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Open data : ouvrir ses données au public, ça peut rapporter gros

Par La rédaction, publié le 21 août 2013

Les administrations ne sont plus les seules à rendre publiques les informations qu’elles détiennent. Désormais, les entreprises y voient aussi le moyen de développer des services innovants.

Fini la mauvaise surprise des trains de banlieue bondés. Depuis quelques jours, SNCF met à disposition de ses usagers une application mobile les renseignant sur l’affluence des rames de train. Grâce à elle, par exemple, les salariés travaillant dans le quartier d’affaires de La Défense sauront quel est le wagon le moins bondé.

Tranquilien c’est le nom de cette appli-contribuera également à la bonne gestion de l’affluence par les voyageurs, qui pourront indiquer depuis leur smartphone le taux d’occupation de leur voiture. Un tel système prédictif n’aurait jamais vu le jour si SNCF n’avait pas partagé certaines de ses données. En effet, Tranquilien est le premier cas français concret de ce que l’on appelle l’open data (l’ouverture des données) proposé par une entreprise. En clair, elle a rendu accessible une partie de ses informations dans un format réutilisable par d’autres afin d’en faire profiter le plus grand nombre.

Aujourd’hui, cette démarche concerne avant tout les administrations, qui sont de plus en plus contraintes par la loi à la transparence. Les principales villes de France et les ministères ont déjà commencé à publier des données sur les transports, la topographie, les services publics, les marchés signés ou encore les budgets. En plus de sa vertu démocratique, la libération des informations contribue à l’émergence de nouvelles activités imaginées par ceux qui les exploitent, que ce soient des développeurs, des start up ou des chercheurs.

Graines de services. Cette perspective économique suscite un intérêt grandissant des entreprises. Certes les banques, pour leurs transactions, ou le secteur automobile, pour la production, n’ont pas attendu l’arrivée de ce concept pour échanger avec leurs partenaires économiques. Mais la logique de l’open data va bien au-delà. Il s’agit de diffuser les données sans présupposer de leur utilisation future. A charge pour les acteurs de l’innovation de s’en emparer et de créer de nouveaux services. Quelles sont les sociétés concernées au premier chef ? “ Les délégataires de services publics (DSP), dans les mondes du transport, de l’énergie, de l’eau ou des déchets ”, répond Chloé Bonnet, cofondatrice du cabinet Five by Five, structure spécialisée dans l’open data des organisations.

Dans le sillage des collectivités, des groupes comme Lyonnaise des eaux, La Poste ou encore SNCF sont, eux aussi, incités à un devoir de transparence. D’autres grands noms, purement privés, investissent à leur tour ce terrain : Crédit agricole, JPMorgan leur tour Crédit JPMor Chase, Nike, l’assureur santé américain Aetna… “ Le monde bancaire et celui de la domotique, tous deux gros producteurs de données, devraient constituer la deuxième vague de l’open data des entreprises ”, prédit Chloé Bonnet.

Evidemment, leur démarche est intéressée. Certaines se servent de cette transparence comme argument commercial. A l’instar de Nike qui, après le scandale lié au travail des enfants chez ses sous-traitants, a commencé à publier les informations sur sa chaîne d’approvisionnement pour faire la lumière sur ses pratiques de fabrication. Même souci de soigner son image pour Lyonnaise des eaux qui, depuis mi-juin, publie sur son site des données sur la qualité de l’eau des communes.

L’union fait la force. Le véritable enjeu de ce partage des données tient à la meilleure valorisation de celles-ci. Certes, la publication et la transformation de ce capital, autrefois conservé jalousement, profite d’abord à la société civile. “ Des chercheurs pourraient prédire les inondations grâce à l’historique du niveau des cours d’eau dont nous disposons ”, illustre Frédéric Charles, DSI de Lyonnaise des eaux. Mais les entreprises qui jouent le jeu sont, elles aussi, gagnantes. Car cela leur permet de proposer à leurs clients de nouveaux services qu’elles n’auraient jamais imaginés, ou même pu développés, en restant seules.

L’appli Tranquilien en est la parfaite illustration. “ La start up Snips, qui a programmé cette application et les modèles prédictifs liés à l’affluence des trains, disposait de compétences analytiques très poussées que nous n’avions pas en interne ”, relève Romain Lalanne, responsable de l’open data de SNCF. Cette création profite aujourd’hui à l’activité logistitique du transporteur ferroviaire. “ Avec Tranquilien, nous pourrions réguler, en théorie, une partie des demandes de transport sans pour autant devoir affréter des trains supplémentaires ”, poursuit Romain Lalanne.

Mais les sociétés ne savent pas toujours quelles informations gagneraient à être exploitées. “ Les données de localisation des cartes SIM des clients d’un opérateur, pourtant primordiales pour la gestion de son réseau, offrent peu d’intérêt pour d’autres acteurs ”, signale à titre d’exemple Simon Chignard, auteur de l’ouvrage “ Open Data ” et membre du réseau d’experts Etalab (la mission gouvernementale chargée de l’ouverture des données publiques). A moins, bien sûr, qu’elles ne soient rapprochées d’autres sources d’information, comme le trafic routier ou encore le parc immobilier urbain.

Mêlées de données. Les services les plus pertinents pour les consommateurs ou les citoyens s’obtiennent en mêlant des données publiques, des informations issues d’entreprises et d’autres d’ordre personnel (géolocalisation de consommateurs, données saisies par les usagers…). “ C’est grâce à ce triptyque que l’opérateur de transport londonien a pu absorber l’affluence record de passagers lors des derniers jeux Olympiques ”, illustre Bruno Marzloff, directeur du cabinet d’études Chronos. Comment ? Précisément en analysant toutes les données issues des cartes de transport des usagers, des caméras de surveillance, des téléphones mobiles ou des fils Twitter des fils afin de mieux prévoir les flux des voyageur mieux prévoir les flux des voyageurs.

