D’outsider du cloud à champion de l’IA, Oracle bouscule désormais la hiérarchie des hyperscalers. Ses méga-contrats et ses datacenters géants propulsent Larry Ellison au sommet de la Tech mondiale.

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Oracle Cloud : l’envolée d’un « late mover » devenu pilier de l’IA

Par Laurent Delattre, publié le 11 septembre 2025

En misant sur le multicloud, l’acquisition massive de GPU et des alliances stratégiques, Oracle a transformé son image d’outsider en puissance incontournable. du Cloud mondial. Sa trajectoire illustre la bascule d’un géant du logiciel vers l’échelle industrielle de l’intelligence artificielle. Décryptage d’un parcours aussi stupéfiant qu’inattendu…

Longtemps considéré comme un acteur de second plan dans la guerre du cloud, Oracle ne fait plus rire la concurrence. La firme de Larry Ellison, qui doit sa position à sa domination ancestrale sur les bases de données, ne se contente désormais plus de rattraper son retard dans le cloud : elle se positionne désormais comme une puissance incontournable de l’infrastructure de l’intelligence artificielle. Un changement de statut qui s’est opéré à la vitesse de l’invasion de l’IA générative dans notre quotidien.

L’incroyable pari

Car l’aventure d’Oracle dans le cloud d’infrastructure n’a pas vraiment commencé sous les feux des projecteurs. Lorsque la société a lancé son offre, alors nommée “Oracle Bare Metal Cloud Services”, en octobre 2016, le marché était déjà un champ de bataille largement dominé par un trio de tête bien établi. AWS, Microsoft et Google avaient une avance technologique si considérable que personne ne voyait la firme de Larry Ellison en position de les challenger. Oracle était perçu comme un retardataire, luttant pour une part de marché hors de portée. Le Cloud d’Oracle avait essentiellement vocation à soutenir les versions cloud « autonomous » de ses SGBD et de ses solutions d’entreprises (ERP, HRM, etc.). Mené par une équipe infrastructure dédiée, le tournant opéré en 2018, avec le changement de nom pour “Oracle Cloud Infrastructure” (OCI) et l’introduction du concept de “Cloud de Génération 2”, va poser les fondations du OCI actuel : GPU en bare metal, réseau RDMA, interconnexions à large bande passante, et un maillage de régions en expansion rapide. Il s’accompagne alors d’une très astucieuse stratégie de coopétition en multicloud : Oracle Database@Azure avec Microsoft puis Oracle Database@Google Cloud veut rapprocher ses bases de données des workloads clients là où ils résident déjà. Une stratégie payante de « Cheval de Troie », portée par le discours multicloud, qui va, au fil des ans, permettre l’extention du réseau public d’Oracle à plusieurs dizaines de régions dans le monde et valider un pari assumé : vendre de la capacité compute là où la demande explose. Et l’explosion va se produire avec l’arrivée de ChatGPT et la soudaine folie autour de l’IA générative. OCI ne va pas louper l’opportunité et va se placer très tôt dans l’acquisition massive de GPU. Il en résulte un recentrage accéléré sur l’infrastructure IA qui fait d’OCI un fournisseur de capacités massives pour l’entraînement et l’inférence, et repositionne Oracle au cœur des plans de transformation de grands acteurs de l’IA.

Un emballement qui tient en 2 lettres : IA

Et cette semaine, la valeur d’Oracle s’est emballée. Un emballement qui s’explique par un double mouvement: un carnet de commandes qui explose et des trajectoires de revenus qui décollent.

Cette semaine le groupe a publié les résultats de son premier trimestre fiscal 2026 (clos le 31 août 2025) : 14,9 milliards de dollars de Chiffre d’Affaires Trimestriel en hausse de 12%, des revenus Cloud en croissance de 28% (en croissance de 55% sur le IaaS) et un bénéfice trimestriel opérationnel de 4,3 milliards de dollars. Des résultats inférieurs aux attentes de Wall Street… Et pourtant, l’action s’est enflammée réalisant la meilleure séance boursière du groupe depuis 1992, avec un bond d’environ 36% et près de 244 à 250 milliards de dollars de capitalisation ajoutée en une journée !

