Newtech
Explorer le potentiel du métavers
Par La rédaction, publié le 16 septembre 2022
Une nouvelle corde à l’arc de la collaboration
Le métavers s’invite dans le paysage des outils collaboratifs. Grâce à l’immersion permise par la réalité virtuelle ou mixte, il promet de retrouver à distance la qualité d’interaction d’une réunion physique. Une expérience qui doit cependant encore progresser, pour devenir plus réaliste, plus naturelle.
Par STÉPHANE MORACCHINI
Le boom des déploiements d’outils collaboratifs n’est pas achevé que, déjà, se profile la promesse d’une collaboration à distance encore plus efficace grâce aux métavers. La thématique est porteuse. Un sondage réalisé par Sortlist auprès d’un nombre certes réduit d’entreprises européennes – 200 –, mais ayant toutes investi dans ce monde virtuel, montre que 13,8 % des projets y sont liés à l’environnement de travail. Soit en troisième place derrière les cryptomonnaies (18,3 %) et les NFT (15,2 %), et devant l’image de marque (10,3 %).
Alors que la visioconférence a envahi le quotidien des salariés, le métavers promet de retrouver en ligne le sentiment de présence propre aux réunions physiques, ainsi que la capacité d’interagir sur des objets comme dans la réalité. « Sur des cas d’usage spécifiques, il offre une valeur ajoutée particulière en facilitant l’intelligence collective au sein d’équipes internationales ou de grands projets, remarque Dina Capelle, analyste et consultante senior chez PAC. C’est pourquoi il suscite un fort intérêt dans les entreprises. »
L’effervescence autour du métavers s’est déclenchée l’été dernier, lorsque Meta a dévoilé sa solution Horizon Workrooms, suivi trois mois plus tard par Microsoft avec Mesh pour Teams. De nouveaux acteurs de taille sur un marché occupé jusque-là par de petits spécialistes comme Engage, Glue, Spatial ou Virbela. Sur le plan de l’expérience, la ligne de démarcation se situe entre la réalité virtuelle et la réalité mixte, où le virtuel s’intègre à l’environnement réel via la réalité augmentée et l’holographie. « La première présente l’inconvénient d’offrir un ressenti moins réaliste que la seconde, remarque la consultante. En revanche, la simulation de grands objets en taille réelle, possible en réalité virtuelle, ne l’est pas en réalité mixte, faute de matériel offrant une vision à 360°. » On peut ainsi manipuler, par exemple, une simulation de voiture, zoomer sur elle, passer à travers ses différentes couches de matériaux, mais pas s’asseoir au volant.

En avril dernier, le groupe Bouygues a tenu son premier comité de direction générale dans le métavers, réunissant les présidents des entités du groupe autour de son directeur général.
La majorité des acteurs proposent aujourd’hui des expériences en réalité virtuelle, mais la réalité mixte, que certaines solutions commencent à exploiter, est la prochaine grande étape. Reste que savoir exactement ce que proposent les différents acteurs n’est pas toujours simple. « On est encore beaucoup dans la R&D, et de nombreuses fonctionnalités ne sont encore que des promesses », confirme Dina Capelle. Parmi les solutions évoquées ici, l’une manque d’ailleurs encore à l’appel à l’heure où ce dossier est réalisé : Mesh pour Teams, dont la version bêta était pourtant attendue en début d’année. Les autres acteurs, eux, proposent tous déjà des métavers adaptés à la collaboration.
Des avatars plus « humains »
Dans ces espaces en réalité virtuelle, chacun ressemble à un personnage de jeu vidéo, du type cartoon au plus réaliste, selon la solution. Pour faciliter l’identification de la personne à cet avatar, pour qu’il corresponde à l’image qu’elle veut avoir dans le métavers, il peut en général être créé de toutes pièces, en choisissant les différents éléments de son physique. L’utilisateur peut ainsi faire en sorte qu’il lui ressemble au maximum. Spatial et Engage vont plus loin dans le réalisme : à partir d’une photo d’identité, des algorithmes calquent le visage de la personne sur la tête de son avatar.
