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Réforme de la facture électronique : état des lieux et suite de la feuille de route côté SI

Par Thierry Derouet, publié le 18 septembre 2025

La réforme de la facture électronique sort du brouillard : un été 2025 décisif (Annuaire en production, Peppol sous pilotage DGFiP, normes AFNOR), et un automne où la loi de finances doit simplifier l’e-reporting. Ce papier fait le point — sans (trop de) jargon — et trace la méthode à (continuer de) suivre.

«Ce n’est pas un connecteur magique. » D’emblée, Nicolas Flouriou, Credit Manager au sein du Groupe Randstad France et président de l’Association Française des Crédit Managers et Conseils (AFDCC), plante le décor. La facture électronique et son pendant, l’e-reporting de TVA, ne sont ni une prise USB ni un plugin qu’on clipse à la hâte. C’est un chantier d’architecture et de données, un travail d’orfèvre entre DSI et métiers. « On ne met pas à jour un logiciel en cinq jours. Sur ce sujet, on parle de plusieurs mois », insiste Nicolas Flouriou. Sans oublier que les DSI doivent ne pas oublier que « plus de la moitié des PME n’ont pas de “vrai” logiciel comptable ; rien que l’assainissement des données clients et la mise en place des statuts va prendre du temps. » Au début, tout le monde ne sera donc pas logé à la même enseigne.

Nicolas Flouriou

Credit Manager – Groupe Randstad France
Président de l’AFDCC

Il y aura des cigales… qui vont se retrouver perdus au moment où tout le monde s’y mettra. »

Facture électronique : ce que l’été 2025 a changé, très concrètement

Cet été, la réforme a quitté la théorie pour entrer en exploitation. L’Annuaire central du Portail public de facturation est effectivement en production depuis le 27 juin 2025. Il sert d’« aiguilleur » des destinataires et oriente les flux vers la bonne plateforme. Des acteurs terrain ont documenté la mise en service et ses premiers raccordements au fil de l’été, confirmant que la brique la plus sensible d’adressage fonctionne désormais.

Le chantier d’interopérabilité s’est, lui aussi, consolidé : le 8 juillet 2025, la DGFiP est devenue l’Autorité Peppol pour la France. Ce statut fixe les exigences locales (PASR1) et donne un cadre lisible aux connexions entre services Peppol et l’architecture française (PPF, plateformes agréées), un point décisif pour les DSI qui orchestrent plusieurs canaux d’échange.

Côté normalisation, l’AFNOR a publié au printemps–été un jeu de normes « XP » qui donnent une grammaire commune : XP Z12-012 pour les formats/profils et statuts du cycle de vie, XP Z12-014 le 13 juin 2025 pour les cas d’usage B2B et XP Z12-013  sur les API standardisées entre plateformes pour prévoir les interfaces techniques. Ces textes stabilisent les attentes fonctionnelles et techniques des éditeurs comme des SI.

Le calendrier, enfin, reste inchangé : réception obligatoire pour toutes les entreprises à compter du 1ᵉʳ septembre 2026, émission obligatoire pour les grandes entreprises et ETI à la même date, puis pour les PME/TPE au 1ᵉʳ septembre 2027. L’e-reporting suit la même montée en charge.

Un vocabulaire clarifié, un réseau mieux gouverné

Le vocabulaire a bougé au cœur de l’été : les anciennes « PDP » s’appellent désormais « PA » pour Plateformes Agréées, et les « OD » deviennent « Solutions Compatibles ». Les rôles n’en sont pas bouleversés, mais les mots reflètent mieux la réalité réglementaire : seules les PA, dûment agréées par la DGFiP, dialoguent avec l’administration, tandis que les SC outillent et connectent les entreprises en amont. Dans la pratique, cette clarification évite des confusions d’achat et d’architecture qui ont longtemps fait perdre du temps aux projets.

E-reporting de la TVA : ce que la loi de finances doit graver pour simplifier la vie des SI

Au début de septembre, un courrier gouvernemental adressé notamment à l’AFNOR et aux organisations professionnelles a annoncé un paquet d’allégements et de tolérances destiné à rendre l’e-reporting praticable, sans relâcher le contrôle. Les cabinets KPMG et d’autres observateurs ont détaillé la teneur de ces mesures : suppression du détail « ligne par ligne » dans l’e-reporting des flux internationaux entrants ; fin des e-reportings « à blanc » en l’absence d’opérations taxables ; suppression de l’obligation de transmettre le nombre de transactions en B2C ; gel du périmètre de données (pas d’ajouts nouveaux) pour sécuriser les développements ; et, côté tolérance, méthode de calcul simplifiée pour la TVA sur marge en B2C, avec possibilité de régulariser ensuite via la déclaration de TVA CA3 (déclaration mensuelle ou trimestrielle de TVA pour les entreprises au régime réel normal). Le dispositif prévoit aussi des tolérances lorsque des manquements proviennent de l’Annuaire et, pour les entreprises non établies, un report d’obligations vers septembre 2027. Ces orientations doivent désormais être traduites dans la prochaine loi de finances et/ou ses textes d’application : l’esprit est posé, la lettre arrive. À condition d’avoir une loi de finances.

