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Explorer le potentiel du métavers

Par La rédaction, publié le 16 septembre 2022

Des modèles économiques bien réels

Entre la vente d’objets virtuels et la généralisation des jumeaux numériques, le métavers fait déjà émerger de nombreux cas d’usage dans les secteurs de la distribution, de l’industrie ou du médical. Tour d’horizon des opportunités générées par les univers immersifs.


Par XAVIER BISEUL


Comme tout concept tendance, le métavers échauffe les esprits. Selon différentes études, l’univers immersif persistant serait la nouvelle poule aux œufs d’or. En additionnant les sources de revenus issues des mondes virtuels existants, de la réalité virtuelle et du Web3, Boston Consulting Group (BCG) arrive à un total oscillant entre 250 et 400 Md$ (lire encadré). Bloomberg double la mise avec un marché attendu à 800 Md$ à horizon 2024.

Pour le cabinet Analysis Group, le développement du métavers gonflerait le PIB mondial de 3 000 Md$ (+2,8 %) en dix ans selon une étude financée par… Meta (ex-Facebook), son principal promoteur. Enfin, dans son rapport révélé à l’occasion de l’ouverture de VivaTech, McKinsey explose les pronostics : « Le métavers devrait générer 5 000 Md$ en 2030. » N’en jetez plus ! Comme à chaque « révolution » technologique, les prospectives les plus fantaisistes fleurissent. Opportunistes, certains acteurs surfent sur l’engouement autour des univers parallèles, à l’image d’un institut de formation qui a rebaptisé de métavers son offre de salon virtuel…

The Sandbox est à la base un jeu en 3D fondé en 2011 par deux Français, Arthur Madrid et Sébastien Borget. Son univers est découpé en 166 464 parcelles de terrain virtuel.

Quel crédit accorder en 2022 à ce nouvel âge d’Internet ? Après les sites statiques du web 1.0 puis les réseaux sociaux du web 2.0, le Web3 concrétiserait l’avènement d’un web décentralisé redonnant le pouvoir aux utilisateurs… Composante de ce Web3, le métavers n’est toutefois pas dénué d’enjeux économiques. La création d’un monde persistant en 3D doit, entre autres, permettre d’acheter et de vendre des biens et des services, d’interagir avec sa communauté, comme avec les marques.

« C’est une période passionnante à vivre, se réjouit Antoine de Lasteyrie, directeur de Wide, agence digitale du groupe Micropole. Je me sens dans le même état d’esprit qu’en 1997 avec ses premiers sites web. Dans cette phase exploratoire, tout est à construire. Ce que l’on peut déjà dire, c’est que l’intégralité des secteurs d’activité sera concernée. »

Le prix du « mètre pixel »

Quelles sources de revenus attendre du métavers ? « Le premier ROI, est celui de l’image, poursuit-il. En expérimentant et en le faisant savoir, une entreprise se montre innovante aux yeux du marché et des talents. » On a ainsi récemment vu Alexandre Bompard, PDG de Carrefour, participer à une séance de recrutement dans le métavers, illustrant la capacité du géant de la distribution à s’adapter aux évolutions de son temps. Axa France est également dans cette démarche exploratoire (lire encadré). Tout l’enjeu pour ces pionniers consiste à occuper le terrain et à multiplier les expériences plutôt que de subir les événements.

L’investissement dans le métavers est aussi immobilier, et on assiste déjà à une spéculation autour du prix du « mètre pixel ». « Une marque qui achète une parcelle de terrain dans le métavers préempte l’avenir comme elle réservait jadis des noms de domaine », juge Antoine de Lasteyrie. Selon les données de la plateforme OpenSea, Carrefour a acquis 36 hectares sur The Sandbox pour 120 Ethereum, soit un peu moins de 300 000 euros lors de la transaction.

Le modèle bien rodé des plateformes de jeu vidéo

Les nouveaux entrants du métavers peuvent aussi capitaliser sur l’expérience acquise en matière de monétisation par les acteurs du jeu vidéo. La vente de skins (apparence de l’avatar) ou d’armes constitue une importante source de revenus pour des plateformes comme League of Legend ou Fortnite. « Les ados de 15 ans qui demandent aujourd’hui à leurs parents de leur payer des skins sur Roblox seront prêts dans cinq ans à les acheter eux-mêmes », juge Alexandre Michelin, fondateur du KIF, le Knowledge Immersive Forum.

Autre modèle à calquer du monde du jeu vidéo : le « play to earn ». Selon ce principe d’engagement, les joueurs les plus assidus sont récompensés en cryptomonnaies ou en NFT, voire en parts de propriété du jeu. Cryptomonnaies et NFT sont, de fait, intrinsèquement liés au développement des métavers. Fondée par deux Français, The Sandbox bat sa propre monnaie virtuelle, le Sand, et propose à ses habitants de se connecter avec leur portefeuille numérique (wallet) hébergé chez MetaMask ou Coinbase Wallet. Les marques peuvent ensuite s’emparer de cet écosystème pour vendre toute sorte d’objets et de vêtements virtuels.

