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Gouvernance

“L’agilité et l’ouverture sont au coeur du SI de l’État”

Par La rédaction, publié le 03 octobre 2016

Début 2011, l’État français se préoccupait enfin d’harmoniser les systèmes d’information de ses ministères et administrations et créait la Disic (Direction interministérielle des systèmes d’information et de communication). En septembre dernier, celle-ci a fusionné avec Etalab pour former la Dinsic, dont Henri Verdier a pris la responsabilité, poursuivant l’action de Jacques Marzin (voir IT for Business nº 2194). Point d’étape sur la transformation numérique de l’action publique.  

La Dinsic poursuit les missions de l’ex-Disic. À savoir, rationaliser et unifier le système d’information de l’État. Pouvez-vous rappeler les grandes lignes de cette action ?

Henri Verdier : La Dinsic est responsable du SI unifié de l’État, c’est-à-dire qu’elle travaille avec les DSI ministérielles pour sécuriser la capacité informatique de l’État, mais aussi pour construire une plus grande interopérabilité, une plus grande accessibilité, et pour garantir la meilleure mutualisation des ressources et des investissements. Pour ce faire, elle travaille également à accompagner la carrière des informaticiens de l’État, dans les ministères comme dans l’administration territoriale (les Sidsic) ou sur la conduite des projets. Au fil du temps, elle a également reçu certaines missions de contrôle, c’est-à-dire le devoir d’étudier tout nouveau projet d’un montant supérieur à 9 millions d’euros et de donner son avis conforme (ou de le refuser).

La Dinsic est donc en charge des orientations technologiques de toutes les briques applicatives, d’infrastructure et de réseau du système d’information. De leur côté, les ministères définissent leurs besoins métiers et applicatifs et mettent en place les solutions. À l’instar d’une DSI groupe de grand compte, la Dinsic n’a pas vocation à se substituer aux DSI en place dans les ministères ni à freiner les innovations. Son rôle est de formaliser et d’encadrer les architectures pour décloisonner un système d’information encore trop hétérogène.

Par ailleurs, placée au sein du SGMAP, le Secrétariat général à la modernisation de l’action publique, la Dinsic est également engagée au service de la transformation numérique de l’action publique, poussant par exemple les usages de la donnée, le développement d’API (stratégie dite d’État plateforme), une culture du DevOps, la maîtrise des datasciences ou encore de l’agilité.

C’est le cas par exemple des « start-up d’État », petites équipes agiles au sein de l’Administration, qui développent en un temps record des produits et des services innovants. Pour ne prendre qu’un seul exemple, c’est cette équipe qui a développé un service chargé de simplifier les démarches de réponse à un marché public. Ce service, appelé Marchés publics simplifiés, permet aux sociétés de répondre sans fournir de pièces justificatives, l’État s’organisant – et développant les briques logicielles – pour les rechercher lui-même dans ses systèmes d’information. Plus de 10 000 marchés ont déjà été proposés avec cet outil.

Comment est organisée la Dinsic ?

HV : La Dinsic compte à ce jour 120 collaborateurs, répartis en quatre grands services, qui coopèrent étroitement avec les DSI ministérielles et avec les Sidsic en charge de l’informatique pour les services territoriaux. Le service « performance des services numériques » est garant de la rationalisation et de l’efficacité du SI de l’État (notamment en matière de solutions RH) et opère certains projets comme le cloud ou France Connect. Le RIE déploie et opère le réseau interministériel de l’État qui reliera en 2017 tous les sites ministériels. La mission Etalab est en charge de la donnée et des stratégies ouvertes : open data, datascience, partenariats pour un gouvernement ouvert. Enfin, l’incubateur des services numériques développe des produits et des API en méthode agile et s’emploie à favoriser la diffusion de ces méthodes au sein des administrations qui le souhaitent.

Mais ce qui est sans doute le plus important, c’est le travail sur un certain nombre de projets « charnières », qui mobilisent deux ou trois de ces services, comme l’État plateforme, nos stratégies en matière de logiciel libre, ou encore la gouvernance de la donnée.

Vous étiez auparavant responsable d’Etalab, désormais composante à part entière de la Dinsic. Quel est le rôle de l’open data en particulier dans le SI de l’État ?

