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Gouvernance

“Pas de transition numérique sans transformation profonde des systèmes d’information”

Par La rédaction, publié le 24 novembre 2016

La directrice des Ressources de la Société Générale a une vision bien précise de l’innovation : lâcher la bride à ses collaborateurs, leur donner les moyens techniques, nouer des partenariats y compris avec des concurrents potentiels comme les Gafa. Ce qui suppose en contrepartie une infrastructure IT à toute épreuve, adaptée en conséquence.

Pouvez-vous nous faire un bref historique du programme de transformation numérique mené par la Société Générale ?

Françoise Mercadal-Delasalles : La transformation proprement dite a débuté il y a quatre ans quand nous avons compris que les exigences des utilisateurs et de nos clients avaient changé profondément. L’utilisation d’Internet et surtout de son versant mobile a connu un pic, notamment grâce à la diffusion massive du smartphone. Nous avons remarqué que l’écart se creusait entre mobile, Internet fixe et fréquentation dans les agences, évidemment. Cela prouvait que le client souhaitait véritablement une relation différente. Sans compter que cela coïncide avec une période où celui-ci n’est pas très heureux de sa banque : on sort à peine de la grande crise, et l’image des banques est vraiment négative.
La mobilité a changé le comportement des utilisateurs. Elle offre un accès sans limite pour un prix dé¬mocratisé à toute la connaissance du monde, comme l’écrit Michel Serres, qui est l’un de mes grands inspirateurs. Et cela change profondément les pratiques et relations sociales, ce que j’explique souvent, mais que d’autres ont théorisé bien mieux que moi. C’est finalement une culture de la relation entre la banque et le client qu’il faut changer au travers de la transition numérique.
 

En interne, comment gère-t-on ce bouleversement?

FMD : On ne fait pas une transformation sans les gens, c’est ma conviction profonde. Comment faire avan­cer une organisation qui, comme la Société Géné­rale, compte 146 000 personnes dans 66 pays, a une histoire de 150 ans avec une culture et des habitudes solidement ancrées ? Là se situe le challenge le plus important. En tout cas c’est celui qui me passionne. Quand on a compris que les collaborateurs vivent déjà ce changement de comportement lié aux nou­velles technologies et qu’ils peuvent mener ce même changement au sein de l’entreprise, qu’on leur en donne les moyens et surtout qu’on leur lâche la bride, la machine se met en branle.
Comment procéder concrètement ? Il faut que le sujet devienne un enjeu stratégique majeur de l’entreprise, et donc porté par le top management. Puis éveiller les consciences. Nous avons pour cela démarré à l’époque le projet PEPS : pour la première fois nous exploitions le réseau social interne pour de­mander à nos collaborateurs s’ils avaient conscience de la transition numérique et surtout comment ils voyaient évoluer la banque dans ce contexte. Nous avons lancé des discussions, mis en place une petite troupe de community managers, encouragé les likes comme sur Facebook. C’était en 2013, le démarrage a été instantané. Le constat était sans appel : nos colla­borateurs étaient dans le vrai monde. La banque, avec ses postes fixes verrouillés sans accès Internet, non…
Reste alors à définir un plan stratégique. Fina­lement sont apparues trois grandes directions vers lesquelles il fallait se diriger. La relation client, c’est une évidence. Deuxième axe, les équipes, c’est-à-dire comment aider nos collaborateurs à avancer et leur en donner les moyens. Si nous ne les outillons pas et les laissons dans le monde d’hier, ils ne pourront pas co­construire avec les clients le monde de demain. En-if n la technologie. Il est vraiment important de souli­gner le rôle de l’IT. La transition numérique ne peut se faire sans outil et donc sans transformation profonde des systèmes d’information. Ce plan stratégique que j’ai appelé « livre blanc de l’IT » nous guide mainte­nant depuis 3 ans vers une transformation profonde de nos architectures et de la façon dont on fait de l’IT dans la Banque.

Comment avez-vous motivé vos équipes pour modifier la relation client ?

FMD : Nous leur avons donné les moyens, les avons équipées, et nous leur avons dit: allez-y, on vous fait confiance, vous allez vous-même transformer la re­lation client. Et c’est ce qui est en train de se produire, ce qui est assez fascinant. Notre programme Digital for All consistait à équiper tous, absolument tous nos collaborateurs d’une tablette, une Dell en l’occurrence. Nous avons aussi travaillé avec Microsoft pour peu­pler cette tablette et trouver la mécanique de sécurité qui fait qu’en agence, le conseiller peut accéder à l’In­ternet ouvert (et aller sur les réseaux sociaux), mais aussi se connecter à des applis maison au travers d’un tunnel sécurisé. Nous avons mis en place une cellule d’animation multi compétences, avec des personnels à la fois du marketing, de l’IT évidemment, et de la communication. Et de manière virale, les usages ont considérablement progressé dans l’entreprise jusqu’à nous amener à prendre la décision de monter d’un cran dans la technologie de notre réseau social interne avec l’adoption du portail Jive.
 

Pour le client, un conseiller avec une tablette, n’est-ce pas juste un effet de mode, par exemple lorsqu’il signe son contrat sur tablette ?

FMD : Ce n’est pas symbolique et nous allons vers un monde où la signature numérique et la dématériali­sation des documents seront enfin une réalité vraie. Mais il est certain que la transformation des systèmes d’information pour y parvenir intégralement pren­dra 4 ou 5 ans. Or le consommateur n’attendra pas 4 ou 5 ans. Donc nous avons mis en place des systèmes de patch permettant d’ores et déjà de dématérialiser les contrats.

