Gouvernance

Work sweet home

Par Mathieu Flecher, publié le 13 juillet 2018

À l’ère des outils de communication à distance, quel usage est-il réellement fait du télétravail ?  Petit florilège des situations rencontrées dans notre DSI.

De façon quasi systématique désormais, les candidats me demandent lors de leur entretien quelle est la pratique de notre entreprise en termes de « home-office ». Bien que les mentalités changent à grand pas sur le sujet, il n’en reste pas moins que cette pratique déstabilise les employeurs lors de la première approche. Comme tout système, on craint l’abus et surtout la perte d’investissement ou la perte d’efficacité collective d’un collaborateur qui pourrait travailler de la maison. Pourtant, les premières fois où il m’a été donné l’occasion de travailler depuis chez moi, le premier sentiment qui m’a animé a été le « pouvoir » de se dire : « c’est cool ». Le second a été très rapidement la responsabilité qui en découle. C’est un acte de confiance managériale avant tout, qui permet à un collaborateur de ne pas se rendre au travail – il faut le dire – mais néanmoins de travailler. Je ne l’ai pas perçu de suite, mais faire du home office doit vous mettre dans un état proche de l’état où vous vous trouvez quand vous travaillez le soir tard depuis chez vous.

De mes candidats qui me demandent quelle est notre pratique, je retire aussi certaines informations, à savoir la pratique que leur entreprise en fait, et la façon dont ils le vivent. Pour la petite anecdote, j’ai eu dans mes équipes deux démissions : deux collaborateurs, plutôt de back-office, ont démissionné pour rejoindre des entreprises qui offraient, pour l’une, deux jours de télétravail et, pour l’autre, trois. Par semaine bien évidement. Alors que disons-nous à nos candidats ? Que nous faisons partie des sociétés qui ne proposent aucun accord sur le télétravail ? Oui. Et cela nous pénalise de plus en plus fortement, alors que cette pratique est de plus en plus répandue, et qu’elle représente en fait un vrai avantage concurrentiel lors des recrutements, surtout lorsque les marchés sont tendus. Notre entreprise, localisée à une heure trente de Lyon et Genève, ne bénéficie pas d’un bassin d’emploi favorable à l’attraction des talents. Résultat : nous recrutons très difficilement. Une entreprise voisine, a finalement adapté son organisation à sa localisation : elle propose en standard deux jours de télétravail « culturellement imposés », le jeudi et vendredi. Cela lui permet d’avoir trois jours d’efficace collaboration et de permettre aux salariés (et pas que ceux de la DSI) de pouvoir délivrer et se concentrer sur leur job sur la fin de semaine. Cette pratique permet à la fois de staffer des talents tout en restant sur un rythme de travail en entreprise significatif pour garder un esprit corporate.

À y bien réfléchir, pour une DSI, le télétravail devrait être quelque chose de plutôt naturel. Bon nombre de développements peuvent se faire à distance, et le télétravail – dans son sens premier – fait déjà partie intégrante de notre activité. Pourquoi ? Pour la simple et bonne raison que j’ai plusieurs dizaines de collaborateurs, voire près de 80 % de mes collaborateurs, qui sont déjà en télétravail… de par leur éloignement géographique. Comment gérer mes informaticiens des USA, ou d’Asie ? Ils travaillent déjà à distance. Cinq jours par semaine de télétravail. Bien sûr, il existe les quatre points de rencontre annuels, durant les IT Days : c’est là où, en fait, nous fédérons ; c’est là où nous recalibrons nos modes de fonctionnement. Même si cette analogie peut surprendre, nous arrivons à l’aide des outils de communication à bien travailler à distance. Les huit hubs informatiques de notre entreprise s’en accommodent finalement très bien. Bien sûr que nous trouverions cela plus facile d’être tous regroupés mais, pourtant, ça marche. Nous sommes efficaces malgré l’éloignement. Nous agissons de façon responsable vis-à-vis de cette façon de faire. Il doit en être de même pour le télétravail au sens du droit social français.

Les quelques personnes ou entreprises rétives que j’ai rencontrées évoquent majoritairement deux points qui les empêchent de mettre le télétravail au cœur de leur dispositif : l’abus et l’efficacité. Il est effectivement tentant pour un collaborateur, s’il travaille à domicile, d’abuser de la situation. Il peut procrastiner, s’adonner à des activités personnelles, etc. Mais est-il gagnant au final ? Car cela ne dure qu’un temps. Quand sonne le temps de « rendre compte » du travail effectué, cette stratégie ne fonctionne pas. Quant à l’efficacité du travail effectué, les idées préconçues sur le fait que de ne pas être « dans le groupe » nuit à l’efficacité du collaborateur, je n’y crois guère. Par expérience, j’y oppose le calme propice à la réflexion, la concentration. Le travail de recherche, structuration, réflexion mené dans une bulle est terriblement efficace. Le dernier sentiment qui anime un collaborateur en télétravail est la culpabilité : celle de jouir d’une situation de travail qui reste exceptionnelle au sens numéraire du terme, et celle du retour sur investissement. À situation exceptionnelle, le collaborateur se sentira plus redevable et fournira un meilleur travail.

En tout état de cause, notre société change, le marché de l’emploi étant très fortement tendu. Le télétravail est alors une réelle opportunité pour bon nombre d’entreprises. Que ce soit par leur situation géographique, mais surtout pour la qualité du travail fourni. La conjoncture technologique n’a jamais été aussi bonne, de plus, pour soutenir cette activité : visioconférence, partage, working place… Finalement, mon bureau est partout.

Mathieu Flecher
DSI d’une entreprise industrielle française
@FlecherMathieu (*)

(*) Mathieu Flecher est le pseudonyme d’un DSI bien réel

 

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