« Le photoréalisme, qui contribue à renforcer le sentiment de présence, reste assez peu développé, constate Dina Capelle. C’est un frein important à l’adoption. Un avatar de type jeu vidéo ne donnant pas l’impression d’avoir des réactions humaines ne présente pas d’utilité. Autant faire une visioconférence », remarque-t-elle. Pour obtenir un rendu plus réaliste, il faut se tourner vers l’holographie. Seul Spatial le propose aujourd’hui et, encore, uniquement sur l’application mobile de son métavers, via un mode pour casque de réalité mixte. L’avatar apparaît sur l’écran du mobile, les capacités d’immersion sont donc plus que réduites.
À défaut d’holographie, on cherche à restituer la dimension communication informelle en animant le visage de l’avatar quand la personne parle et en reproduisant les gestes de cette dernière. C’est ce que proposent Glue et Horizon Workrooms, grâce à la fonction de hand-tracking du casque de réalité virtuelle et à une technologie simulant les mouvements de la bouche à partir de l’audio. « On a l’impression d’avoir quelqu’un en face de soi avec qui l’on échange. Comme il est expressif, l’avatar n’est pas gênant, même s’il n’est pas ressemblant », témoigne Christophe Liénard, directeur central innovation groupe chez Bouygues, à propos d’Horizon Workrooms. Avec son équipe du E-Lab, ils ont commencé voilà six mois à tester cette solution, ainsi que Spatial et Engage, pour leurs réunions d’équipe. En avril dernier, le comité de direction générale (CoDG) du groupe, qui rassemble son directeur général et les présidents de ses entités, a tenu sa première réunion sur la solution de Meta.

Les avatars de réalité virtuelle se font plus «humains». Si Glue est capable de restituer les expressions du visage et le mouvement des mains.
En matière d’espaces de réunion, les spécialistes des métavers proposent des modèles prêts à l’emploi et personnalisables, du bureau individuel à la grande salle de conférence, en passant par des lieux de détente. L’enjeu étant de reproduire le monde de l’entreprise, on peut y trouver aussi des espaces destinés à des activités favorisant la cohésion d’équipe. Virbela, par exemple, met à disposition une piste de danse, un terrain pour jouer au football, un bord de mer pour faire du speed-boat… Si la configuration des espaces et le design du mobilier proposés ne conviennent pas, Glue, Spatial et Engage permettent d’intégrer dans leur métavers des environnements créés sur un logiciel 3D. Horizon Workrooms n’offre pas toute cette richesse. Seuls des bureaux d’équipe sont proposés. Mais sur le plan ergonomique, l’option retenue est astucieuse. En deux clics, on peut changer leur configuration : passer d’une table en U pour les petites réunions, à des tables en arc de cercle pour les plus grandes ou en rang pour les présentations. L’espace ajuste aussi sa taille en fonction du nombre de participants, au maximum 16.
De nombreuses fonctionnalités pour collaborer
Tous les acteurs proposent les fonctions nécessaires à la collaboration en réunion : tableau blanc ou noir, post-it, partage d’écran, de fichiers ou, encore, de flux vidéo. En termes d’intégration applicative, la situation est très variable. Dans Engage, par exemple, il faut au préalable copier l’URL de la page web à partager, puis la coller dans la tablette numérique de l’espace virtuel pour s’y connecter. À l’inverse, Glue accède directement aux applications de Microsoft 365 et Google Workspace, ainsi qu’à Jira ou Slack. De son côté, Horizon Workrooms se distingue encore sur le plan ergonomique : chacun y dispose d’un bureau personnel avec un ordinateur virtuel affichant l’écran du véritable. Quand l’utilisateur se rend dans une salle de réunion, cet environnement de travail se déplace avec lui.
