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Notre-Dame de Paris, Babaorum et les méthodes agiles

Par La rédaction, publié le 15 novembre 2012

Si, au Moyen Age, Notre-Dame a plutôt été construite sur un mode comparable au « cycle en V », les camps romains de l’Antiquité ressemblaient plutôt à une approche du type agile…

Un coach agile m’affirma tantôt que les méthodes agiles étaient si efficaces qu’elles devaient être universelles. Dubitatif, je pris mon livre d’histoire pour y dénicher une trace universelle d’agilité.

La construction de Notre-Dame de Paris : les défauts d’un « cycle en V »

Je m’arrêtai d’abord à la genèse de Notre-Dame de Paris : voilà un projet de construction imposant. La première pierre de cette cathédrale fut posée en 1163. La première messe fut célébrée en 1250, soit quatre-vingt-sept ans après. Bien loin d’un des principes agiles qui demande à livrer rapidement et fréquemment de la valeur au client. D’ailleurs, en 1250, on s’aperçut que les portails du transept, construit en style roman, contrastaient avec la grande façade gothique. Cette première phase avait duré trop longtemps : la mode avait changé entre-temps. Les parties romanes furent reconstruites de 1250 à 1268 pour mieux correspondre aux « nouveaux besoins ». Cela illustre un syndrome classique d’un projet « cycle en V » : le fameux effet tunnel. On ne montre au client final le produit qu’une fois celui-ci terminé, avec tous les risques de mécontentement que cela comporte.

D’autres phases suivirent jusqu’à la réception finale en 1363, soit deux siècles après le début du projet. En méthode agile, il aurait fallu près de 3 500 sprints de trois semaines pour en venir à bout. Vous imaginez le nombre de Post-it nécessaires pour suivre tout cela ? Tout simplement irréaliste.

De toute façon, impossible de bâtir une cathédrale en méthode agile, me suis-je dit en plaisantant : le commanditaire était absent sur terre depuis plus de mille ans… et la méthode agile réclame une proximité entre l’équipe de construction et le client ! Alors…

Le cas des camps romains comme Babaorum : les avantages des méthodes agiles

Déçu de constater qu’un des plus beaux monuments de Paris n’utilisa point de méthode Scrum, je continuai à feuilleter mon livre.

Je lus avec intérêt le chapitre consacré à la construction des camps romains (relisez Astérix pour voir à quoi ressemblait un camp comme Babaorum).

Ces camps fortifiés étaient construits chaque soir par une légion en campagne afin de se protéger. Les chiffres sont impressionnants : 655 mètres sur 610 mètres, soit 40 hectares pouvant héberger 48 000 hommes… construit en seulement deux ou trois heures maximum !

Pour commencer, la tente du général était indiquée par un fanion blanc. Puis les deux grands axes du camp ainsi que les points importants étaient matérialisés au sol par d’autres fanions de couleur (on retrouve le management visuel ou l’équivalent des Post-it antiques).

Les environs étaient ensuite débroussaillés pour empêcher une approche masquée de l’ennemi. Première vertu de la méthode agile : apporter rapidement le maximum de valeur, ici la défense du futur camp.

Pendant ce temps, une autre équipe creusait un fossé tout autour du camp.

Les arbres coupés servaient de palissades. Dès que la palissade côté ennemi était posée, la cavalerie et l’infanterie lourde pouvaient rejoindre le camp sans trop de risques. C’était en quelque sorte la première version opérationnelle du camp (première release).

Bien que formalisée, la méthode de construction était adaptative : en fonction du terrain, de la pente ou des rivières, la légion adaptait l’aménagement.

Le cycle de livraison était rapide. Chaque itération apportait de la valeur à l’armée en commençant par ce qui en a le plus. Au début, on s’occupe de protéger le camp. A la fin, on s’intéresse au confort des soldats. L’enchaînement des sprints devaient ressembler à ceci : tracer les grandes lignes avec les fanions de couleur, débroussailler pour dégager la vue, creuser des fossés pour ralentir l’ennemi, monter la palissade côté ennemi pour se protéger, monter les autres côtés pour sécuriser, aménager la tente blanche du commandement, aménager les tentes des soldats. Trois heures en tout.

Une approche adaptative, des résultats visibles, progressifs, une valeur immédiate, une équipe motivée et fédérée autour d’un seul et même objectif (dormir en sécurité) et un client présent qui valide en boucle courte les travaux.

Voilà les éléments caractéristiques d’une méthode agile. Il n’y a pas de doute, les Romains maîtrisaient ce genre de méthode.

D’ailleurs, les plus latinistes des lecteurs avaient remarqué que Scrum sonne comme l’accusatif d’une seconde déclinaison. Dans le dictionnaire latin, Scrum se situerait juste avant Scrupeus : semé d’écueils, rude, pénible, difficile. Adjectifs valables pour tous nos projets réalisés en méthode agile… ou traditionnelle !

Pierre Raufast

Pierre Raufast

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