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« La crise pandémique accélère la bascule des PME du cuivre SDSL vers la Fibre »

Par Laurent Delattre, publié le 05 octobre 2020

À l’occasion de la sortie d’une nouvelle offre « Fibre Sécurisée » à destination des PME nous avons rencontré François Treuil, Directeur général de Bouygues Telecom Entreprises, pour faire un point sur l’évolution des télécoms en France, l’adoption de la Fibre en entreprise et les enjeux à court terme de la 5G.

Quelle est la stratégie de Bouygues Telecom aujourd’hui sur les différents marchés Telecom ? Allez-vous multiplier les services étendus ou vous appuyer sur des partenaires ?

La stratégie de Bouygues Telecom Entreprises repose sur au moins trois piliers :
– Le développement de l’infrastructure Fibre (FTTH et FTTO). La création d’une co-entreprise avec Cellnex, annoncée en juin, s’inscrit dans cette volonté.
– Les acquisitions externes, avec notamment celles de Keyyo et de Nerim l’an dernier. Typiquement, Keyyo est un accélérateur de transformation numérique avec sa solution UCaaS qui permet de provisionner tout un service de standard téléphonique en 15 minutes. Nous capitalisons sur leurs services et pratiques pour mieux adresser les PME.
– Une stratégie de conquête tarifaire et d’innovations dans les offres, stratégie dans laquelle s’inscrit notre nouvelle solution « Fibre Entreprise Sécurisée ». D’une manière générale, notre objectif est de proposer des alternatives plus compétitives aux entreprises pour qu’elles puissent enfin se déployer sur la Fibre.

Fraçois Treuil, Directeur Général de Bouygues Telecom Entreprises

Côté services, notre stratégie est à l’opposé de celle d’Orange. Nous avons choisi de développer des services très proches de la connectivité à l’instar du récent rachat d’APIzee, une solution qui permet finalement à nos clients de mieux communiquer entre eux et d’intégrer directement la visio dans les processus métiers. Nous sommes persuadés que les flux vidéos vont se multiplier dans le monde de l’entreprise…

Toutes nos solutions sont commercialisées par Bouygues Telecom mais aussi au travers d’un écosystème de revendeurs partenaires. Dans une stratégie un peu inverse à celle d’Orange, comme nous nous focalisons sur notre cœur de métier, nous cherchons à nous associer avec des partenaires à valeur ajoutée dont les compétences viennent compléter nos offres. Particulièrement sur le marché PME, ces partenaires packagent nos produits dans leur propre catalogue de services.

Quelles sont les parts de marché B2B de Bouygues Telecom ?

Bouygues Telecom Entreprises est présente dans environ une société sur trois du CAC40, principalement en mobile. Sur le fixe (ndlr : xDSL et Fibre) notre présence est d’environ une entreprise du CAC40 sur 10 et notre objectif est de progresser vers 1 entreprise sur 5.

Sur le noyau économique le plus dynamique, les ETI, nous sommes présents dans 1 entreprise sur 5.
Sur les PME, notre présence reste limitée à 1 entreprise sur 10. Sans annoncer d’horizon dans le temps, notre objectif est de clairement au moins doubler notre présence.

Sébastien Soriano, le président de l’Arcep, regrettait il n’y a pas si longtemps un manque de concurrence sur le marché entreprise, notamment sur celui des PME. Il y voyait un frein au basculement du cuivre vers la Fibre. Qu’en est-il selon vous ?

Nous avons entamé ces derniers 18 mois un gros effort sur le secteur PME B2B.
Nonobstant les déclarations de la DFC ou de l’ARCEP, la concurrence joue aujourd’hui à plein sur ce secteur. La situation de non-concurrence était historiquement vraie, mais elle ne l’est plus désormais et depuis au moins 12 mois.

Notamment en ce qui concerne Bouygues Telecom, les efforts sur la Fibre entreprise expliquent ce retournement de situation. Le marché bascule aujourd’hui du xDSL vers la Fibre. Les entreprises sont amenées à faire de nouveaux choix technologiques et nécessairement à se poser la question de la reconduction de l’opérateur déjà en place. Les chakras s’ouvrent vers de nouveaux opérateurs ce qui dynamise la concurrence.