Justement, toutes les banques refondent leur stratégie omnicanale, comment allez-vous vous différencier?

FMD : Aujourd’hui, nous ne sommes pas extrême­ment spécialisés. Mais les clients sont contents qu’il existe plusieurs banques. La relation que nous sou­haitons établir avec le client n’est pas uniquement une relation homme-machine. Nous voulons jouer la complémentarité entre l’homme et la machine. Est-ce que le client a envie d’avoir systématiquement un interlocuteur en face de lui ? Non, la question est de savoir quand : le client a envie de réaliser de nom­breuses opérations tranquillement chez lui, parce que ça va beaucoup plus vite, c’est plus efficace, etc. Mais à un moment, le client a besoin d’une interaction phy­sique, avec un tiers de confiance qui lui apporte du conseil de haut niveau. Donc c’est une transformation considérable de l’organisation de nos agences.

Pour assurer cette transition numérique qui, comme vous l’indiquez, serait impossible sans l’IT, comment travaillez-vous avec la DSI ?

FMD : Je suis en charge de l’ensemble des ressources informatiques du Groupe. Nous sommes organisés en réseau avec les DSI de nos différents métiers (la banque de détail, la banque de financement et d’in­vestissement, la banque de détail à l’international et les services financiers spécialisés. Nous avons mutua­lisé intégralement toutes les ressources d’infrastruc­ture. Je pilote en direct les questions d’architecture, de stratégie et de sécurité. J’ai souhaité que ce réseau garde la proximité avec les métiers pour tout ce qui concerne le développement applicatif. L’ensemble est piloté au niveau de la direction générale à travers un comité stratégique d’architecture d’entreprise au sein duquel, avec mes collègues du comité exécutif, sont hiérarchisées les priorités.

Avec le BYOD et la distribution de tablettes à tout le monde, la sécurité doit être infaillible…

FMD : Les normes de sécurité sont établies par mes équipes avec des RSSI qui sont répartis dans l’en­semble du Groupe et qui font respecter ces normes. Évidemment, lors de la décision de distribuer des ta­blettes à l’ensemble de nos collaborateurs, la sécurité a été l’enjeu majeur: comment autoriser les utilisa­teurs à aller sur les réseaux sociaux et en même temps protéger hermétiquement le monde interne de la Banque ? Nous avons des comités de sécurité avec de grands professionnels et nous travaillons main dans la main avec l’Anssi, l’Agence nationale de la sécu­rité des systèmes d’information. Par ailleurs, les ins­tances de régulation, la BCE (Banque centrale euro­péenne) notamment et l’ACPR (Autorité de contrôle prudentiel et de résolution) pour ce qui concerne la France, contrôlent en permanence la sécurité de nos systèmes, ce que l’on fait avec les données et où on les entrepose

Sur ce point, exploitez-vous le cloud public ?

FMD : Nous déployons le livre blanc de l’IT progressive­ment dans l’ensemble des métiers du Groupe. Au-delà de toute la partie applicative (l’omnicanal, le temps réel, etc.), nous avons pris des décisions de « cloudification » massive concernant l’infrastructure. Nous sommes la première banque à avoir développé un imposant cloud interne avec pour objectif d’avoir dans les deux ans 80 % de nos applis qui tournent sur le cloud, dont l’im­mense majorité sur ce cloud interne. Mais nous avons aussi souhaité développer des POC (proof of concept) avec les grands fournisseurs de cloud externes. Nous avons lancé deux expérimentations qui tournent en ce moment avec Amazon. Nous avons travaillé un an avec eux pour réussir à établir les connexions entre nos sys­tèmes et leur cloud. Une fois les problèmes techniques réglés, sont venus les sujets juridiques qui ont pris des « heures carrées »… Nous avons également une expé­rimentation avec Microsoft Azure. Boursorama fait de son côté tourner une partie de sa production dans un cloud privé chez IBM. Nous travaillons aussi avec OVH. Reste qu’il est clair que nous n’irons pas massi­vement dans le cloud public. C’est une évidence compte tenu de la singularité des données que nous traitons. Mais il nous a semblé que sur des applications qui sont non critiques, ces expériences étaient très importantes parce qu’elles nous maintiennent éveillés. Nous avons appris énormément en travaillant avec Amazon. En réalité, c’est une sorte de challenge pour les informa­ticiens du Groupe de se confronter avec leurs homo­logues qui sont quand même les meilleurs du monde. Cela crée une émulation dans les équipes qui est très intéressante. À titre personnel, j’étais un peu réticente, en rappelant à mes équipes que nous étions une banque et qu’il fallait être prudent. Je pense néanmoins qu’elles ont eu raison de me pousser à y aller pour ce côté inno­vation et challenge.

Propos recueillis par Pierre Berlemont

 

Françoise Mercadal-Delasalles

• 2009
Directrice des Ressources et de l’Innovation du  groupe Société Générale

• 2003
Adjointe au secrétaire général de la Caisse des Dépôts

• 2002
Directrice déléguée d’Informatique CDC

• 1995
Sous-directrice du Bureau Europe de la Direction du budget au ministère des Finances

• 1992
Responsable du secteur Environnement du Département des financements de projets internationaux de BNP

• 1988
Administrateur civil à la Direction du budget du ministère des Finances

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