Gouvernance

La grave grève de l’IT

Par Mathieu Flecher, publié le 30 janvier 2020

L’actualité de la fin d’année 2019 et du début 2020 sur la thématique des grèves, doublée d’un excellent livre de Barjavel (Ravages) paru dans les années 1950, m’ont fait m’interroger sur l’impact qu’aurait une grève… de notre profession.

Pour ceux qui n’auraient pas lu cet excellent livre de Barjavel, attention spoiler !, sautez à la phrase de conclusion.

Pour les autres, ou les curieux, vous pouvez continuer à lire. Ravages parle d’une forme de décroissance technologique dans un futur situé en 2050. Suite à un événement, toute technologie devient inutilisable. Plus de métro, plus d’électricité, plus d’acier, plus de lumière, plus d’agriculture industrielle. Plus rien. Le monde s’écroule d’un seul coup. Mouvements de panique, chacun pour soi, meurtres, survie.

Nous n’en sommes pas là avec les grèves, bien sûr. Mais je me suis laissé aller à extrapoler ce que serait le monde avec un grève généralisée de notre secteur d’activité.
Je ne sais pas pourquoi notre corporation se mettrait en grève, bien sûr, mais laissons-nous guider par cette idée à la façon d’un roman.

Le gouvernement Macron, afin de combler le déficit des caisses de retraite, décide de taxer fortement les activités IT des entreprises : chaque salarié des directions informatiques, attendu que son secteur d’activité est fortement porteur, verra ses charges salariales augmenter drastiquement, et subira également un abaissement forfaitaire des pensions de retraite de 30 %, attendu que les salaires en IT sont fortement élevés.

Crédit Image : Shutterstock

Dans ce contexte, Syntec Numérique, le Cigref, l’Adira et autres organisations associatives du secteur décident de former un nouveau syndicat national, la Confédération Générale des Informaticiens (CGI).
À sa tête, Georges Epinette, DSI retraité, charismatique et emblématique du temps de son activité au Groupement des Mousquetaires. Il s’est depuis laissé pousser la moustache – façon Martinez – et la majeure partie des informaticiens, qu’ils soient en ESN ou au sein des DSI, ont massivement adhéré à ce syndicat.
La CGI fait pression sur les patrons d’entreprise, les DSI du CAC 40 font pression sur leurs patrons et sur le Medef, mais rien n’y fait.
Le gouvernement veut absolument promulguer cette loi pour que les informaticiens contribuent – enfin – à l’effort national consenti par les syndicats de la SNCF, d’EDF et de l’Éducation nationale.

Le 6 janvier 2020, HugoDécrypte publie sur YouTube une vidéo dans laquelle il interviewe Georges Epinette sur les décisions prises par la CGI.
La nouvelle est sans appel : avec un air grave, George Epinette demande aux adhérents de la CGI – 80 % de la profession – de cesser immédiatement le travail. Le Président de la République et ses ministres sourient de cette décision. Et Ségolène Royale d’annoncer à la presse que « ce n’est pas grave, nous nous passerons d’ordinateurs sur nos bureaux ».

Sauf que dans les faits, à la minute où la menace est mise à exécution, des entreprises commencent à cesser certaines de leurs activités.

Les ERP continuent de fonctionner, jusqu’au prochain batch qui plante.
Les bases de données, progressivement abandonnées par les DBA, survivent quelques jours pour les plus sensibles, quelques mois pour les plus robustes, mais petit à petit les systèmes d’information s’arrêtent.
La SNCF, qui soutenait indirectement le mouvement, se retrouve sans panneaux d’affichage dans les gares, à Paris comme en Province : il y a des trains, mais les voyageurs ne savent pas quand ils partent. Les agents SNCF se munissent de grands cartons pour noter les horaires de départ, mais hélas le système d’aiguillage et des feux de circulation des trains, informatisé à 100 %, ne fonctionne plus. Les trains restent bloqués en gare, aux passages à niveaux…
La bourse de Paris, elle, s’arrête. Plus de panneau d’affichage du CAC 40, les cours de bourse disparaissent tous des écrans radars.
Les réseaux informatiques nationaux gérés par les opérateurs tiennent bon quelques heures, mais les incidents se multiplient, les backbones rendent l’âme, et l’internet du pays commence à être coupé.
Les particuliers sont touchés, bien sûr, mais le plus grave est à venir. Les terminaux de paiement électronique ne fonctionnant plus, on voit fleurir des panneaux « paiement uniquement en cash ou en chèque », « no VISA »… Ce n’est qu’une étape. Les banques de détail sont incapables d’avoir accès aux systèmes d’information des comptes clients. Et il devient impossible de délivrer des espèces…

On pourrait continuer ainsi bien longtemps à donner des exemples de toutes les catastrophes liées aux conséquences de la grève, et même en faire tout un livre…
Georges Epinette aura eu raison du gouvernement Macron. Au bout de 48 heures, le gouvernement reculera devant la perspective d’une telle catastrophe économique. Tout cela pour quoi ? Pour vous dire que même si la SNCF fait grève, prenez votre mal en patience, et dites-vous que si les informaticiens se mettaient en grève, la situation serait bien pire pour tous.

Le message sérieux derrière tout cela est que, au pire, la grève SNCF ne nous privera « que » de déplacements. Mais imaginez une grève de la CGI : impossible de lancer votre application oui.sncf sur votre smartphone pour présenter votre billet électronique !

Bonne année à tous…
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ParMathieu Flesher, DSI d’une entreprise industrielle française

Mathieu Flecher est le pseudonyme d’un DSI bien réel

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