Un autre phénomène entre aussi en jeu. Nous avons considérablement abaissé le coût de la fibre dédiée (100 mégas garantis, débits symétriques et sans partage car cette fibre FTTO est dédiée à l’entreprise, intervention dans les 4 heures, supervision 24/24). Facturée autrefois aux alentours de 1000 euros par mois, elle est désormais proposée à 300 euros par mois ce qui la rend bien plus accessible aux PME et PMI dans les zones où nous sommes éligibles, zones qui couvrent environ 50% des entreprises en France.

Justement, votre annonce du moment semble tomber à point nommé puisqu’elle propose une nouvelle offre Fibre très accessible, spécialement pensée et calibrée pour les petites entreprises. Pouvez-vous nous en expliquer les tenants et aboutissants ?

Bouygues Telecom Entreprises introduit en effet sur le marché une offre qui est pour l’instant unique en son genre.

Aujourd’hui, les entreprises ont le choix entre d’un côté du FTTH (Fiber To The Home) à 40€/mois environ, autrement dit l’équivalent de l’offre grand public avec quelques services supplémentaires mais sans garantie de débit ni garantie de service (si ce n’est une éventuelle clé 4G à brancher manuellement en secours), et de l’autre côté la Fibre dédiée FTTO (Fiber To The Office) à 300 €/mois qui représente un budget annuel significatif pour les petites entreprises. Il manquait sur le marché une offre intermédiaire.

L’offre « Fibre Entreprise Sécurisée » propose pour 79 €/mois des services qu’autrefois seuls les grands comptes pouvaient s’offrir. Cette offre intègre en effet une cybersécurité managée, une garantie de continuité de service grâce à un basculement automatique de la box sur la 4G en cas d’indisponibilité temporaire de la connexion Fibre, une bande passante symétrique minimale garantie de 20 mégabits (en upload et download) ainsi qu’une supervision proactive et un support étendu avec intervention dans les 8 heures.

Une telle offre cherche à accélérer la transformation des entreprises et le passage du vieux SDSL (produit historique dédié aux entreprises) vers la fibre optique. Elle apporte de vrais services d’entreprises à un prix proche de celle d’une offre grand public.

Pouvez-vous nous en dire un peu plus sur l’aspect « cybersécurité intégrée » de cette offre ?

Elle est le fruit d’un partenariat avec Fortinet et de l’installation de leurs solutions dans le cœur de réseau. Il n’y a pas de boîtier supplémentaire à installer chez le client. Cette protection procure le même niveau de sécurité qu’un pare-feu Next Gen physique avec filtrage des sites dangereux et des fichiers infectés mais avec une gestion centralisée dans le Cloud. L’offre intègre la licence Fortinet.

La promesse, c’est que les malwares et virus ne passeront pas par le réseau. Notre offre procure un premier niveau de défense et de sécurité managée. Au moment du bon de commande, on recueille les besoins du client, ses spécificités et le niveau de filtrage souhaité afin de lui pré-paramétrer sa protection. Si des changements doivent être ensuite opérés, ils pourront l’être par la hotline support comme par un expert de l’entreprise si elle en a un. D’expérience nous savons que les TPE et petites PME conservent la plupart du temps les paramètres standards. Leur métier n’est pas la sécurité mais leur devoir est de se protéger.

Cette cybersécurité intégrée semble alignée sur les demandes de Guillaume Poupard, le président de l’ANSSI qui, à de multiples reprises, s’est inquiété de voir les grandes entreprises attaquées par les PME qui constituent leur Supply Chain…

Ce que notre étude de marché a rappelé, c’est que la complexité réside dans la mise en œuvre. Tout le monde est d’accord sur cette nécessité d’être protégé, mais comment une TPE ou PME sans compétences internes peut répondre à cette nécessité ? La sécurité, la connectivité et les télécoms sont des sujets vraiment complexes pour les petites entreprises. D’où l’idée de proposer une offre en quelque sorte tout-en-un.

Votre offre « Fibre Entreprise Sécurisée » intègre un backup 4G pour compenser la perte momentanée de la connexion fibre. Ce backup est-il automatique et y a-t-il des coûts et limitations sur la Data ainsi consommée en 4G ?