Principal concurrent de The Sandbox, Decentraland accueille des musées, des salons, des festivals de musique, des magasins…

Nike a ainsi ouvert un Nikeland sur Roblox et lancé les premières sneakers NFT, les CryptoKicks. La marque d’horlogerie suisse Dwiss propose, elle, des montres virtuelles pour avatar. Une collection limitée à 5 000 exemplaires. « Des marques de luxe sont déjà victimes de contrefaçons, avec des produits virtuels qui ne sont pas créés par leurs soins », prévient Antoine de Lasteyrie.

Dans leur rapport, publié en mars et titré « Metaverse : Tour d’horizon des principaux usages et applications des technologies immersives », le KIF et le cabinet EY estiment que le métavers va donner un nouveau pouvoir au consommateur. « Il va non seulement pouvoir choisir et personnaliser entièrement son produit, mais également déterminer ses conditions de production, son empreinte carbone, son mode d’acheminement… »

Séance de recrutement dans le métavers de Carrefour.

Pour Alexandre Michelin, « l’avenir de la distribution passe par le monde phygital. Dans un monde où on possède moins, se déplace moins, consomme plus sobre, il est possible de se rattraper dans le monde virtuel. » À défaut d’engendrer de nouvelles sources de revenus directs, un showroom virtuel peut déclencher des ventes en magasin.

Un nouveau canal de relation client

Le métavers est aussi appelé à devenir un canal d’interaction de plus pour aller conquérir de nouveaux clients qu’une marque n’aborde pas dans son univers traditionnel. Une manière, par exemple, de recapter les jeunes actifs des générations Y et Z qui se rendent de moins en moins en point de vente.

Alors que les banques réduisent leurs réseaux physiques partout dans le monde, des établissements comme JP Morgan ou Fidelity investissent les mondes parallèles. En France, un agent général d’Axa a reproduit son agence physique sur Gather, une plateforme en 2D qui ressemble aux jeux vidéo des années 80.

Si les plateformes sont, pour le moment, seulement peuplées de geeks, d’early adopters et d’influenceurs – on parle de « metaverse influencers » –, leur population devrait vite grossir. Un déclic devrait se produire avec l’ouverture du métavers de Meta et le lancement du casque de réalité virtuelle d’Apple, attendu fin 2022 ou début 2023. En attendant, « une marque doit se rendre visible dans ces nouveaux univers et créer des communautés de fans par l’engagement et le jeu », estime Jean-François Bobier, partner et directeur au BCG.

Selon lui, l’univers du luxe est plutôt en avance dans le domaine. « Balenciaga, Gucci ou LVMH expérimentent depuis plus d’un an le sujet, et ont déjà constitué des équipes dédiées », observe-t-il. Pas question, toutefois, de tomber dans l’e-commerce de base et dégrader la marque, rappelle pour sa part Hervé Rigault, président chez Netino by Webhelp : « Il s’agit de recréer une expérience client exclusive et digne de l’univers du luxe. Des ponts sont à trouver avec le réseau physique. En boutique, un vendeur pourrait proposer de créer un avatar en reproduisant les vêtements achetés. » Pour Jean-François Bobier, le monde de l’immobilier haut de gamme se prête également au métavers : « Faire une visite virtuelle en mode immersif permet de mieux s’imprégner des lieux, d’avoir une meilleure idée des volumes. Une expérience utilisateur susceptible d’attirer de riches acquéreurs ou des cadres expatriés. »

Jumeaux numériques et opérateurs augmentés

Le B to B devrait, de son côté, bénéficier des technologies conçues pour le grand public. « Les jumeaux numériques et les modèles en 3D déjà développés en interne pourraient être exportés dans le métavers, estime Jean-François Bobier. Cela permettrait de démocratiser l’usage de la réalité virtuelle dans le domaine de la conception, de la maintenance ou de la formation. »

De plusieurs milliers d’euros il y a quelques années, le prix des casques de réalité virtuelle n’est plus que de 300 à 500 euros : chaque ingénieur pourrait en être potentiellement équipé. Un changement d’échelle pour les industriels de l’automobile et de l’aéronautique qui ont investi dans les salles de simulation – les Cave, pour Cave Automatic Virtual Environment – coûtant jusqu’alors plusieurs millions d’euros.

VRChat se présente comme un réseau social immersif pour interagir avec des avatars du monde entier.

