Green IT
La délicate gouvernance d’une stratégie de numérique responsable
Par La rédaction, publié le 24 août 2021
Pour infuser dans toute l’organisation, une stratégie de numérique responsable doit faire l’objet d’un sponsoring au plus haut. Elle doit aussi être incarnée par une personnalité consensuelle et parlant couramment IT et RSE.
Par Xavier Biseul
Best Of 2021 : du 27 juillet au 31 août, IT for Business met un coup de projecteur sur certains des articles publiés depuis le début de l’année et qui ont connu une forte audience…
Cet article a été publié à l’origine le 26 février 2021.
C’est un signe qui ne trompe pas. Le 8 octobre dernier, à Bercy, lors du colloque « Numérique et Environnement, faisons converger les transitions », des PDG de grands groupes, dont celui d’EDF, se pressaient pour signer la Charte Numérique Responsable. Un an plus tôt, lors de la première édition, seuls les responsables RSE étaient présents.
Devenu tendance depuis quelques mois, le numérique responsable a changé de dimension et les équipes dirigeantes la reprennent à leur compte. De fait, le sujet entre en résonance avec les priorités que se sont fixés les grands comptes.
Présenté début décembre, le plan stratégique 2021-2023 d’Axa, baptisé Driving Progress, fait des enjeux climatiques l’une de ses cinq priorités. Objectif : diminuer de 20 % l’impact de l’empreinte carbone de ses investissements à horizon 2025. Le numérique, qui pèse pour 9 % des émissions totales de l’assureur, est naturellement mis à contribution.
Le même mois, le groupe Bouygues présentait son plan climat avec, là aussi, la volonté de réduire drastiquement son empreinte carbone. « Nos travaux ont d’autant plus de poids qu’ils s’inscrivent désormais dans la stratégie globale portée par la direction générale, se réjouit Olivier Hoberdon, DSI de Bouygues SA. Avoir un sponsoring au plus haut est indispensable. Pour avancer, il faut que l’ensemble de l’entreprise soit convaincu, à commencer par sa tête ».
« Du fait de nos métiers, nous sommes sensibilisés aux sujets relatifs à l’humain et à l’environnement, renchérit Corinne Dajon, membre du Comité de direction d’AG2R La Mondiale en charge de l’organisation et des systèmes d’information (DOSI). La préservation de la planète fait partie de notre ADN. »
Une préoccupation portée par le directeur général du groupe mutualiste, André Renaudin, qui est depuis juin 2019 président du Global Compact France. Ce collectif rassemble plus d’un millier d’entreprises et organisations à but non lucratif autour d’enjeux liés à la RSE et au développement durable.
« Les premières personnes à convaincre sont les membres de la direction. Si la DSI et le département RSE sont engagés mais sans équipe ni budget, cela n’ira pas très loin », estime Héloïse Dano, consultante en numérique responsable. « Un sponsoring au plus haut est souhaitable, mais pas indispensable, tempère Benjamin Lang, consultant fondateur d’Alean. On se prive de la possibilité de convaincre par l’exemple, avec des cas concrets, les membres du comité de direction ».
Le type d’organisation, verticale ou non, et la culture d’entreprise conditionnent, selon lui, le mode de sponsoring : « Des sociétés sont naturellement convaincues par le sujet et le top management porte le dossier. D’autres y viennent sous la pression commerciale, concurrentielle ou réglementaire, ou pour des enjeux d’image ».
UN BINÔME DSI – RSE
En termes de gouvernance, le numérique responsable est généralement placé sous la responsabilité de la DSI ou, s’il existe, du département RSE, comme à La Poste. Quel que soit le point d’ancrage, DSI et RSE sont appelées à travailler en bonne intelligence. « La rivalité n’est pas de mise, tranche Héloïse Dano. Aucune direction n’a intérêt à prendre le pas sur l’autre. Elles doivent au contraire jouer de leurs complémentarités. La DSI connaît l’envers du décor de la technique. Le RSE apporte sa compréhension du cadre réglementaire, des mécanismes des achats responsables, etc. »
Pour Benjamin Lang, « Monsieur ou Madame numérique responsable » exerce de façon transverse et doit, à ce titre, disposer d’une capacité d’action sur l’ensemble de l’organisation. « Il ou elle ne doit pas être rattaché(e) à une direction ostracisée, de type DSI vielle école, qui ne lui donnerait pas le rayonnement escompté ».