En dépit des nombreuses possibilités évoquées ci-dessus, les différents acteurs font cependant en général l’impasse sur les fonctions plus spécifiques visant à favoriser la collaboration, comme celles de management visuel ou d’animation de réunion. Lors du CoDG de Bouygues dans Horizon Workrooms, des séquences de questions-réponses ont été organisées. Un membre était au tableau et cochait les réponses de chacun. « C’est bien, estime Christophe Liénard, mais quand on a l’habitude d’utiliser des outils d’animation comme Klaxoon, cela reste rudimentaire », remarque-t-il. Sur ce terrain, Engage se distingue un peu, avec une fonction pour réaliser des quiz, organiser des votes, recueillir des avis. Des modèles de tableau blanc sont aussi proposés, pour établir un planning, gérer un projet en mode Kanban, par exemple.
L’ensemble des spécialistes partagent en revanche un avantage, celui de pouvoir intégrer des modèles 3D dans l’espace virtuel. « Pouvoir collaborer sur des simulations d’objets, cocréer de petits prototypes jusqu’à des bâtiments entiers que l’on peut visiter en taille réelle pour discuter des changements à apporter, constitue sans doute le cas d’usage le plus intéressant du métavers », remarque Dina Capelle.
Des capacités d’interaction encore perfectibles
Si les avatars gagnent en expressivité, deviennent plus « humains », interagir dans un métavers reste cependant souvent peu naturel. Toutes les solutions nécessitent des manettes de contrôle, et intervenir sur l’environnement impose souvent de s’en servir pour naviguer dans des cascades de menus, en particulier quand il s’agit de manipuler des objets 3D. Mais la tendance est de s’appuyer sur la fonction de hand-tracking du casque de réalité virtuelle pour commencer à s’affranchir des contrôleurs, comme chez Spatial et, surtout, dans Horizon Workrooms. « Voir ses mains, se servir de ses doigts, rend l’expérience très immersive », constate Christophe Liénard. En la matière, la solution de Meta se distingue encore, cette fois en tirant parti de la fonction de réalité augmentée du casque Oculus Quest 2 : une fois le clavier réel scanné avec un contrôleur, celui-ci apparaît sur le bureau virtuel et l’utilisateur peut s’en servir en voyant ses vraies mains. La qualité d’image reste néanmoins perfectible, et mieux vaut connaître les touches du clavier. « Même lorsqu’elle permet d’ajouter des éléments de l’environnement réel, la réalité virtuelle crée toutefois un ressenti moins réaliste que la mixte », remarque Dina Capelle.
Chez Bouygues, l’expérience avec le CoDG s’est révélée concluante et l’on réfléchit à la suite. Les RH des différentes entités vont notamment, elles aussi, réaliser un test dans le cadre de leur réunion au niveau du groupe. « Je m’attendais à ce que les membres du CoDG abandonnent au bout de 30 minutes, en raison du poids du casque, mais la réunion a duré deux heures, raconte Christophe Liénard. Nous croyons beaucoup aux métavers. Ils offrent une meilleure interaction que la visioconférence. Avec des casques peu coûteux, on obtient une expérience de réalité virtuelle assez bluffante. Mais les métavers doivent encore s’améliorer en matière d’interaction, tout comme en proposant des avatars qui ne semblent pas venir d’un jeu », estime-t-il.
Cap sur la réalité mixte
Le paysage devrait de toute façon encore beaucoup bouger. Chez Meta, par exemple, un casque haut de gamme de réalité virtuelle et augmentée est en développement. Il disposera notamment de technologies de face-tracking et d’eye-tracking pour mieux restituer les expressions faciales. Du côté de Microsoft, Mesh pour Teams devrait, dans un premier temps, ne permettre que d’assister à une visioconférence Teams en étant représenté par un avatar, donc sans véritable immersion dans un métavers. Cet avatar s’animera en fonction des signaux audio lorsque la personne parle, ensuite en captant les expressions de son visage via la webcam. Si l’éditeur a pris du retard, il dispose toutefois, avec sa plateforme Mesh, de toutes les technologies nécessaires pour relever le défi d’une expérience immersive toujours plus réaliste. « La prochaine grande étape pour Microsoft, c’est la réalité mixte, avec une solution holographique », confirme Dina Capelle.

