Le Green IT du futur doit effacer le marketing et instaurer une vraie gouvernance

Green IT

Green IT : 3 prédictions du Forrester et un guide du Cigref

Par Laurent Delattre, publié le 22 septembre 2025

Il y a urgence bien sûr. Plus encore lorsque le gouvernement du pays le plus puissant du monde ne joue pas le jeu. La transformation numérique responsable doit devenir un levier stratégique où authenticité, gouvernance des données et infrastructures énergétiques conditionnent la crédibilité des engagements environnementaux. Il est l’heure d’effacer le vernis marketing du « green washing » : place à une durabilité mesurable, pilotée par la donnée et soutenue par des choix audacieux. C’est ce que Forrester (dans ses prédictions 2026) et le Cigref (dans son nouveau rapport) viennent rappeler aux DSI.

En 2026, la « durabilité environnementale » en entreprise entrera – ou devra entrer – dans ce que Forrester décrit comme « une ère d’authenticité ». Fini le vernis marketing : les organisations qui se contentaient jusqu’ici d’afficher des engagements verts pour soigner leur image ne pourront plus justifier leurs budgets face à des priorités marketing à court terme. Celles qui, au contraire, ancrent la durabilité et le numérique responsable au cœur de leurs valeurs fondamentales et la relient à des gains d’efficacité et de rentabilité verront leurs moyens croître et leur position se renforcer, malgré l’impact de leurs investissements IA.

Comme le souligne Abhijit Sunil, Senior Analyst chez Forrester, « les dirigeants avisés savent qu’ils doivent démontrer un retour sur investissement mesurable et rendre compte de manière crédible d’une baisse de l’impact climatique, d’une résilience opérationnelle accrue et d’une réduction des risques matériels ». Cela suppose de consolider la gouvernance interne (en mettant en place des structures claires de responsabilité, de contrôle et de transparence autour des données et des initiatives de durabilité), d’investir dans les bons outils logiciels (en adoptant des solutions spécialisées capables de gérer, valider et tracer les données liées à la durabilité, notamment les émissions de type scope 3), de bien identifier les risques climatiques qui ont un impact significatif sur l’entreprise (pour prioriser les actions et être en mesure de démontrer que les efforts de durabilité sont stratégiques et non accessoires) et de nouer les partenariats adéquats (que ce soit en matière d’énergie verte, de résilience opérationnelle ou d’infrastructure technologique écoresponsable).

Dans un contexte où l’IA générative devient un pilier de l’offre de nombreuses entreprises, la question de l’infrastructure énergétique et informatique se fait pressante. Forrester rappelle que, pour les acteurs publics interrogés dans son enquête 2025, « investir dans l’énergie verte » figure en tête des actions prioritaires pour soutenir la performance macroéconomique.

Trois prédictions hardies de Forrester

Fidèle à ses habitudes de fin d’année, Forrester commence sa série de « prédictions osées » pour 2026 par le Green IT et la durabilité environnementale. Trois grandes prédictions émergent de son analyse :

1 – Les géants du cloud vont investir plus de deux milliards de dollars dans des petits réacteurs nucléaires modulaires (SMR) développés par des acteurs comme TerraPower (financé par Bill Gates) ou Deep Fission (soutenu par le DoE américain). Face à une demande électrique des data centers appelée à plus que doubler d’ici 2030, ces unités offrent une solution propre et évolutive. Des acteurs comme Google, AWS ou Microsoft pourraient en devenir propriétaires et opérateurs, intégrés à des micro-réseaux pour alimenter des usages énergivores comme l’IA.

2 – Deux nouvelles licornes « GreenTech » émergeront dans le marché privé de la surveillance météorologique. Risques climatiques accrus, besoins en assurance, réponses aux catastrophes naturelles… Ce marché est en pleine expansion grâce à la demande croissante de données météorologiques précises et en temps réel. Selon Forrester, la donnée météorologique devient un actif stratégique pour les entreprises soucieuses de durabilité. La baisse des coûts de lancement et les progrès des petits satellites ouvrent la voie à des constellations propriétaires capables de fournir des données climatiques à haute résolution. Tomorrow.io, ICEYE, Planet Labs, Aistech Space développent des constellations satellites propriétaires. Dans les secteurs exposés aux aléas météo (climat, agriculture, défense, finance…), ces informations permettront d’optimiser la logistique, d’intégrer la météo aux produits et services, ou encore de mieux gérer les primes d’assurance.

3 – Trois entreprises du Fortune 1000 seront épinglées pour des rapports de durabilité erronés. Forrester met ainsi en avant la fragilité des processus de reporting en durabilité, même chez les grandes entreprises. Malgré des investissements croissants dans les logiciels de suivi, beaucoup d’organisations s’appuient encore sur des tableurs fragmentés et des estimations opaques de leurs fournisseurs, en particulier pour les émissions de scope 3. L’absence de gouvernance structurée des données sera de plus en plus perçue comme une faiblesse majeure, les audits réglementaires et les vérifications tierces se durcissant. D’ici 2026, l’attention des régulateurs se déplacera des résultats déclarés vers l’intégrité des processus de collecte et de gestion des données. Dit autrement, il ne suffira plus de publier des rapports sur l’empreinte environnementale : ces derniers devront être ancrés dans une authenticité vérifiable ! Pour Forrester, en 2026, la durabilité ne sera plus une question de communication, mais de rigueur opérationnelle et de transparence technique.