Cette notion d’utiliser la 4G en lien de secours quand le lien fixe dysfonctionne n’est pas nouvelle. Mais jusqu’ici, elle n’avait aucun caractère simple et automatique. Généralement, les autres opérateurs proposent un boîtier 4G séparé à installer et activer manuellement quand on s’aperçoit que l’Internet ne marche plus.

L’idée ici, c’est que lorsque nous installons le boîtier Fibre (un routeur Cisco), nous installons en même temps un routeur 4G. En cas de défaillance de la Fibre, le routeur Cisco bascule automatiquement la connectivité Internet sur le routeur 4G. Dès qu’il repère un retour à la normale de la connexion Fibre, le routeur Cisco rebascule automatiquement la connectivité Internet sur ce lien.

Tout est transparent. Il n’y a aucune intervention humaine dans le processus. Les utilisateurs ne s’aperçoivent même pas de la bascule. Et ils n’ont pas à ouvrir de ticket d’incident, le service de supervision proactive étant en effet automatiquement alerté de l’incident et déclenchant l’intervention de nos équipes techniques dans les 8 heures.

Il n’y a aucun surcoût attaché à cette bascule 4G et à la consommation de Data, ni même de limite « Fair Use » de Data. C’est à Bouygues Telecom d’assumer la charge de la panne et d’assurer un retour rapide en conditions normales.
Offrir une telle solution de connectivité de secours automatisée est crucial dans un monde où les PME reposent de plus en plus sur les outils en mode SaaS pour fonctionner.

L’offre semble calibrée pour les TPE et PME. Mais peut-elle séduire d’autres acteurs ?

L’ensemble des services proposés par cette “Fibre Entreprise Sécurisée”, notamment le débit symétrique garanti et le lien de secours en 4G, rendent aussi l’offre attractive aux yeux des grands comptes qui possèdent un réseau d’agences ou de succursales.

Le débit symétrique garanti de 20 mégabits est une vraie originalité de cette offre. Avec l’utilisation croissante de la VoIP, de la visioconférence et des applications en mode SaaS, les PME comme les agences et succursales, ont besoin d’une même garantie de débit en upload qu’en download. À nos yeux, cette connectivité symétrique à débit garanti enlève l’un des principaux freins qui retenaient encore certaines petites entreprises sur les offres SDSL. Elles vont pouvoir passer à la fibre sécurisée.

Justement, où en est le déploiement de la Fibre chez Bouygues Telecom ?

Nous fournissons 14,3 millions de foyers et d’entreprises raccordés à la Fibre en FTTH, l’objectif étant d’atteindre les 22 millions en 2022. Nous gagnons en moyenne un million de foyers supplémentaires par trimestre en ce moment. C’est à peu près le rythme suivi par tous les opérateurs sur le marché.

Sur la fibre dédiée FTTO, l’arrivée d’offres à 300 € par mois chez Bouygues Telecom Entreprises rend ce marché beaucoup plus accessible notamment aux PME qui ont des besoins importants de connectivité. Mais ce qui me semble important à signaler, c’est que nous la déployons de plus en plus dans des agglomérations de taille moyenne (les zones rurales moyennement denses) qui étaient jusqu’ici uniquement desservies par Orange comme Villeneuve-d’Ascq, Lagny-sur-Marne, etc. À la fin de l’année, nous atteindrons un taux de déploiement d’un peu plus de 40% des entreprises qui sont fibrables par Bouygues Telecom avec un objectif à 60% d’ici fin 2021.

2020 est une année très particulière. Comment avez-vous abordé le confinement lié à la pandémie ?

Notre première priorité a été la sécurité de nos collaborateurs et juste derrière la poursuite d’activité de nos clients. Personne n’a été mis au chômage partiel. Nous n’avons pas du tout communiqué sur le sujet, mais nous avons multiplié nos efforts auprès des établissements de santé : typiquement, les hôpitaux et cliniques clients du fixe ont bénéficié d’une assistance 24/24 sans même avoir à souscrire au service, avec une garantie de rétablissement 24/7. Et nous avons également équipé plus de 200 établissements de santé en cartes SIM, en téléphones reconditionnés, en routeurs 4G.