Pour une DSI, il faut de la pédagogie de terrain

Pour une DSI qui n’est pas fiscaliste, petite traduction : moins de granularité inutile à extraire, moins de « déclarations vides » à produire et un périmètre stabilisé qui évite les dérives. En clair, la réussite ne tient pas qu’à l’envoi des factures : il faut des référentiels impeccables.

D’abord, adresser juste : chaque client doit avoir un SIREN propre et une adresse d’acheminement valide dans l’Annuaire. On peut penser l’Annuaire comme un « DNS » de la facture électronique : sans enregistrement fiable, le message n’arrive pas.

Ensuite, maîtriser la boucle de retour : « envoyer » ne suffit pas ; il faut lire, interpréter, corriger et rejouer selon les statuts — reçue, rejetée, en litige, mise en paiement — et garder la preuve.

Enfin, modéliser l’e-reporting comme un reflet structuré de certaines opérations et paiements à destination de l’administration : dans le SI, cela revient à cartographier les données clients, articles, taux, encaissements vers un schéma d’échange, à les acheminer via la plateforme agréée, puis à réconcilier avec les retours. Dit autrement : l’ingénierie de données et des statuts n’est pas un « bonus », c’est le cœur du sujet.

Ce qui attend les DSI maintenant : méthode, coordination et cap

Les briques techniques sont en place, la route est balisée, et la loi de finances doit graver des simplifications qui rendront le quotidien plus praticable. Entre les deux, il reste le travail — celui qui transforme une réforme fiscale en avantage opérationnel. Selon Nicolas Flouriou, « La co-construction, c’est aussi en interne. On n’a pas besoin que les financiers ou les dirigeants aient le détail à 100 %. C’est comme les saucisses : on ne veut pas savoir comment c’est fabriqué, on veut les manger. » Pour une DSI, cela signifie des données propres, des flux résilients, des statuts qui parlent et des équipes qui se répondent. La baguette magique n’existe pas. La méthode, si.

1. Ce sont les exigences locales qu’une Autorité Peppol (par pays) peut imposer, en plus des règles Peppol “génériques”, pour encadrer l’usage du réseau sur son territoire : identifiants acceptés (p. ex. SIREN/SIRET), profils/message autorisés, modalités d’agrément et de test des prestataires, exigences de sécurité et d’onboarding, etc. Autrement dit : les “règles du jeu Peppol” spécifiques à un pays.


Retards de paiement : un aiguillon, pas de la magie

« Les mauvais payeurs resteront des mauvais payeurs », reconnaît Nicolas Flouriou. Mais l’instantanéité de la transmission va réduire les litiges de facturation et aider l’administration à cibler ses contrôles, sans basculer dans des sanctions automatiques. Le vrai progrès, côté SI, vient du rapprochement systématique entre statuts de facture et réalité du paiement, et de la traçabilité des blocages récurrents — ordre de commande délivré tardivement, réception non faite, désaccord sur la date de départ. La transparence n’est pas punitive par nature ; elle assainit les processus et, bien conduite, accélère la trésorerie.


Quand les « historiques » de la dématérialisation apportent aussi leur expertise : le cas Canon et sa solution Therefore

Canon fait partie de ces industriels de la dématérialisation qui ont fait évoluer leurs briques historiques d’archivage vers des solutions « facture électronique » prêtes pour la réforme. « Notre solution est basée sur l’outil maison de gestion de contenu Therefore », explique Christophe Laurent, chef produit Solutions DP&S pour Canon France. La cible prioritaire de Canon est celle de ses clients historiques : PME–ETI.

Therefore est une base de données qui collecte, stocke et pilote tout un ensemble de flux documentaires. Autour de ce noyau, Canon assemble les fonctions qui manquent pour la mise en place de la facturation électronique : mise au bon format (Factur-X, UBL, CII), gestion des statuts de bout en bout, journal de preuve, et raccordement propre aux ERP comptables.

La brique réglementaire — l’interface avec l’annuaire et le concentrateur de l’État via une Plateforme Agréée — est assurée par un partenaire dédié : Ventya. Canon, lui, se positionne entre l’ERP et la Plateforme Agréée, pour « opérer » les flux et orchestrer les processus : « On est ce qu’on appelle opérateur de dématérialisation » (désormais “solution compatible”) rappelle Christophe Laurent. L’apport ne se limite pas au produit : des consultants et architectes cadrent les référentiels (clients/TVA), conçoivent l’interfaçage, organisent la recette et accompagnent la conduite du changement.

L’objectif de Canon est d’accompagner ses clients de la facture papier à la facture électronique, y compris durant la phase transitoire où les deux formats coexisteront un temps.

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