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TOP500 : L’Amérique règne à l’ère Exascale mais l’Europe refait son retard
Par Laurent Delattre, publié le 12 juin 2025
Trois systèmes exascale en tête, une Europe qui grignote le podium et l’IA qui change la donne : le monde du HPC est en pleine mutation accélérée comme en témoigne la publication du nouveau classement TOP500, des 500 supercalculateurs de la planète Terre qui voit le Jupiter se remarquer.
Depuis 1993, les palmarès semestriels TOP500 et, depuis 2007, GREEN500 scrutent la performance brute (HPL) et l’efficacité énergétique (Gflops/W) des supercalculateurs HPC. Ces listes se sont imposées comme les principaux indicateurs de l’évolution de l’informatique de calcul haute performance (HPC) et de ces gigantesques infrastructures qui animent la recherche scientifique au plus haut niveau. Des monstres de calcul qui, plus que jamais, se doivent aujourd’hui de concilier puissance et sobriété énergétique alors que l’IA générative vient ouvrir de nouveaux horizons à ces infrastructures et accentue la demande.
Un TOP 5 100% exascale avant 2026 ?
Publiée cette semaine, la 65ᵉ mouture consacre un même trio exaflopique sur le podium : El Capitan (1,74 Eflops), Frontier (1,35 Eflops) et Aurora (1,01 Eflops), tous trois exploités par des laboratoires du DoE américain. Un podium déjà vu en novembre 2024.

Mais, justement, que ce top 3 n’ait pas changé demeure une surprise. Le Frontier de l’ORNL, premier ordinateur exaflopique du monde occidental et donc premier HPC à franchir la barre symbolique de l’exascale (un milliard de milliards d’opérations par seconde, soit un 1 suivi de 18 zéros) conserve sa seconde place au classement, surpassant toujours le « Aurora » de l’Argonne Lab qui lui était supérieur sur le papier d’autant que sa construction a débuté bien après. Il y a six mois, cette troisième place de l’Aurora s’expliquait par une construction toujours en cours. Six mois plus tard, la situation ne semble pas avoir évolué ! La construction du Frontier a pourtant démarré en 2021, alors que celle l’Aurora a démarré deux ans plus tard et un an avant celle du El Capitan.
La densité de cœurs (plus de 11 millions pour El Capitan, plus de 9 millions pour Frontier et Aurora) et la généralisation des couples CPU + GPU (AMD Epyc + MI300 pour El Capitan, AMD Epyc + MI250X pour Frontier, Intel Xeon + GPU MAX pour Aurora) confirment que l’optimisation du ratio performance/watt passe désormais par des accélérateurs GPU massivement parallélisés et pilotés par des CPU généralistes.
JUPITER : l’Europe s’invite au sommet
Autre surprise, le quatrième du classement est européen… et il est très loin d’être finalisé. Le JUPITER du centre Jülich affiche déjà 793 Pflops alors que seul un segment de la machine est opérationnel. En effet, le JUPITER est un HPC composé de deux modules : Un « Cluster Module » et un « Booster Module ». Et c’est ce dernier qui est pour l’instant fonctionnel.
Basé sur l’architecture liquid-cooling BullSequana XH3000 et sur les superchips « Grace Hopper GH200 » de NVIDIA (combinant CPU ARM et GPU Hopper en 1 puce), le système illustre la stratégie modulaire du programme EuroHPC : déployer un noyau GPU (le Booster Module) avant d’intégrer, fin 2025, un « Cluster Module » formé d’un cluster de CPU Rhea1 conçu par la start-up européenne SiPearl.
Cette architecture à deux volets est en réalité devenue une bouée de sauvetage pour le JUPITER qui a pu démarrer avec son « Booster » alors que le CPU européen de son « Cluster » accumulait les retards de conception.
D’ailleurs, cette semaine, SiPearl a dévoilé son « Seine Reference Server », un design de référence pour valider le matériel et les premiers samples du processeur Rhea-1. Il est bon de voir que les choses avancent, même si l’indépendance technologique voulue avec le General Module du JUPITER prend plus longtemps qu’attendu.

