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Concours de programmeurs : les entreprises s’y mettent toutes

Par La rédaction, publié le 29 avril 2013

Pour trouver de nouvelles idées, les entreprises organisent des hackathons, des joutes de développeurs ouvertes au public. Un mini investissement pour un maxi rendement.

Eux sont cinq copains venant de la même agence Web. Leur équipe est déjà constituée. Lui est seul, il se greffera à un autre groupe. Il est 9 heures du matin. Une vingtaine de développeurs et de designers, âgés de 20 à 30 ans, sont rassemblés dans la salle, prêts à en découdre. Ils n’attendent plus que le top départ du concours, donné par l’enseigne Casino. L’enjeu ? La formation qui créera la meilleure application pour smartphone remportera… des bons d’achat. Mais les candidats espèrent surtout collaborer régulièrement avec le distributeur.

L’objectif de ce dernier ? En organisant cet événement d’une durée de quarante-huit heures dans le cadre du salon Lemobile2013 au mois de mars à Paris, il attendait une aide extérieure pour enrichir son appli mobile. Baptisée mCasino, elle a vocation à aider les clients à gérer leurs listes de courses, leurs paniers d’achat et leur carte de fidélité.

Selon la société BeMyApp, spécialisée dans l’organisation de ces événements, cinq hackathons se déroulent par semaine en moyenne dans des grandes villes telles que San Francisco, New York, Paris, Berlin ou Tokyo. “ En 2012, on en comptait une centaine en France, contre moins de 50 en 2011. En 2013, ce nombre doublera encore. La demande vient de petites mairies comme de grandes entreprises, telles qu’Orange ou Microsoft ”, précise John Karp, le patron de BeMyApp. Selon lui, plusieurs géants de l’énergie, de la banque et de l’automobile devraient prochainement s’essayer à l’exercice.

En pratique, ces manifestations rassemblent pendant deux jours des équipes mixtes composées de développeurs, de designers, de graphistes et autres communicants. Le défi ? Concevoir dans l’urgence la meilleure application possible sur une thématique : la Poste de demain, la gestion des transports en Ile-de-France, les objets connectés… L’organisateur met à leur disposition l’infrastructure pour tenir tout le week-end : salle, réseau Wi-Fi, repas et boissons, et même les matelas !

Il fournit aussi aux participants la matière première permettant de créer leur application. En clair, toutes les données informatiques relatives à l’activité ou au projet, ou les interfaces vers ses propres logiciels (des API, en langage technique). Au final, l’équipe ayant produit la solution la plus prometteuse remporte un prix (une somme d’argent, des bons d’achat, des abonnements…).

Créativité illimitée. Pour les entreprises, l’intérêt de ces hackathons va au-delà du simple lifting de leurs applications. C’est une mine d’idées ! s’exclame José Vazquez, de la direction de l’innovation de La Poste Courrier. Les développeurs ont une imagination sans limite. Leurs trouvailles, même non récompensées, méritent souvent d’être mises en œuvre. ”

Ces bols d’air arrivent à point nommé : “ Le poids grandissant du reporting et du contrôle de gestion tire la créativité des salariés vers le bas. C’est d’ailleurs pour cela que les sociétés développent de plus en plus des cellules indépendantes, baptisées labs, qu’alimentent ces concours ”, explique Simon Chignard, vice-président de la Cantine numérique rennaise, un foyer de start up.

Sans compter qu’en temps de crise, les urgences prennent le pas au détriment de la vision à long terme. “ D’un côté, les organisations font face à des feuilles de route surchargées et des ressources limitées, et de l’autre, aux besoins des clients sur le Web qui évoluent tous les six mois ”, explique Daniel Jasmin, fondateur d’Explolab, cabinet en innovation.

Le format de l’exercice se révèle particulièrement intéressant. Limité dans le temps, il nécessite très peu d’investissement. Entre la mise à disposition des données, des interfaces et l’organisation logistique, les efforts à fournir sont minimes : quelques milliers d’euros peuvent suffire.

“ C’est peu au regard des séances de brainstorming qui précèdent le développement d’une solution, souvent réparties sur plusieurs mois. Le hackathon, lui, offre l’avantage de réunir pendant deux jours des profils mixtes tels que les développeurs et les ergonomes. Résultat, il permet d’ébaucher jusqu’à 70 % de la maquette d’un projet informatique ”, rapporte José Vazquez.