Qui pour l’incarner ? « Cela ne peut pas être un “ayatollah” vert, pas plus qu’un “techos” jargonnant, qui serait l’un et l’autre inaudibles, poursuit-il. La personne en charge du numérique responsable doit embarquer tout le monde par sa force de conviction et sa qualité d’écoute. Le poste requiert aussi un solide bagage scientifique pour arriver à démêler le vrai du faux, ainsi qu’une grande capacité d’analyse. Un jeune enthousiaste saura peut-être mieux incarner le sujet qu’un expert revenu de tout avec des avis tranchés. »
Directeur du cabinet du DSI d’Air France-KLM Jean-Christophe Lalanne, Blaise-Raphaël Brigaud, la trentaine, semble correspondre à ce portrait-robot. Par le bouche-à-oreille, il a réussi à fédérer une quinzaine de volontaires de la DSI autour du programme IT Matters. Un nom qui rappelle que l’IT compte aussi dans lutte contre le réchauffement climatique, y compris dans une compagnie aérienne qui brûle du kérosène. « Le terreau est favorable. Le développement durable diffuse un esprit “feel good”, et participe au bien-être des gens ».
« Il est compliqué de trouver des personnes qui ont la double compétence IT et RSE, estime pour sa part Romain Sammut, directeur à la DSI de Pôle emploi, en charge de la stratégie de transformation du SI et de la DSI. Il ne manque pas de personnes convaincues par les enjeux du développement durable, mais elles sont souvent éloignées des contraintes techniques. Je crois qu’il est plus simple de partir de profils IT, qui ont déjà une appétence pour le sujet, que l’inverse ».
UN DÉFICIT DE COMPÉTENCES ABYSSAL
Une fois en poste, notre poisson pilote devra acculturer les équipes IT. Un véritable défi tant le déficit de compétences est abyssal selon les experts interrogés. Une proposition de loi au Sénat prévoit une formation à la sobriété numérique « dès le plus jeune âge », et de conditionner la diplomation des ingénieurs en informatique à l’obtention d’une attestation de compétences acquises en écoconception logicielle.
En attendant, seules quelques écoles d’ingénieurs intègrent un volet green IT dans leur cursus comme l’ESAIP d’Angers avec sa chaire « Green IT et IoT », ou le groupe Insa accompagné par le think tank The Shift Project.
La formation continue permet de pallier cette carence.
GreenIT.fr propose une formation « état de l’art » certifiante de trois jours.
En 2020, l’Institut du Numérique Responsable (INR) a gratuitement mis en ligne un Mooc de sensibilisation d’une trentaine de minutes, puis un autre de cinq heures avec l’Université de La Rochelle. L’INR envisage aussi un Mooc sur l’écoconception de services. Sa certification numérique responsable devrait, elle, prochainement être gratuite pour les demandeurs d’emploi.
Déclinaison de la Fresque du Climat, la Fresque du Numérique fait l’unanimité auprès des experts interrogés. À partir d’un jeu de cartes, les participants établissent les liens de cause à effet et retracent la chaîne d’événements pour reconstituer la fresque. Une approche ludique qui fait appel à l’intelligence collective et permet de battre en brèche les idées reçues. « Cela permet de voir que le “méchant” n’est pas uniquement le datacenter, mais surtout le foisonnement d’équipements numériques dans notre sphère professionnelle comme privée », note Olivier Hoberdon, DSI de Bouygues SA.
Au-delà de ces actions de sensibilisation, The Shift Project préconise dans son rapport « Déployer la sobriété numérique » de former à l’écoconception et au « software craftsmanship » tout particulièrement les architectes et les développeurs seniors qui ont un rôle d’orientation et de prescription des pratiques IT. Associé chez TNP Consultants, Laurent Gauzi estime que « l’approche DevOps permet aussi de sensibiliser les développeurs aux impacts sur l’infrastructure de l’empreinte carbone de leur code ».
Enfin, toujours selon The Shift Project, les acheteurs doivent également faire l’objet d’une attention particulière car ils jouent un rôle à la fois de prescripteur vis-à-vis des fournisseurs et de collecteurs de données pour mesurer l’impact environnemental de la sous-traitance.
Le Numérique Responsable… Qu’est-ce donc?
Contrairement au terme “Green IT”, l’expression “numérique responsable” rappelle les enjeux sociétaux avec notamment le recours d’entreprises de l’économie sociale et solidaire.
Elle couvre les trois piliers du développement durable synthétisés par le triptyque « planet, people, profit ». Profit car la performance économique va de pair avec la préservation de la planète.
Pour Olivier Hoberdon, DSI de Bouygues SA, le terme de numérique responsable présente l’avantage de couvrir l’ensemble du cycle de vie d’un produit, de sa conception à sa fin de vie, au-delà donc de son seul usage, tout en intégrant la dimension sociétale. « Avec ce changement d’échelle, on peut en venir à remettre en cause des usages ou des projets. D’où l’importance d’avoir un sponsoring au plus haut ».
Cet article est extrait du dossier “Numérique responsable : Prêts pour un grand bond en avant ?”
à découvrir dans le numéro 2258 (Février 2021) du Magazine IT for Business.
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