Nous avons également appelé nos clients pour savoir comment nous pouvions les aider. Une initiative proactive qui a conduit par exemple Bouygues Telecom Entreprises à aider une société comme Eolane dans le Maine-et-Loire. Elle fabrique des respirateurs et a été contrainte de quintupler sa production du jour au lendemain. Mais leur connectivité ne suffisait pas. On leur a dépêché un camion avec une antenne 4G amplifiée sur le toit pour les aider.

On a aussi aidé les clients à sortir du confinement. Typiquement, certains établissements ont coupé le courant pendant 3 semaines et il fallait s’assurer que tout redémarre normalement.

Quelles conséquences concrètes la crise sanitaire a-t-elle eues sur le marché Télécom ?

Les usages voix de la téléphonie mobile ont été multipliés par 3 durant le confinement. Et la bascule DSL vers la fibre s’est accélérée depuis le déconfinement, aussi bien chez les particuliers que dans les entreprises. Ces dernières se demandent comment rester résiliente et notamment économiquement résiliente en ayant plus pour moins cher. Il en résulte une saine concurrence entre les fournisseurs.

La 5G est au cœur de nombreuses polémiques en France. Les débats se focalisent sur les usages du grand public en effaçant totalement de l’équation les atouts de la 5G pour les entreprises et l’économie française. Peut-être parce que certains n’y voient pas d’usages à court terme. Quels sont selon vous les usages 5G à même de séduire les entreprises dès son lancement ?

On voit se démarquer deux cas d’usage « entreprise » sur la 5G dès 2021.

D’une part, les routeurs 5G. Il faut savoir que 30% des connexions « entreprise » dites fixes, chez Bouygues Telecom Entreprises, sont des connexions 4G ! Quand vous avez un routeur 4G qui offre 30 à 40 mégas de débit dans une zone sans FTTH/FTTO et où vous ne pouvez pas amener en xDSL plus de 2 ou 3 mégas, la 4G devient très compétitive d’un point de vue service. C’est une solution que nous avons démocratisée. Nous pensons que la 5G prendra progressivement le relais, au rythme de son déploiement.

D’autre part, le fait que les entreprises demandent de plus en plus des couvertures mobiles dédiées, spécifiques, pour renforcer la couverture 3G/4G sur les sites. Notre partenariat avec Ikea en est une belle illustration. Le projet consistait à basculer 5 000 lignes fixes vers des lignes mobiles (pour remplacer les terminaux DECT) ce qui imposait d’avoir une bonne couverture dans l’ensemble des magasins Ikea. Une couverture pour leurs vendeurs comme pour leurs clients. On a amené de la couverture « indoor » dans les 31 magasins de France dans une logique multiopérateurs. Ce mouvement que l’on constate aujourd’hui sur la 4G devrait s’amplifier avec la 5G. Nous pensons que bien des industriels – qui s’interrogent aujourd’hui sur leur plateforme DECT ou Wi-Fi et sur comment communiquer avec des IoTs, des robots, des machines et des personnes dans un lieu donné – vont réfléchir à l’opportunité de disposer d’un réseau propre en 5G.

Pour terminer, quelles sont les autres grandes tendances du marché des Télécoms que nous n’avons pas encore abordées ?  

Tous les secteurs de la voix fixe aujourd’hui sont en perte de vitesse. Un seul connaît une forte croissance : les Centrex autrement dit la communication unifiée dans le cloud. Car elle permet de s’abstraire de son PABX et d’amener de la convergence avec le mobile. Ces offres représentent déjà 20% de nos ventes sur le fixe, et atteindront très rapidement les 50%.

Autre constatation, le SD-WAN est en très forte croissance chez les ETI alors que nous pensions que le marché était plutôt un marché grand compte. Le portefeuille d’affaires est en augmentation de 20% tous les mois.
Sur le marché des grands comptes, celui des grandes banques notamment, où les entreprises tendent à opérer elles-mêmes leur SD-WAN, ce dernier leur permet de découpler la partie connectivité de la partie services. C’est une opportunité pour nous parce que l’on constate une volonté chez ses grandes entreprises de panacher les accès chez plusieurs opérateurs. Là encore, le marché s’ouvre à la concurrence.

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