Georges-Etienne Faure, conseiller pour l’innovation et les technologies de l’information et de la communication à la Mairie de Paris, va dans le même sens : “ Entre l’achat d’une application iPhone générique à 15 000 euros ou les développements sur mesure effectués par trois personnes ultramotivées lors un hackathon, il n’y a pas à hésiter. Même si l’application issue du concours devra être affinée. ”

“ Dans les organisations, les équipes s’autocensurent en raison des rivalités entre services ou de barrières technologiques qui semblent insurmontables. Les hackathons, eux, font fi de ces carcans politico-techniques ” résume John Karp. Enfin, c’est un moyen de s’essayer aux méthodes qui font le succès des géants du Web américain : cocréation, innovation ouverte, développement agile…

“ En si peu de temps, on ne peut pas concevoir un cahier des charges. On doit donc tester nos développements en continu pour valider les fonctions développées pas à pas ”, détaille Mathieu Hausherr, programmeur chez Octo Technology, vainqueur avec son équipe d’un des concours organisés par BeMyApp.

Pour autant, ces événements restent trop souvent isolés et sans suivi. En théorie, les entreprises organisatrices reprennent les meilleures applications développées et les industrialisent avec les gagnants. Mais en pratique, peu d’idées issues de ces hackatons sont mises en production. “ Les sociétés ne cherchent pas assez à faire vivre les projets et à animer la communauté des participants à l’aventure ”, regrette Daniel Jasmin. Sans compter que les équipes formées à cette occasion regroupent des personnes d’univers différents, souvent physiquement distantes. Ce qui freine le travail commencé lors du concours.

La SNCF est l’une des rares sociétés à mener la démarche jusqu’au bout. Sa branche Transilien réfléchit à la manière d’entretenir la flamme des hackathons sur le long terme. Parmi les pistes envisagées : le financement des projets les plus prometteurs, le référencement des équipes en tant que prestataire officiel, voire l’embauche de développeurs repérés à cette occasion.

Car l’intérêt d’un tel dispositif pour l’entreprise, c’est qu’il soit accompagné d’une réflexion sur sa place dans un processus plus large d’innovation. Ce qui implique de penser à son suivi et à la gestion des communautés participantes… Sans quoi cette vague prometteuse risque de se briser aussi vite qu’elle a déferlé.

Crédit photos : Victor Grigas, Matthew (WMF), Deror Avi, Ralf Roletschek

Elle est généralement mise à disposition par l’organisateur, par l’un de ses sponsors (éditeur, fournisseur de technologie), ou encore par un partenaire de l’événement, une école d’informatique, par exemple. A défaut, une salle de 300 à 400 mètres carrés peut se louer autour de 5 000 euros pour un week-end.

Le concours durant quarante-huit heures, il faut prévoir trois ou quatre repas. En comptant à peu près 30 euros par personne, cela revient à environ 3 000 euros.

Susciter l’engouement et les inscriptions demeure la principale difficulté des hackathons. De plus en plus d’entreprises s’en remettent désormais à des “ professionnels ” de la discipline, qui cultivent des liens privilégiés avec des communautés de développeurs. Ce qui se monte à peu près à 5 000 euros pour une centaine de participants.

Deux mois au moins sont nécessaires pour rassembler les développeurs et prévoir toute la logistique, en passant par un prestataire de hackathon.

Budget global : de 10 000 à 13 000 euros

Comment la SNCF repère ses prestataires de demain

Rendre publiques les données sur les horaires des trains ou sur leur affluence n’est utile que si elles sont exploitées. Voilà pourquoi, en juin 2012, la branche Transilien de la SNCF a organisé un hackathon pour les développeurs externes à l’entreprise. Objectif : améliorer l’information des voyageurs en leur proposant des applications mobiles. Celle de l’équipe gagnante indiquera le taux de remplissage des trains et de leurs rames. Elle sera disponible entre fin avril et début mai 2013.

Pour cela, elle s’appuie sur les données saisies par les voyageurs, d’une part, et sur les mesures effectuées par la SNCF, d’autre part. “ Nous avons passé un contrat avec l’auteur de cette application, une start up spécialisée dans les logiciels de prédiction. Le coût était trop faible pour qu’il soit soumis au code des marchés publics, explique Eric Breuil, en charge de la relation client à la division service de la SNCF Transilien (photo). Mais il n’a pas été facile d’expliquer aux neuf autres équipes, qui avaient pourtant produit de très bonnes choses, que nous n’allions pas les aider. ” D’où les réflexions que mène aujourd’hui l’opérateur ferroviaire autour de la valorisation des idées nées au cours de ces concours.

Des projets que l’entreprise souhaiterait accompagner dans la durée. Parmi les pistes à l’étude, on trouve la possibilité d’attribuer un label SNCF aux applications. Ce qui aiderait les équipes à se vendre plus facilement à l’extérieur. Autre option : permettre aux jeunes pousses participant à la manifestation de devenir fournisseurs officiels de la SNCF. Le hackathon deviendrait alors un moyen de repérer des microstructures avec lesquelles la direction service de la SNCF n’a pas l’habitude de travailler. Pour Eric Breuil, “ ce changement culturel est très enrichissant ”.

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