Les ingénieurs ne sont pas les seuls concernés. Les opérateurs en usine ou dans les entrepôts de logistique pourraient être, eux aussi, augmentés. « La réalité augmentée facilite l’enchaînement des tâches et permet des gains de productivité de 10 à 20 % », avance Jean-François Bobier. Chez Boeing, l’utilisation de la réalité augmentée pour guider les techniciens dans le câblage des avions, aurait même permis d’augmenter leur productivité de 40 %.

Alors que le premier cas d’un univers immersif est le simulateur de vol, la formation est un autre terrain de jeu naturel. « Il y a des gains neurologiques à aller se former dans le métavers, poursuit l’expert. La mémorisation des apprenants est meilleure en immersif. 3M l’utilise pour former certains de ses techniciens à des postes dangereux comme la soudure. »

De leur côté, KIF et EY estiment que l’immersif va entraîner un changement de paradigme « en basculant des pédagogies “de flux” vers des pédagogies actives, où chacun devient acteur et auteur de son propre parcours éducatif et professionnel. Chacun va pouvoir apprendre, se cultiver et s’intéresser à son rythme, en prenant plaisir, et en fonction de ses périodes “sensibles”, pour reprendre l’expression de Maria Montessori. »

La médecine est un autre secteur mis en avant dans leur rapport : « Le métavers permet déjà de former, de perfectionner les techniques, voire d’expérimenter de nouveaux traitements. » La start-up HypnoVR propose, par exemple, des séances d’hypnose par réalité virtuelle pour se relaxer, arrêter de fumer, soulager des douleurs chroniques… Le métavers devrait, par ailleurs, contribuer à lutter contre les déserts médicaux en généralisant la télémédecine. Il pourrait même faire de chacun de nous une sorte de « médecin référent de première ligne ». « L’immersif va permettre à chacun de connaître son propre corps, de détecter en temps réel ses forces et ses faiblesses, de poser de premiers diagnostics et d’adopter de premières attitudes préventives », peut-on encore lire dans ce rapport.

Le bon « time to techno »

Si un grand nombre de cas émergent, les Sandbox et autres Decentraland n’en sont pas moins encore en versions alpha et bêta. Tout l’enjeu pour les entreprises consiste, selon Antoine de Lasteyrie, à arriver dans le bon « time to techno », au croisement de la maturité technologique et de la maturité culturelle.

En attendant, il ne faut pas sur-promettre. « L’expérience des premiers sites web était décevante. Les pages web regorgeant d’animations lourdes mettaient un temps fou à s’afficher. De même, si un métavers bogue, l’expérience est ruinée en trois minutes », rappelle-t-il. Par ailleurs, si les nouveaux casques de réalité virtuelle sont plus faciles à supporter, ils provoquent encore de la fatigue visuelle ou le mal de mer.

Pour les laisser juger sur pièce, l’agence digitale Wide emmène les comités de direction en « learning expedition » dans le métavers, équipés de casques de réalité augmentée. « Le sujet étant encore conceptuel pour beaucoup de personnes, une démo permet de l’ancrer dans une réalité plus tangible », observe Antoine de Lasteyrie.

Les cadres dirigeants ne sont pas les seuls à s’intéresser au sujet. Parmi ses interlocuteurs, Jean-François Bobier, du BCG, rencontre aussi des DSI. « Ils veulent éviter de reproduire les erreurs du début du web où les métiers étaient partis seuls, la fleur au fusil. Quelques années plus tard, il a fallu intégrer au système d’information les interfaces développées. La DSI craint que les métiers bricolent de nouveau dans leur coin. »

Le métavers nécessite, selon lui, que l’on se penche sur son architecture pour une bonne intégration au SI. « Les conséquences IT sont non négligeables. Il faut par exemple relier les wallets ou les certificats NFT des clients au CRM. » Un nouveau chantier s’ouvre donc pour les DSI…


Un marché global de 250 à 400 md$

Selon une étude du BCG parue en avril dernier, le métavers est à l’intersection de trois bulles technologiques. La première porte sur les mondes virtuels comme Roblox, Fortnite, Zepeto, Sandbox ou Decentraland. À lui seul, Roblox, dédié aux enfants et adolescents, compte 300 millions d’utilisateurs, contre 20 millions aux heures glorieuses de Second Life. La deuxième bulle reprend les technologies de réalité virtuelle et augmentée. 30 millions de casques seraient en circulation, mais la baisse de leur prix devrait faire exploser les ventes. La dernière bulle recouvre les technologies du Web3 (blockchain, NFT…). Au-delà des NFT, les transactions virtuelles comme l’achat d’armes ou de « skins » dans les jeux vidéo représentent 50 Md$. Enfin, le métavers devrait créer des demandes additionnelles en connectivité dans le cloud et avec la 5G. En cumulant ces différentes sources de revenus, BCG arrive à une opportunité de marché estimée entre 250 et 400 Md$.