Comme dans toute réunion physique, le tableau blanc ou noir et les post-it constituent les outils de base pour collaborer dans le métavers (ici dans l’environnement Engage).
Dans ce domaine, des améliorations sont aussi attendues en matière de réalisme. De nouveaux acteurs se positionnent d’ailleurs pour répondre à cet enjeu, à l’instar de Cisco avec sa solution Webex Hologram. Elle permet d’organiser une réunion en réalité mixte et d’y manipuler des représentations holographiques de petits objets. « Elle apporte déjà une dimension photoréaliste poussée, constate la consultante. Mais, pour l’instant, seulement entre deux interlocuteurs, et avec un espace virtuel qui n’est pas persistant », précise-t-elle. De plus, pour obtenir cette qualité de rendu de la personne et des objets qu’elle présente, une accroche murale munie de onze caméras doit être placée devant elle… Quand on ne dispose que d’un casque de réalité mixte, notre interlocuteur ne voit que vaguement à quoi on ressemble et nos gestes.

Dans Horizon Workrooms, une fois la zone du clavier réel scannée, elle apparaît dans l’espace virtuel de l’utilisateur, tout comme ses mains.
Les possibilités offertes en termes de simulation, manipulation ou cocréation d’objets intéressent néanmoins déjà des industriels comme McLaren ou Airbus, qui testent la solution dans l’optique de faciliter la collaboration entre leurs équipes d’ingénieurs réparties sur différents sites.
Des défis à relever
Enfin, en réalité virtuelle comme en mixte, un dernier défi reste à relever pour rendre l’expérience immersive réaliste, celui de la dimension haptique. L’absence de sensation quand on touche un objet, l’impression de taper dans le vide quand on se sert d’un clavier virtuel, ne rendent pas les interactions très naturelles. « C’est une lacune importante des métavers et beaucoup de recherches sont menées dans ce domaine, relève Dina Capelle. Disposer de gants haptiques sera crucial pour améliorer l’expérience. » Meta planche notamment sur le sujet. En octobre dernier, il a présenté un gant capable de reproduire les sensations de texture, de pression, de vibrations. Développé depuis sept ans, ce n’est toutefois encore qu’un prototype.

Webex Hologram exploite les technologies de lunettes Hololens et Magic Leap pour faciliter la collaboration entre deux personnes sur des objets virtuels, mais pas dans un univers persistant.
Au-delà de l’expérience proposée, d’autres critères doivent aussi être pris en compte lorsque l’enjeu est de collaborer dans un métavers. En premier lieu, même si les solutions actuelles ne permettent pas encore de le faire en réalité mixte, cette dernière représente un coût plus important, avec des casques avoisinant les 2 000 à 3 000 €, contre 350 à 400 € pour ceux de réalité virtuelle. Autre problématique, celle de la sécurité des données, notamment personnelles, telles les données biométriques utilisées pour modéliser un hologramme, restituer la gestuelle, etc. « Pour travailler dans le métavers, il faut avoir des garanties que ces informations seront protégées et ne seront pas utilisées à mauvais escient, remarque Dina Capelle. Mais pour l’instant, le métavers, c’est l’Ouest sauvage de la sécurité », pointe-t-elle.

À côté des environnements de travail, les métavers peuvent offrir des espaces pour des activités favorables à la cohésion d’équipe. Comme faire du Speed-Boat, dans Virbela.
Enfin, même si le sujet est rarement abordé, l’impact environnemental ne doit pas être négligé, en particulier au niveau des équipements, dont la fabrication est gourmande en ressources. « Si une entreprise dote ses 60 000 salariés de casques de réalité virtuelle pour quelques utilisations de son métavers, cela pose question, remarque la consultante. L’impact environnemental du métavers impose de sortir de l’effet de mode, de laisser de côté les usages gadget pour se concentrer sur ceux ayant une valeur ajoutée, défend-elle. Quand une visioconférence suffit, il faut s’en contenter. Et ne pas oublier que le présentiel est aussi important », souligne-t-elle.