Ce qui n’empêche donc pas le JUPITER d’être déjà la 4ème machine la plus puissante du monde (voire de l’univers, qui sait ?). D’autant que, déjà, elle approche l’exaflops (793 TFlops) avec deux fois moins de cœurs de calculs que l’Aurora ! Et l’information est loin d’être anodine puisque le projet dérivé JEDI s’affiche en tête du classement GREEN 500. JEDI c’est le nom de code du prototype à petite échelle du module Booster de JUPITER. Il est conçu pour tester et valider les technologies matérielles et logicielles du supercalculateur avant leur déploiement sur le Booster Module.
Cartographie des fournisseurs
Sinon, que retenir d’autre de ce 65 ème classement TOP 500 ? Tout d’abord que « Eagle », le HPC du cloud Microsoft Azure perd une place et se contente de la 5ème position. C’est le seul « HPC Cloud » du TOP20. Mais il n’a pas progressé, signe que Microsoft déploie autrement et ailleurs ses investissements HPC pour l’IA.
Autre information, on retiendra que le consortium européen EuroHPC (notamment orchestrateur du Jupiter) glisse 5 HPC dans le TOP 100 : Jupiter (4e), Lumi (9e), Leonardo (10e), MareNostrum 5 ACC (14e) et MareNostrum 5 GPP (45e).
Dans un même ordre d’idées, le premier HPC français, le CEA-HE du Commissariat à l’énergie atomique s’affiche en 23ème position, alors que le Jean Zay du Genci se contente de la 35 ème place. Le Genci concentre aujourd’hui ses efforts sur la conception du Alice Recoque (le nom définitif du HPC géré par le consortium Jules Verne) qui sera le second HPC exaflopique européen après Jupiter, en 2026. Et on retiendra que la France est le 5ème pays le mieux équipé en HPC, derrière les USA, la Chine, l’Allemagne et le Japon.
Du côté des fournisseurs technologiques de l’univers HPC, Lenovo demeure numéro 1 (avec 27% des HPC du TOP500 portant sa griffe) devant HPE (26%) et EVIDEN/ATOS (11%). Néanmoins, on retiendra surtout que HPE a conçu 6 des HPC du TOP 10 (et 70 machines du TOP 100) alors que la première machine Lenovo pointe en 45ème place (et seulement 10 machines du TOP 100 sont signées Lenovo). EVIDEN peut se satisfaire d’avoir conçu 2 des HPC du TOP 10 (dont le JUPITER).

Autre information amusante, tous les systèmes HPE s’appuient sur un réseau Slingshot, alors que seulement 2 HPC du TOP10 sont en InfiniBand de Nvidia.
Encore une donnée ludique sur le TOP 500 : les 136 machines signées Lenovo représentent une performance totale de 713 Pétaflops, alors que les 132 machines HPE représentent plus de 10 fois plus avec près de 7 Exaflops cumulés. Avec un total de 1,7 exaflops, même les 11 machines signées EVIDEN représentent plus de puissance que les 136 HPC Lenovo cumulés.
Du côté processeurs, AMD équipe 4 leaders du TOP 10 (dont El Capitan et Frontier) tandis qu’Intel en alimente 3, notamment Aurora. Les nouveaux venus NVIDIA Grace Hopper (JUPITER, Alps) ouvrent la voie à une convergence HPC/IA, tandis que Fujitsu maintient Fugaku dans le TOP 10 grâce à son ARM A64FX.
Du côté des GPU, Nvidia équipe 17 HPC du TOP 25, ce qui en fait de loin le fournisseur le plus populaire. Néanmoins, si AMD n’équipe que 5 HPC du TOP 25 avec ses GPU « Instinct », la marque a réussi à glisser ses GPU dans les deux HPC les plus puissants de la planète (El Capitan, Frontier).

Dernière information complémentaire au TOP500 et son benchmark HPL, sur le benchmark mémoire-bound HPCG, El Capitan détrône Fugaku avec 17,1 Pflops et rappelle qu’une architecture équilibrée reste essentielle pour les charges applicatives scientifiques. Côté benchmark HPL-MxP (bench IA), le recours aux calculs mixtes propulse également El Capitan à 16,7 Exaflops, loin devant Aurora et Frontier.
GREEN500 : l’efficacité se démocratise
Être puissant c’est bien. Être efficient, c’est mieux. Le classement énergétique GREEN500 reste dominé, comme on l’a vu plus haut, par JEDI (72,7 Gflops/W), le banc pilote du JUPITER. Pour info, le JEDI n’est pas réellement un HPC opérationnel et son classement « TOP500 » le place à la 259 ème place.
Suivent juste derrière les machines ROMEO-2025 de l’université de Reims (elle aussi dotée des processeurs GH200 de Nvidia et figurant à la 148ème place du TOP500) et Adastra 2 du GENCI (à base d’AMD Epyc Gen4 et Instinct M300A).
Dit autrement, 3 machines en tête du TOP 5 du Green500 sont propulsées par des superpuces GH200 de NVidia combinant CPU+GPU, preuve que l’alliance du refroidissement liquide et de superchips hétérogènes porte ses fruits. Les deux autres sont animées par des processeurs AMD Epyc de 4ème génération, et ce n’est pas non plus un hasard.
Bref, cette 65ème édition du TOP 500 est toujours aussi instructive et démontre que l’écosystème HPC poursuit ses évolutions et continue d’accélérer en attendant que l’informatique quantique vienne, un jour peut-être, totalement redistribuer les cartes. On est déjà impatient de découvrir la 66ᵉ édition, attendue en novembre 2025, même s’il ne devrait pas y avoir de grands chambardements dans le classement. Les prochains supercalculateurs exaflopiques attendus, à l’instar du Alice Recoque (ex-projet Jules Verne) européen et du ATS-5 américain, sont plutôt attendus vers 2027.
Reste que la non-participation persistante des systèmes chinois brouille néanmoins la visibilité sur la concurrence mondiale.