HV : L’open data, l’open gouvernement ou même l’open source sont des politiques essentielles en matière de transparence et de maturité démocratique, qui constituent de ce fait des objectifs à part entière. Elles sont également des leviers importants pour la modernisation numérique de l’action publique.

Ces politiques ont besoin de s’appuyer sur des SI efficaces. En retour, elles permettent à l’action publique de travailler dans des approches plus ouvertes, plus agiles, en s’alliant avec de grands écosystèmes de contributeurs. Elles nous conduisent aussi à améliorer nos logiques d’action et l’utilisation de nos propres données. Par exemple, pour prédire des entreprises susceptibles de recruter dans les mois qui viennent, la start-up d’État « La Bonne Boîte » a finalement utilisé des données des déclarations préalables à l’embauche. Nul ne soupçonnait jusqu’alors que cette donnée très administrative permettait également de faire de l’analyse prédictive et de répondre à tant d’autres questions.

Mais avez-vous en interne la capacité de « faire parler » ces données ?

HV : Oui, car la fonction d’administrateur général des données, créée par le Premier ministre, est également portée par la Dinsic et peut s’appuyer sur une petite équipe de datascientists au sein de la mission Etalab. Cette capacité est très importante : l’analyse prédictive, la décision temps réel, le big data, appliqués aux données de l’administration, laissent entrevoir des perspectives considérables en matière d’économies, d’amélioration des politiques publiques et même d’innovation.

Elles peuvent être appliquées à des domaines très variés. Ainsi, notre petite équipe a déjà formalisé des méthodes permettant de prédire différents actes de délinquance, d’identifier des entreprises en instance de recrutement, ou encore de travailler sur le calcul de l’impôt ou sur nos propres stratégies d’achat d’électricité.

Et, plus globalement, qu’en est-il de la gouvernance de la donnée au sein de l’État ?

HV : Au vu des mutations en cours, la gouvernance de la donnée devient un enjeu incontournable. L’État manipule un très grand nombre de données. Organiser la circulation de ces données pour en permettre l’usage maximum souhaitable, dans le respect le plus strict des secrets légaux (et notamment de la vie privée) est un enjeu majeur. Il faut à la fois réussir à cartographier tous ces savoirs disséminés dans nos systèmes d’information, construire les possibilités d’interopérabilité – souvent grâce aux API -, garantir les sécurités nécessaires (par exemple en utilisant France Connect pour recueillir le consentement de l’usager avant tout échange de données le concernant), etc. La question de la gratuité de ces échanges est également importante. La loi Lemaire, en cours d’examen, prévoit ainsi que les administrations n’ont plus le droit de se vendre des données entre elles.

Quels moyens mettez-vous en œuvre pour rationaliser le SI de l’État ?

HV : Il y a d’une part une importante dimension de sécurisation des projets et des processus : côté infrastructures et réseaux, la démarche de mutualisation déjà largement initiée se poursuit. Le réseau interministériel de l’État raccorde à ce jour plus de 10 000 sites d’administrations, conformément à sa feuille de route. Sur le terrain des infrastructures, les engagements concernant la réduction du nombre de datacenters – d’environ 120 à une vingtaine, sur 10 ans – sont en voie d’être tenus. Certains ministères, comme Bercy et La Défense, ont ouvert leurs infrastructures à d’autres. La Dinsic soutient aussi la construction d’un cloud accessible à toutes les administrations. Bien entendu, ces différentes transformations doivent s’accompagner d’une mutation dans la conduite des projets, qui doivent s’inspirer de plus en plus des approches agiles. Nous insufflons progressivement cette culture, notamment auprès des chefs de projet.

La Dinsic travaille également sur la gestion des carrières. Il faut savoir que les 18 000 informaticiens de l’État sont historiquement répartis dans 90 corps différents. Pour aller dans le sens d’une meilleure unification de leur statut, et donc permettre une meilleure mobilité ou encore une meilleure formation, nous avons favorisé l’ouverture à l’interministériel du corps d’ingénieur SIC du ministère de l’intérieur. Il servira ainsi de corps d’accueil pour les ministères peu ou pas dotés.

Il y a d’autre part une stratégie d’ensemble, que nous appelons l’État plateforme, qui consiste à développer une informatique plus modulaire, ouverte grâce à un ensemble d’API structurantes, et utilisant France Connect pour authentifier les usagers et organiser la circulation de leurs données autour de leur consentement.

