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Plaidoyer pour un renouveau du numérique en France (3)

Par La rédaction, publié le 27 février 2013

Mettre en place une fiscalité différente selon la stratégie choisie par les entreprises aiderait à favoriser les projets créateurs d’emplois et de croissance pour les sociétés, plutôt que les ambitions purement spéculatives.

En 2008, la loi de modernisation de l’économie a défini la catégorie des entreprises de taille intermédiaire (ETI) : entre 250 salariés (ou chiffre d’affaires supérieur à 50 M€) et 5 000 salariés (et moins de 5 Md€). Elles sont considérées aujourd’hui comme les locomotives de la croissance : suffisamment grandes pour exporter, suffisamment petites pour innover.

L’écosystème des éditeurs français

D’après le Truffle 100 de 2012, il n’y a que 15 éditeurs français à dépasser les 50 M€. Nous avons trop peu de champions nationaux, mais il y a pire : les années de crise 2007 et 2008 ont montré leur fragilité. En deux ans, dix des 100 premiers éditeurs français ont été rachetés par des acteurs étrangers. Ils totalisaient à eux seuls un quart du chiffre d’affaires du palmarès. Cette hémorragie a concerné Business Objects, GL Trade, Ilog, Cartesis. Beaucoup d’aides existent en France pour favoriser l’éclosion de start up, mais que deviennent-elles ensuite ?

Il y a un vrai risque à ne pas prendre de risque

Nos éditeurs peinent à s’envoler et à prendre de l’altitude. L’Etat et les grandes entreprises occupent une place prépondérante dans l’économie française. A ce titre, ils ont une grande responsabilité, mais ont aussi tout à gagner à favoriser l’émergence d’éditeurs logiciels hexagonaux plus puissants. ll est a priori beaucoup plus facile, pour leurs services achat, de discuter avec un acteur local qu’avec des poids lourds étrangers. Avoir des éditeurs à l’écoute est aussi utile aux services informatiques des entreprises. Ces derniers limiteront d’autant leurs développements spécifiques si les solutions livrées collent à leurs attentes. Et, avec des éditeurs réactifs, notamment grâce au Saas (Software as a Service), les responsables métier mettront en œuvre des solutions qui évolueront avec leurs vrais besoins.

Choisir un éditeur français comporte de vrais avantages… On a suffisamment entendu « personne ne s’est fait reprocher le choix d’IBM ou de Microsoft ». Les mentalités doivent changer : il y a un vrai risque à ne pas prendre de risque.

Les vautours et les aigles

Dans le règne animal, l’utilité des charognards est indéniable. Il en va de même en économie. Certains hommes d’affaires, parfois populaires, ont bâti leur fortune sur la reprise d’entreprises en difficulté. On peut ne pas penser du bien d’eux, mais il faut reconnaître leur rôle dans l’économie et l’emploi. Les rachats d’entreprises n’ont rien de désolant en soi.

Pourtant, la croissance par fusion-acquisition semble ne pas aller de soi chez les éditeurs. Si le repreneur accroît les ventes du produit racheté grâce à son envergure internationale et à sa clientèle existante. Personne ne s’en plaindra. A l’inverse, si le repreneur met fin au produit, ce n’est pas l’idéal pour les clients, mais reconnaissons que c’est mieux que si l’acteur racheté avait disparu. Dans ce cas, la maintenance, activité lucrative, est souvent maintenue et les équipes sont conservées pour être redéployées sur d’autres projets. Le pire est sans doute évité.

Les sociétés de services et les intégrateurs ne se posent pas toutes ces questions. Pour eux, les fusions-acquisitions vont de soi. L’entrepreneur a même la quasi-certitude de revendre son affaire quand il le souhaitera : ce sera juste une plus ou moins bonne affaire selon le moment choisi.

Pigeons

En tant qu’entrepreneur, j’ai été révolté d’être mis dans le même sac, fiscalement parlant, que les spéculateurs financiers, ceux-là mêmes qui sont à l’origine des crises actuelles. Quoi ? La prise de risque, les premières années à se payer moins que ses salariés, les efforts sur une longue durée, la valeur que nous apportons à nos clients, l’impact que nous avons sur la balance commerciale, les emplois que nous créons en France, tout cela n’aurait aucune valeur et ne mériterait pas plus de considération ?

Finalement, le gouvernement a décidé de traiter les entrepreneurs différemment. C’est bien, mais est-ce suffisant ? Que se passe-t-il lorsqu’un entrepreneur a besoin d’investisseurs pour accélérer sa croissance ? Et surtout, comment assure-t-on la pérennité de nos champions nationaux ?

Une piste à explorer serait peut-être de distinguer fiscalement la nature du projet : entrepreneurial ou spéculatif. Pour diriger une entreprise, une première stratégie consiste à privilégier la croissance, innover, prendre des risques, se développer à l’international, et… créer des emplois locaux. La stratégie inverse consiste à maximiser les profits, minimiser les coûts, délocaliser et distribuer des dividendes. Aujourd’hui, à part quelques mesures ponctuelles et de façon indirecte, ce choix de stratégie n’a aucune incidence sur la fiscalité de l’entreprise.

Je constate enfin que nous sommes plusieurs éditeurs à avoir choisi de nous développer sans nous livrer à des investisseurs. Ce sont souvent des entrepreneurs qui n’en sont plus à leur première entreprise qui font ce choix de projet à long terme, qui n’oblige pas à une revente au bout de cinq ans. Mon souhait est que, parmi nous, apparaîtront de nouvelles ETI, de nouveaux champions.

Vincent Bouthors

Vincent Bouthors

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