TÉMOIN – GWENAËL FOURRÉ, chief digital officer

Que fait Axa sur le métavers ?

Les premières pistes sont résolument RH. Le métavers offre tout d’abord un espace de rencontre et d’interaction pour animer la communauté Axa Tech, Digital et Data qui compte plus de 2 000 personnes. Les 7 et 8 juin, ces dernières étaient invitées à vivre deux jours en immersion et à participer à des conférences, à des ateliers ou à un barbecue virtuel. D’ici la fin de l’année, Axa France utilisera le métavers pour attirer les candidats en organisant un jeu concours de développement. « Dans la guerre des talents IT et digitaux, il faut aller vers ces nouveaux lieux où se retrouvent les gamers et la communauté tech », estime Gwenaël Fourré, chief digital officer. La formation devrait être le cas d’usage suivant. Quid du business ? Deux agents généraux du réseau Axa France ont ouvert des agences dans le métavers, et l’un d’eux y noue déjà des relations commerciales. « À l’avenir, on peut imaginer la création d’outils de simulation de produits d’épargne en immersion », conclut Gwenaël Fourré.


Les NFT, une bulle spéculative ?

Les NFT semblent pâtir de la tendance baissière que connaît depuis plusieurs mois le marché des cryptomonnaies. Selon Google Trends, les requêtes renvoyant à ce mot-clé seraient en chute libre depuis le 1er janvier. Les jetons non fongibles, qui permettent de certifier la propriété d’œuvres ou de biens numériques via la blockchain, ont connu un pic en 2021. D’après Chainalysis, 44,2 Md$ (au minimum) auraient été consacrés à l’achat de NFT l’an dernier contre seulement 106 M$ en 2020. Conçus à l’origine pour permettre à des créateurs de vivre de l’art sans passer par des intermédiaires, la popularité des NFT a rapidement dépassé la sphère artistique pour gagner un public plus large. Des Pokémons aux baskets virtuelles en passant par la gifle de Will Smith aux Oscars, tout semble « NFTisable ». Avec l’appât du gain, les geeks de la première heure ont été rejoints par des investisseurs plus ou moins avisés. Usurpations de comptes, contrefaçons… Les cas de piratages, mais aussi de blanchiment d’argent, se multiplient par ailleurs.


EXPERT – HERVÉ RIGAULT, président de Netino by Webhelp

Une indispensable politique de modération

Dérapages nazis et risques de prédations pédophiles sur Roblox, cas de harcèlement sur Fortnite, accusation de viol virtuel sur Horizon Worlds de Meta… les débuts du métavers rappellent ceux du web 2.0 où la libération de la parole en ligne a dû rapidement être encadrée. Pour ne pas devenir un nouveau Far West, les univers immersifs devront rapidement renforcer leur stratégie de modération. The Sandbox va ainsi faire appel à Netino by Webhelp, spécialiste de la modération des espaces sociaux, pour former 150 ambassadeurs. Au-delà de veiller au respect des codes sociaux, ils géreront les premiers pas des utilisateurs, assureront le support technique. Pour Hervé Rigault, président de Netino by Webhelp, cet enjeu de modération concerne également les marques qui ne peuvent pas se retrancher derrière la responsabilité de l’hébergeur. « À la différence du web 2.0, elle est multidimensionnelle dans le métavers. Il faut prendre en compte l’écrit, la voix, la vidéo, mais aussi la personnalisation et le comportement de l’avatar. »


Un gouffre environnemental ?

L’explosion annoncée des métavers fait craindre le pire en termes de bilan carbone. On pense bien sûr à la conception des casques de réalité virtuelle, comme au minage particulièrement énergivore des cryptomonnaies et NFT. Se pose aussi la question de l’infrastructure à mettre en place pour faire interagir simultanément des centaines de millions d’utilisateurs avec une latence extrêmement faible. VP senior d’Intel, Raja Koduri, affirme, dans un billet de blog, que créer un tel métavers suppose une puissance de calcul mille fois plus importante que les technologies actuelles. Ce n’est pas sans raison que Meta doit achever la conception, cet été, de l’un des supercalculateurs les plus puissants au monde (5 exaflops). Un ticket d’entrée qui pourrait fortement limiter la concurrence. De leur côté, les partisans du métavers mettent en avant les progrès attendus en matière d’optimisation matérielle (cartes graphiques) et logicielle (moteurs de rendu 3D) pour réduire pour partie cette dette environnementale. Ils rappellent aussi que le métavers supprimera un certain nombre de déplacements physiques… Dans le domaine de l’automobile, « combien de prototypes physiques la conception en réalité virtuelle d’une nouvelle voiture évite-t-elle ? », interroge Jean-François Bobier.



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