Pour les DSI, le brouillard de la CSRD continue de s'épaissir...

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La CSRD est-elle devenue trop complexe… ou trop politique ?

Par Thierry Derouet, publié le 12 juin 2025

Alors que la Commission européenne cherche à infléchir l’ambition de la directive CSRD, en s’alignant sur certaines recommandations formulées dans le rapport Draghi, les entreprises, elles, ne baissent pas la garde. Bien au contraire. Antoine Michaux, Managing Consultant en stratégie d’entreprise chez IBM, observe une forme de résilience pragmatique : anticiper, structurer, avancer. Entre incertitude législative et pression des investisseurs, le reporting ESG ne s’efface pas, il se transforme en levier de compétitivité.

“La simplification est le raffinement de la confusion. » Cette pensée attribuée à Confucius pourrait servir de préambule au dernier épisode réglementaire qui agite les directions générales des entreprises européennes avec la CSRD.

« Nous sommes dans un brouillard, mais cela ne signifie pas que nous sommes statiques », constate sereinement Antoine Michaux, responsable de la stratégie et de la durabilité chez IBM. À l’écouter, l’hésitation législative n’a pas provoqué le grand coup de frein que certains redoutaient. « Ce n’est pas parce qu’il y a une discussion politique autour de l’allégement du périmètre ou du calendrier que les entreprises ont désinvesti. Les plus avancées, au contraire, poursuivent. »

Les entreprises avancent dans un brouillard réglementaire

Le paquet Omnibus, présenté par la Commission européenne en février 2025, sème le trouble : report des échéances, recentrage sur les plus grandes entreprises, allégement des obligations sur la chaîne de valeur. Mais rien n’est encore tranché. « En réalité, c’est le fouillis, parce que ce n’est pas encore décidé. »

Antoine Michaux rappelle que les obligations de publication sont, pour les plus grandes structures, déjà en vigueur depuis le 1er janvier 2024. Et que les banques, notamment, ont d’ores et déjà publié leur premier rapport. « La loi de 2023 s’applique. La directive Omnibus est encore en discussion au Parlement européen. » Le cadre juridique n’est pas abrogé. « De toutes les manières, les entreprises ont intérêt à commencer à la suivre. »

Un intérêt stratégique plus qu’un réflexe de conformité

Ce qui pourrait ressembler à une réaction de prudence tient, en réalité, d’une conviction économique. Pour Michaux, les organisations qui se sont lancées dans la mise en conformité CSRD n’en reviennent pas. « Elles ont investi, elles ont structuré leur collecte de données, elles ont formé des équipes. Ce n’est pas pour tout annuler du jour au lendemain. » D’autant que le bénéfice dépasse largement le champ réglementaire : « Elles y trouvent un levier de structuration, un outil de pilotage, une manière de mieux comprendre et maîtriser leur chaîne de valeur. »

Et la donnée est au cœur du sujet. Pas seulement sa collecte, mais sa véracité. « Le vrai sujet, ce n’est pas qui collecte quoi. C’est la qualité de la donnée, sa crédibilité. C’est là que tout se joue. »

Transparence, comparabilité et valeur de la donnée

Antoine Michaux revient sur un point trop souvent oublié : « La CSRD, c’est du reporting. Elle demande d’expliquer les écarts, de fixer des objectifs, mais pas d’atteindre un quota. Ce n’est pas une norme de performance, c’est un outil de transparence. » Il évoque l’idée d’un nutri-score des données, permettant à chacun d’évaluer la qualité des informations transmises, comme cela commence à se faire dans le secteur bancaire. « Ce n’est pas très grave d’expliquer comment on fait, si on justifie, si l’on rend compte. Ce qui compte, c’est de construire une logique de confiance. »

Un outil de transformation, pas un fardeau administratif

Le rapport Draghi, en dénonçant un « fardeau administratif », a peut-être perdu de vue l’essentiel. Pour les entreprises qui ont pris la mesure de l’enjeu, la CSRD est un levier d’action. « C’est un thermomètre. On peut casser le thermomètre. Mais si l’on pense qu’il est utile pour comprendre nos impacts, il faut le garder. » Michaux insiste : la donnée ESG est un point de départ vers la transformation du modèle économique. « On ne fait pas du reporting pour le plaisir. On le fait pour analyser sa chaîne de valeur, rationaliser ses achats, anticiper des risques d’approvisionnement. »

La durabilité n’est plus un supplément d’âme. C’est un enjeu de pilotage, de compétitivité, d’accès aux marchés. Même les producteurs les plus éloignés géographiquement y voient un intérêt. « Le petit producteur aussi a besoin de maîtriser sa donnée. Il a besoin de prouver sa différence pour continuer à exporter. Et les grands groupes ont tout intérêt à l’y aider. »

Le mouvement est enclenché, inutile de revenir en arrière

Faut-il vraiment simplifier au risque de perdre la dynamique ? « Une entreprise ne change pas de cap comme ça, sur un claquement de doigts. Lorsqu’on décide d’intégrer des salaires décents, par exemple, ce n’est pas l’annonce d’un report qui fait tout abandonner. » Les entreprises, rappelle-t-il, ne font pas de politique. « Elles réfléchissent à moyen terme. Si elles ont pris une direction, c’est qu’elles y croient. » Et de conclure : « Ce serait dommage de tout arrêter au moment où l’on commence à savoir où l’on va. »


Le plan Omnibus en quatre mesures clés

– Report de deux ans de l’entrée en vigueur des obligations CSRD pour les entreprises non cotées (2028) et les PME cotées (2029).

– Seules les entreprises de plus de 1 000 salariés seront concernées par l’ensemble des obligations.

– Réduction du volume d’indicateurs ESRS imposés, avec allégement des exigences de granularité.

– Limitation de l’obligation de reporting sur la chaîne de valeur, jugée trop complexe à documenter pour les PME.




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