Les sociétés ont également tout intérêt à collaborer entre elles. Les seules initiatives (timides) elles. Les (timides) en la matière concernent, pour l’instant, le transport des voyageurs tous moyens confondus. En mai, la Mairie de Paris a ainsi organisé un la ainsi concours de programmeurs (Moov’in The City) concour de programmeur (Moo City) pour la création d’applications visant à coordonner les différents modes de déplacement sur la capitale. RATP (métro, bus, tramway), SNCF RATP (métro bus, tramw SNCF (RER) et JCDecaux (Velib’) ont à cette occasion cette partagé leurs données. “ Nous pourrions imaginer données. que tous les opérateurs municipaux (EDF, municipaux sociétés de distribution d’eau… ) s’organisent pour réunir les éléments d’information liés aux travaux. Ici, l’open data se mettrait au service d’une meilleure coordination des activités ”, se prend à rêver Frédéric Charles.

Pour l’heure, la plupart des entreprises ne sont tout simplement pas prêtes à “ libérer ” leurs données. Ne serait-ce que pour des questions de sécurité ou de confidentialité. Elles préfèrent souvent ouvrir leurs interfaces de programmation (ou API), donnant ainsi à la communauté des développeurs l’occasion de concevoir des logiciels dialoguant avec leurs systèmes d’information. Un concept qui a le mérite de conserver l’esprit initial de l’open data (rendre service à la communauté, lui permettre de se réapproprier certaines informations) tout en sécurisant les données de l’entreprise.

Solutions alternatives. Crédit agricole a emprunté cette voie avec son CA Store, lancé en septembre dernier. Il s’agit d’une place de marché d’applications mobiles qui met en relation clients et développeurs. Les premiers sont invités à déposer leurs idées d’applications et à noter les suggestions déjà déposées. Charge ensuite aux seconds, les développeurs, surnommés ici des digiculteurs, de bâtir les applications suscitant l’intérêt le plus large. Ces derniers ne manipulent aucune donnée des clients. La banque leur donne simplement accès à une interface de programmation documentée et à une clé qui leur ouvre les portes d’entrée du système d’information. Crédit agricole s’assure ainsi qu’elle répond réellement aux besoins de sa clientèle.

La Poste a adopté une démarche similaire avec son service d’identité numérique (IDN), un système initialement utilisé pour les courriers recommandés électroniques. Désormais, il donne accès à une liste des internautes dont l’identité a pu être vérifiée par un facteur. Depuis octobre dernier, les sites d’échange et de location entre particuliers peuvent facilement intégrer ce service (grâce à une API) sur leur site en ligne. Avec cette garantie contre l’usurpation d’identité, leurs clients ont plus de chance de réussir leur troc ou leur location.

Malheureusement, peu de sociétés se sentent aujourd’hui capables d’en faire autant, car autoriser l’accès au trésor que représentent leurs données est un virage culturel radical. Celles qui choisissent le statu quo passent à côté de nouveaux services innovants pour leurs consommateurs. Et se privent au passage des bénéfices indirects des projets open data, qui conduisent souvent à une meilleure diffusion de l’information au sein de l’entreprise. Des chantiers de modernisation, dont Lyonnaise des eaux et SNCF tirent parti aujourd’hui.

Au final, c’est souvent le pragmatisme qui prévaut à l’heure de franchir le pas. “ Si nous n’avions pas permis aux clients de mieux gérer leurs données personnelles, d’autres l’auraient fait à notre place, assure Emmanuel Methivier, dirigeant du GIE CA Store. Et pas toujours dans les conditions de sécurité et de confidentialité que nous souhaiterions. ” Crédit Agricole a donc choisi d’appliquer l’adage affirmant que l’on n’est jamais mieux servi que par soi-même. En ouvrant ses données, mais selon ses propres règles.

Crédit photos : Sylvain Cambon/SNCF, C. Recoura/SNCF, Suez Environnement

Une place de marché de la donnée pour améliorer les services Urbains

On entend souvent dire que les données sont le pétrole de demain. Mais il est difficile d’estimer leur valeur aujourd’hui. A plus forte raison lorsqu’elles émanent des entreprises. C’est précisément pour déceler ce potentiel qu’une vingtaine de sociétés se réunissent depuis deux ans à l’initiative du cabinet d’études Chronos. Baptisé Datact, ce programme, qui réunit des entreprises comme EDF, SNCF, La Poste, Total, Pages jaunes ou Vinci, a commencé par une longue phase de réflexion. “ Il nous a fallu un an pour admettre l’idée que croiser des sources différentes conférerait de la valeur aux données. Puis une autre à étudier les modèles économiques derrière cette valorisation ”, explique Bruno Marzloff, directeur de Chronos.

Les initiatives devraient voir le jour cette année, puisqu’il est envisagé de bâtir une véritable place de marché pour la publication et le partage des informations autour des services urbains. Elle s’appuiera sur un protocole facilitant le partage des informations, ainsi que sur une liste des services coproduits par les entreprises partenaires de Datact (intermodularité des transports, gestion de l’énergie, mobilité…). Restent quelques incertitudes. “ La plate-forme ne sera alimentée que si nous parvenons à démontrer la valeur de ces services. C’est tout l’enjeu de nos réflexions ”, tempère Stéphane Evanno, vice-président responsable du développement mobilité et ville intelligente chez Bosch France. Cet industriel allemand fournira l’application. Autre enjeu : le traitement des données avant leur publication. “ Celles que détiennent les entreprises ne sont pas toujours propres ni cohérentes ”, souligne Stéphane Evanno. Un toilettage préalable sera indispensable.

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