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Un rapport éclairé du CIGREF

Et, justement, pour aider les organisations à prouver la solidité de leurs démarches, tant sur le plan opérationnel que dans la qualité de leurs données, et à mettre en place une authentique « gouvernance de la durabilité environnementale », le Cigref publie un nouveau guide truffé de témoignages et de retours d’expérience.
Intitulé « Stratégies Numérique Responsable des grandes organisations : comment passer à l’échelle ? », ce nouveau rapport met en lumière la manière dont les grandes entreprises et administrations françaises intègrent le Numérique Responsable (NR) dans leur stratégie.

Le document rappelle d’abord que le Numérique Responsable est désormais un pilier de la stratégie RSE des grandes organisations et que la démocratisation de l’IA générative renforce l’urgence d’agir. Les plus avancés ont fait de ce sujet une culture partagée, « prête à relever le challenge de l’IA frugale ». Tout comme Forrester, le CIGREF rappelle qu’ « il est essentiel de mettre en place une gouvernance forte et une implication du management ». Les organisations matures sur le sujet commencent par convaincre le Comex, « avec beaucoup de pragmatisme », puis structurent la démarche sans forcément « débloquer un budget important ».

Deux exigences donnent le tempo : mesurer et acculturer. « Un pilotage par les indicateurs doit se mettre en place » et quelques tableaux de bord bien ciblés suffisent à suivre l’impact réel. Le rapport cite, entre autres, la durée de vie des équipements, le taux de reconditionné, la part de collaborateurs formés, et fixe des ordres de grandeur : viser 5 à 7 ans pour les laptops et plus de 10 ans pour les écrans. Enedis illustre l’approche avec un tableau de bord alimenté par plusieurs directions, suivi au niveau des comités stratégiques.

Le Cigref décrit trois stades de maturité : « initial », « localisé », puis « managé ». Au stade initial, le Numérique Responsable vit de bonnes intentions et de coups d’essai isolés, sans cadre ni moyens dédiés. Le stade localisé voit apparaître des actions structurées dans quelques équipes pilotes, avec des premiers indicateurs, mais la démarche reste fragmentée et dépendante des personnes. Le stade managé correspond à une politique pleinement intégrée : la DSI en assure le sponsoring, la gouvernance est formalisée, les outils de mesure soutiennent les décisions, la feuille de route est partagée et, lorsque c’est pertinent, la démarche est reconnue par une labellisation.
La labellisation, insiste le rapport, « est un atout pour passer à l’échelle » : elle apporte sponsoring de la DG, comité de pilotage transverse, plan de progrès et légitimité externe, comme l’illustrent les exemples très instructifs de Pierre Fabre et Crédit Agricole Technologies & Services.


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Lucide, les rapporteurs insistent sur le fait que « la mesure n’est pas une fin en soi. Elle doit permettre de construire une feuille de route claire et une trajectoire de progrès. »
La mesure ne suffit pas à s’engager sur la voie de la responsabilité environnementale mais elle sert à prioriser les chantiers à fort effet, à optimiser le cycle de vie matériel/logiciel et à documenter une trajectoire crédible. De leur côté, des retours d’expérience comme GreenPact au Crédit Agricole montrent comment faire de la donnée carbone une « donnée de gestion » au même titre que les coûts, pour embarquer métiers et infrastructures dans la même dynamique.

Dernier message clef de ce rapport du Cigref: la réussite dépasse l’IT. Il faut « engager l’ensemble des directions », aligner achats, RSE, métiers, finance et communication, et intégrer la maturité de toute la chaîne de valeur — fournisseurs compris — pour atteindre les objectifs collectifs. Dans ce contexte, l’IA doit être abordée sans naïveté : ses effets de rebond sont réels et doivent être arbitré s sous l’angle sobriété, sécurité, accessibilité et conformité. D’où la nécessité d’arbitrer, projet par projet, entre sobriété (choisir le modèle le plus frugal qui fait le job, limiter la rétention des données, contrôler la fréquence et la profondeur des inférences), sécurité (maîtriser où transitent et où résident les prompts et résultats, verrouiller les accès, tracer et auditer les usages, encadrer les modèles tiers), accessibilité (conception inclusive, UX simple, performance suffisante pour tous les publics et tous les terminaux, y compris « modestes »), et conformité (gouvernance des données d’entraînement, droits et finalités, explainability, exigences AI Act/RGPD/NIS2 intégrées dès la conception).
Concrètement, cela revient à privilégier des architectures « dimensionnées au plus juste » et hybrides, à fixer des politiques d’usage et de conservation claires, à contractualiser des obligations de transparence et de sobriété avec les fournisseurs, et à piloter l’ensemble par des indicateurs qui relient le bénéfice métier au coût environnemental et au risque, afin que chaque déploiement d’IA soit justifié, mesuré et réversible.

Au final, le rapport livre une feuille de route pragmatique : obtenir un mandat clair du Comex, installer une gouvernance NR qui décide, outiller la mesure pour décider vite, étendre l’acculturation à tous, s’appuyer sur la labellisation pour structurer et accélérer. Dit autrement : passer d’une addition de « bons gestes » à une performance opérationnelle sobre, mesurée et partagée. Et les rapporteurs de rappeler : « Certes il peut toujours y avoir des risques à faire, mais quels seront les risques à ne pas faire ? »


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