Agents d’IA : la grande désillusion qui force l’industrie à devenir adulte

Data / IA

Agents partout, valeur nulle part ?

Par Thierry Derouet, publié le 17 novembre 2025

Début 2025, l’industrie promettait des agents autonomes capables d’orchestrer l’entreprise. Mais les données manquent, les coûts montent, les clients hésitent. Gartner voit poindre une correction drastique sur le marché, salutaire qui sait… La magie retombe, la raison peut-elle revenir ?

«L’innovation en IA avance beaucoup plus vite que l’adoption par les clients »… En une phrase, prononcée sur la grande scène de Dreamforce 2025, l’événement annuel majeur de Salesforce, Marc Benioff a résumé la situation mieux que quiconque.
Certes, le patron de l’éditeur ne parlait pas d’une bulle, mais il en décrivait déjà la forme : une effervescence technologique qui tourne à vide. Car si des « studios d’agents » surgissent chaque semaine, que des « marketplaces » prolifèrent, que les grands éditeurs multiplient les annonces… les cas d’usage réellement en production se comptent sur les doigts d’une main.

Il y a un an, l’expression IA agentique n’existait pas encore dans les feuilles de route des DSI. Aujourd’hui, elle s’invite dans chaque comité d’investissement, comme un totem de modernité.

Le mois dernier, lors de leurs grand-messes annuelles, IBM, Oracle, Salesforce, Google (il y a fort à parier que la prochaine Microsoft Ignite nous vende aussi de l’agent IA à toutes les sauces) ont tous annoncé des agents capables d’orchestrer les processus métiers, d’optimiser les flux de données, voire d’intervenir dans des décisions critiques. . La promesse est belle : celle d’une intelligence qui ne se contente plus de répondre, mais qui agit.

Sauf que l’industrie a peut-être confondu la vitesse et la direction.

La prophétie de Gartner

Le 7 octobre dernier, Gartner a brisé le charme. « L’offre actuelle de modèles, de plateformes et de produits d’IA agentique dépasse largement la demande. Une consolidation et une correction du marché sont inévitables. »

Le diagnostic est sévère : 40 % des projets d’ici 2027 devraient être abandonnés, étranglés par des coûts d’intégration mal anticipés, des retours sur investissement invisibles et des mécanismes de gouvernance inachevés.

La correction annoncée découle d’un constat simple : les investissements explosent plus vite que la valeur ne se matérialise. Les hyperscalers multiplient les data centers, les fondeurs saturent leurs lignes de production, et les dépenses d’inférence atteignent des niveaux historiques. Le Financial Times évoque des « Capex épiques », tandis que le Wall Street Journal parle d’un « retour sur investissement encore hypothétique ».

Pour Gartner, la bulle n’est pas financière, elle est industrielle : trop d’infrastructures, trop tôt, pour trop peu d’usages.

De la magie à la méthode

Tous les grands acteurs semblent en avoir déjà tiré des conclusions, au moins dans le discours : l’IA ne doit plus fasciner, elle doit fonctionner.

Face à cette surchauffe, les géants du numérique ne parlent plus de rupture, mais de rigueur. IBM, Oracle, Salesforce et Google convergent sur une idée simple : l’autonomie des agents n’a de valeur que si elle est gouvernée.

La magie a cédé la place à la méthode. IBM fait de la fiabilité un principe d’ingénierie : son Spyre Accelerator, dévoilé à TechXchange 2025, ramène les agents au coeur des systèmes de production – Z, LinuxONE, Power – avec latence maîtrisée et auditabilité garantie.
Oracle, à l’inverse, bâtit la verticalité : une AI Data Platform, une Database 26ai vectorielle, et un Agent Marketplace ouvert à tous les modèles.
Salesforce, plus pragmatique, ancre ses agents dans les processus métiers : Agentforce 360 ne vise pas la disruption, mais la rationalisation.
Et Google, avec Gemini Enterprise, pousse à l’extrême la logique de fédération : relier modèles, outils et gouvernance dans une plateforme unifiée.

Et cela tombe bien, car les DSI ne veulent plus de « copilotes », mais des architectures qui tiennent debout, et maîtriser le chemin. Ils ne choisissent plus seulement des outils, ils supervisent des comportements numériques. Chaque agent devient ainsi un collaborateur logiciel qu’il faut mesurer, encadrer, et parfois désactiver. Avec un regard « FinOps » en sus : on calcule la latence, le coût d’inférence, la valeur réelle d’une action réussie. La maturité ne se mesure plus en vitesse d’adoption, mais en discipline d’exécution.

Et tous, ce faisant, confirment les propos de Benioff : l’innovation court toujours plus vite que son usage. Et l’IA n’est plus un conte de science-fiction, mais un enjeu de gouvernance. Elle ne libère pas l’entreprise, elle la contraint à se redéfinir. Ce n’est finalement peut-être pas un mal : l’histoire du numérique le prouve, les plus grandes avancées naissent souvent des recadrages les plus sévères.


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