La raison ? Oracle a fait état de 455 milliards de dollars de “remaining performance obligations” (RPO), en hausse de 359% sur un an ! « Nous avons signé quatre contrats de plusieurs milliards de dollars avec trois clients différents au premier trimestre fiscal », explique la CEO d’Oracle, Safra Catz. « Cela a eu pour résultat une augmentation de 359 % du carnet de commandes RPO, qui atteint désormais 455 milliards de dollars. Ce fut un trimestre extraordinaire — et la demande pour Oracle Cloud Infrastructure continue de croître. Au cours des prochains mois, nous nous attendons à recruter plusieurs clients supplémentaires représentant des contrats de plusieurs milliards de dollars, et le RPO dépassera probablement les 500 milliards de dollars… En guise d’aperçu, nous nous attendons à ce que les revenus d’Oracle Cloud Infrastructure augmentent de 77 % pour atteindre 18 milliards de dollars cette année fiscale — puis passent à 32 milliards, 73 milliards, 114 milliards et 144 milliards de dollars au cours des quatre années suivantes. La majeure partie des revenus de ces prévisions sur 5 ans est déjà comptabilisée dans notre RPO déclaré. »
Une trajectoire jugée « stupéfiante » par de nombreux analystes et qui explique l’envolée du titre cette semaine.

Le catalyseur principal de cette soudaine explosion du carnet de commandes d’Oracle Cloud tient aux méga-contrats IA qui ont engendré une croissance de 55% des revenus des activités IaaS sur ce dernier trimestre. L’éditeur n’a pas nommé les 3 clients qui ont boosté son activité. Mais on en connaît un : OpenAI (Microsoft est probablement l’un des autres clients évoqués avec les accords passés autour de Bing IA et Copilot).

Dans la foulée de l’annonce des résultats, OpenAI a confirmé la signature d’un partenariat à 300 milliards de dollars avec Oracle dans le cadre du sulfureux projet américain Stargate. Il couvre l’adjonction de 4,5 gigawatts de capacité aux datacenters Stargate. En s’ajoutant au site « Stargate I » déjà en construction à Abilene, au Texas, cette expansion portera la capacité totale à plus de 5 gigawatts et mobilisera plus de deux millions de puces. La construction et l’exploitation de ces nouvelles installations devraient générer plus de 100 000 emplois directs et indirects, allant des techniciens et opérateurs aux électriciens spécialisés, en passant par les métiers de la fabrication et des services locaux. Certaines parties de Stargate I sont déjà opérationnelles : Oracle y a livré ses premiers racks Nvidia GB200, permettant à OpenAI de lancer des travaux d’entraînement et d’inférence pour ses recherches de nouvelle génération.

Les paradoxes des temps modernes…

Cette dynamique a un coût organisationnel et financier. Oracle augmente fortement ses investissements: les dépenses d’investissement (CAPEX) devraient grimper à environ 35 milliards de dollars en 2026, contre 21 milliards l’an dernier, afin de sécuriser l’empreinte datacenter et l’accès aux GPU. Pour financer un tel effort, même une entreprise aussi rentable qu’Oracle doit trouver des sources de capitaux massives. La manière la plus rapide de libérer des milliards de dollars est de réduire les dépenses opérationnelles (opex), dont la masse salariale est la principale composante.

Ainsi, l’entreprise a procédé à des milliers de licenciements touchant notamment des équipes OCI. Les chiffres précis, bien que non communiqués officiellement par l’entreprise, ont été partiellement révélés par des déclarations réglementaires (WARN filings) aux États-Unis, faisant état de centaines de postes supprimés dans des bastions technologiques comme la Baie de San Francisco (254 postes) et Seattle (plus de 260 postes en deux vagues). Des rapports concordants ont indiqué que les coupes s’étendaient bien au-delà, affectant de manière significative les opérations en Inde, où près de 10 % des effectifs auraient été touchés, ainsi qu’aux Philippines, au Canada et en Europe. La méthode de communication, décrite par de nombreux employés licenciés, a été particulièrement brutale : des invitations à des réunions virtuelles intitulées “business update” ou “project update” se transformant en annonces de licenciement de moins de 20 minutes via Zoom, avec une révocation quasi immédiate des accès. Cette approche impersonnelle témoigne de la rapidité et de la nature résolument non négociable de la restructuration.

