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Les Dessous la tech : « Confiance numérique : qui contrôle vraiment notre capital immatériel ? »
Par Alessandro Ciolek, publié le 07 octobre 2025
Anne-Laure de La Rivière vous invite à découvrir la véritable richesse des entreprises : l’immatériel. Oubliez les usines, les stocks et les lignes de production. Données, algorithmes, propriété intellectuelle… ce patrimoine numérique, immatériel, concentre aujourd’hui l’essentiel de la valeur économique. Mais sommes-nous encore capables d’en garder la maîtrise ?
Imaginez qu’un matin, votre entreprise perde l’accès à ses emails, ses données, ses outils de travail. Pas à cause d’une cyberattaque, mais d’une décision politique prise à des milliers de kilomètres. Fiction ? Non. C’est exactement ce qui est arrivé au procureur de la Cour pénale internationale en mai 2025, déconnecté par Microsoft sur ordre du gouvernement américain.
Dans ce nouvel épisode des Dessous de la Tech, Anne-Laure de La Rivière explore avec ses invités une réalité troublante : alors que le patrimoine immatériel – données, algorithmes, propriété intellectuelle – représente désormais l’essentiel de la valeur des entreprises, nous en avons progressivement perdu le contrôle. Tout circule dans ce bureau numérique que l’on croit familier et maîtrisé. Mais derrière cette apparente maîtrise se cachent des dépendances invisibles, des infrastructures étrangères, des fournisseurs devenus des alliés fragiles.
Pour décrypter ces enjeux vitaux, deux experts aux perspectives complémentaires : David Chassan, directeur de la stratégie chez Outscale (Dassault Systèmes), et Philippe Trouchaud, associé chez PwC. Ensemble, ils questionnent notre capacité à reprendre le contrôle de ce capital invisible mais stratégique, dans un contexte où la géopolitique est plus présente que jamais dans l’agenda des DSI.
De l’usine à la donnée : un changement de paradigme
L’exemple est frappant : Stellantis produit des millions de véhicules chaque année pour une valorisation de 25 milliards de dollars, quand Tesla, avec une production bien moindre, approche les 1 000 milliards. La différence ? La donnée, les algorithmes, la capacité à innover et à anticiper.
« Nous sommes passés de l’économie du produit à l’économie de l’expérience », souligne David Chassan. Le système d’information devient le cœur de la valeur d’une entreprise.
Les dirigeants face à l’urgence technologique
Si les entreprises françaises tardent encore à percevoir le SI comme un actif stratégique, les mentalités évoluent. « 82 % des dirigeants considèrent aujourd’hui que la technologie est leur priorité d’investissement », explique Philippe Trouchaud. Faute de transformation, beaucoup estiment leur entreprise condamnée à moyen terme.
Le dilemme du cloud : agilité ou perte de souveraineté ?
Externaliser une partie de son système d’information dans le cloud offre une agilité incomparable. Mais au prix de nouvelles dépendances. « La souveraineté, c’est savoir choisir ses dépendances », précise David Chassan. Certains usages critiques exigent un cloud souverain, quand d’autres peuvent se contenter de solutions globales.
Les exemples récents rappellent pourtant la fragilité de ces choix : suspension de la plateforme Parler par AWS en 2021, retrait de la licence Android de Huawei par Google en 2019, ou plus récemment, désactivation du compte du procureur de la CPI par Microsoft en 2025. À chaque fois, une décision politique ou commerciale a suffi à priver une organisation de ses outils vitaux. Sans oublier que le directeur juridique de Microsoft France a avoué, il y a quelques mois, devant sénateurs et députés ne pas pouvoir garantir la protection des données hébergées en France face aux lois extraterritoriales américaines.
Vers une souveraineté européenne ?
Faut-il craindre pour autant ? « La peur est mauvaise conseillère », relativise Philippe Trouchaud. Mais l’Europe reste en retard faute de vision stratégique et de patriotisme économique. Pourtant, des alternatives existent en solutions souveraines en cybersécurité et intelligence artificielle.
La souveraineté comme condition de résilience
L’essentiel de nos entreprises ne nous appartient pas toujours. Hier, la confiance dans nos partenaires suffisait. Aujourd’hui, face aux tensions géopolitiques et aux risques économiques, la souveraineté numérique n’est plus un luxe : elle devient la condition de notre résilience.
Reprendre le contrôle de ce capital immatériel, pièce par pièce, est désormais vital. Car ce qui semblait lointain hier peut frapper dès aujourd’hui.
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