash » (L’argent, c’est le pied. Chope ce cash des deux mains et mets-le de côté). Bonne année !

(*) Mathieu Flecher est le pseudonyme d’un DSI bien réel.
mathieu.flecher at gmail.com

Dans l'actualité

Verified by MonsterInsights