Comment une entreprise en pleine phase d’hypercroissance peut-elle simultanément supprimer des milliers d’emplois ? La réponse réside dans la nature même de la révolution de l’IA. Il ne s’agit pas d’une mesure de réduction des coûts dictée par une faiblesse financière, mais d’une réallocation stratégique et agressive du capital pour financer les investissements colossaux requis par la nouvelle course à l’armement technologique. Oracle est en train de “rationaliser ses opérations” et de rééquilibrer ses ressources vers ses “priorités de croissance”. En d’autres termes, l’entreprise sacrifie des postes dans des domaines jugés moins stratégiques pour l’avenir afin de libérer des fonds pour son expansion dans l’IA. Un phénomène que l’on voit aujourd’hui partout et notamment chez Google et chez Microsoft (qui vient d’ailleurs d’annoncer une réduction de 10% de ses effectifs en France).

Le vent en poupe et un horizon relativement dégagé, mais…

Oracle navigue désormais avec un vent arrière puissant et durable. La demande pour la puissance de calcul dédiée à l’IA « continue de dépasser considérablement l’offre », créant une opportunité de marché massive. L’entreprise est idéalement positionnée pour capter cette demande provenant de deux fronts : d’une part, les entreprises “IA-natives” comme OpenAI, xAI, Meta et Cohere, qui ont besoin d’une échelle de calcul massive pour l’entraînement de leurs modèles fondamentaux. D’autre part, la vague encore plus grande des entreprises traditionnelles qui cherchent à déployer des modèles d’IA sur leurs propres données privées, en exigeant sécurité et souveraineté.

Et les prévisions de croissance de l’IaaS et du RPO annoncées par Safra Catz tendent à démonter que cette tendance est structurelle et non un simple pic conjoncturel.

Reste que la matérialisation des engagements dépendra de la capacité de ses clients à financer durablement leurs besoins.

Pour Oracle, l’autre grand enjeu, c’est l’exécution : transformer un « RPO » — c’est-à-dire des revenus déjà signés mais pas encore facturés — en revenus réels mois après mois ; mettre en service de nouvelles capacités dans les temps en trouvant l’électricité, en assurant le refroidissement et en obtenant les terrains et autorisations nécessaires ; sécuriser l’approvisionnement en puces et serveurs dans un marché plus que tendu ; et, une fois la capacité ouverte, offrir un bon rapport performances/prix face à AWS, Microsoft Azure et Google Cloud. La bataille du « Cloud IA » va surtout se jouer sur la capacité à livrer vite, à grande échelle et au bon coût. Et elle ne fait que commencer. La concurrence reste plus que féroce. Bien que la part de marché d’Oracle dans le cloud soit en forte croissance, elle reste globalement inférieure à celle des trois grands hyperscalers, qui investissent également des dizaines de milliards dans leurs propres infrastructures IA. Et ils ont les reins solides pour batailler sur les multiples fronts de l’achat de puces IA, de la conception d’accélérateurs IA maison, de l’acquisition d’énergie, de l’innovation…

En moins d’une décennie, Oracle Cloud est passé du statut d’outsider à celui de pilier de l’infrastructure IA mondiale. En quelques trimestres, le groupe a verrouillé des contrats colossaux et dopé sa visibilité. Mais derrière l’euphorie boursière, l’exécution devra être implacable : livrer les gigawatts promis, tenir la cadence des GPU, transformer le carnet de commandes en cash. Dans cette course, chaque retard se paiera forcément au prix fort. Une chose est néanmoins désormais évidente. Oracle joue aujourd’hui dans la cour des géants de la Tech US : chaque téraflop livré par OCI façonne l’IA mondiale… et la fortune de Larry Ellison.


Comment Oracle Cloud a propulsé Larry Ellison au sommet

La flambée du cours d’Oracle cette semaine a fait bondir la fortune de Larry Ellison de 100 à 111 milliards de dollars en une journée. Ellison détient environ 1,16 milliard d’actions, soit près de 41% du capital du groupe. Le rebond du titre lié aux prévisions d’OCI et au pipeline de commandes a ainsi suffi à le placer, selon le Bloomberg Billionaires Index, en tête des fortunes mondiales devant Elon Musk !




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