En matière d’applications, quelles sont les orientations retenues et quelles sont les premières réalisations ?

HV : Notre démarche a notamment pour but d’aller vers la constitution d’une plateforme d’API réutilisables. L’homogénéisation comme la mutualisation des applications passent par une architecture, par une « APIsation ». Plus qu’une simple question technique de réutilisation, cette démarche suppose un changement de posture. Les responsables métiers mettent leurs connaissances à disposition des autres ministères à travers ces API.

Cette disponibilité via une plateforme accessible à toutes les administrations, centrales comme territoriales, commence à prendre forme. Exemple, l’API Entreprise échange une trentaine d’informations sur les entreprises. Elle est utilisée à ce jour dans 70 applicatifs par des utilisateurs comme la Caisse des Dépôts, la Banque d’investissement, la DGFIP… Destinée à faciliter le quotidien du citoyen, une autre famille intègre les règles administratives pour vérifier l’éligibilité à des droits spécifiques, par exemple le montant des droits auxquels un usager peut prétendre. Elle propose des catalogues de règles. Une troisième famille gère les données personnelles avec un haut niveau de sécurité. La dernière comprend des informations géographiques pour des applications de géolocalisation et de cadastre.

Nous n’en sommes qu’aux premiers pas. Le portail api.gouv.fr donnera prochainement accès à ces outils.

France Connect est l’un des projets phares menés la Dinsic ? Où en êtes-vous ?

HV : J’ai mentionné à quel point France Connect est important dans la stratégie d’État plateforme. France Connect est un hub mettant en relation des fournisseurs de service, comme Télépoints ou Service-public.fr, avec des fournisseurs d’identités numériques, comme la DGFIP (impots.gouv.fr) ou La Poste (avec Loggin).

France Connect a pour premier objectif de faciliter le quotidien des usagers et des administrations. Côté usager, il permet de s’identifier à un service en ligne (fonction de SSO) et, grâce aux API que nous développons, de réaliser un nombre croissant de démarches sans avoir à fournir les mêmes documents à des services ou à des administrations différentes. Une mairie n’aura plus à demander l’avis d’imposition pour calculer le quotient familial et le tarif de la cantine scolaire, parce qu’elle récupérera cet avis directement auprès des services fiscaux avec l’autorisation de l’usager. France Connect sera donc également à la base de nouveaux services.

Quel sera le poids de l’open source à moyen terme dans le SI de l’État ? Et où en sont les accords passés avec les grands éditeurs ?

HV : Le secteur public est traditionnellement favorable au logiciel libre. En outre, de nombreux agents publics sont contributeurs dans ces communautés, comme OpenStreetMap par exemple, un système de cartographie largement équivalent à Google Maps.

Outre la politique d’achat, qui prend en considération le logiciel libre conformément à la circulaire Ayrault, et la loi Lemaire, qui encouragera l’examen loyal de ces solutions, nous allons désormais essayer de mieux travailler avec ces communautés, en reconnaissant que l’État peut avoir une place à part entière dans ces écosystèmes.

Rappelons que la Dinsic n’est pas l’acheteur. Les ministères restent les donneurs d’ordres et je pense qu’il est important qu’un responsable informatique garde le choix ultime des outils dont il a besoin. Nous travaillons en revanche ardemment sur l’interopérabilité.

Côté grands éditeurs, un accord avait déjà été signé avec Oracle. Des négociations sont en cours avec les autres grands éditeurs, notamment Microsoft. Pour aider les acheteurs, nous proposons également un guide du Soft ware Asset Management.

Comment voyez-vous le futur du SI de l’État ?

HV : Nous travaillons d’arrache-pied pour que le SI de l’État soit de plus en plus maîtrisé et effi cient, dans toutes ses dimensions. Nous espérons en particulier qu’il empruntera en quelques années le meilleur des cultures de l’ouverture, de l’agilité ou de la data.

Avec la stratégie d’État plateforme, nous espérons faire naître progressivement un SI modulaire, interopérable et surtout souple et évolutif.

Enfin, avec le travail sur le gouvernement ouvert, ou sur l’open data, nous espérons que ce SI rénové sera au coeur d’une authentique modernisation de l’action publique.

Propos recueillis par Patrick Brébion et Pierre Landry

 

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