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Huawei devient l’arme maîtresse de Pékin dans la guerre des IA

Par Laurent Delattre, publié le 25 septembre 2025

La guerre technologique entre Washington et Pékin entre dans une nouvelle phase. Avec l’interdiction des GPU Nvidia en Chine, Huawei devient l’arme maîtresse de l’autonomie IA chinoise. Avec son ambitieuse feuille de route, la firme de Schenzen montre qu’elle n’a désormais plus besoin de l’innovation américaine.

Huawei a longtemps été l’un des symboles les plus frappants de la guerre technologique entre Washington et Pékin. Placé sur liste noire par les États-Unis dès 2019, le géant chinois, qui était alors numéro 2 mondial des smartphones, a été privé d’accès aux composants et logiciels américains, ce qui l’a contraint à totalement réinventer sa chaîne d’approvisionnement et à miser sur ses propres capacités de conception. Très vite, Huawei a cherché à survivre en se passant de tout ce qui venait d’outre-Atlantique, développant ses propres alternatives, de l’OS Harmony aux processeurs maison.

Depuis, la situation géopolitique ne s’est pas apaisée. Bien au contraire, Pékin a récemment franchi une étape supplémentaire en interdisant aux géants technologiques chinois d’acheter les puces d’intelligence artificielle de Nvidia, à commencer par les versions spécialement bridées pour le marché local que le constructeur américain va désormais devoir brader ailleurs. Cette décision, motivée par des accusations de pratiques monopolistiques et de risques à la sécurité nationale, mais aussi par une farouche volonté d’accélérer l’autonomie technologique nationale, a scellé le rôle stratégique de Huawei : désormais, c’est bien sur elle que la Chine compte pour combler le vide laissé par l’interdiction d’acquérir des puces Nvidia.

Huawei en sauveur

Le timing est d’ailleurs loin d’être anodin. Puisqu’au même moment, Huawei a dévoilé, lors de sa conférence annuelle Huawei Connect, une série d’annonces spectaculaires démontrant ses progrès en matière d’accélérateurs IA. Au cœur de sa stratégie se trouvent les puces Ascend, dont la nouvelle génération suit un rythme d’évolution annuel avec l’ambition de doubler la puissance de calcul à chaque itération. Après l’Ascend 910C lancé en début d’année, l’Ascend 950 est attendu en 2026, suivi de l’Ascend 960 en 2027 et de l’Ascend 970 en 2028. Ces processeurs, bien que moins performants individuellement que les GPU de Nvidia, sont conçus pour être massivement interconnectés.

SuperPoDs et SuperClusters : faire parler la force brute

C’est précisément là qu’intervient l’innovation phare de Huawei : les architectures Atlas 950 et 960, déclinées en SuperPoDs et SuperClusters.

Le futur Atlas 950 SuperPoD intégrera 8.192 cartes NPU Ascend, tandis que l’Atlas 960 SuperPoD en comptera jusqu’à 15.488.
Ces superpods pourront être agrégés en superclusters dépassant le million de puces, une échelle inédite qui permet de compenser les limites de chaque processeur pris isolément.

Ainsi, Huawei affirme que son Atlas 950 SuperPod offrira 6,7 fois plus de puissance de calcul, 15 fois plus de capacité mémoire et 62 fois plus de bande passante que le système NVL144 de Nvidia attendu l’an prochain.

Comparé au Colossus de xAI, présenté par Elon Musk comme le supercalculateur dédié à l’entraînement de l’IA le plus grand et le plus puissant au monde, le SuperCluster Atlas 950 serait 2,5 fois plus grand en termes d’échelle (nombre de puces) et 1,3 fois plus puissant selon le patron de Huawei.

Pour orchestrer cette montée en puissance, Huawei a développé UnifiedBus, un protocole d’interconnexion maison dont la version 2.0 promet des vitesses de transfert jusqu’à 62 fois supérieures à celles de NVLink, la technologie concurrente de Nvidia.

Autre bond essentiel, l’entreprise chinoise a également annoncé disposer désormais de sa propre mémoire à large bande passante HBM, un domaine jusqu’ici dominé par Samsung et SK Hynix. En combinant ces briques technologiques, Huawei entend bâtir une infrastructure capable de soutenir l’entraînement des modèles d’IA les plus exigeants, tout en consolidant un écosystème domestique autour de ses standards.

Silicon Valley vs Shenzhen : deux visions, deux souverainetés

La feuille de route est toute tracée : un cycle annuel de nouvelles puces Ascend, une montée en échelle progressive des superclusters, et une intégration renforcée avec les acteurs chinois du cloud et de la recherche. Huawei mise sur la force brute, le maillage massif de processeurs et le soutien politique de Pékin pour combler son retard technologique et s’imposer comme le champion national de l’infrastructure IA.

Cette stratégie prend évidemment une résonance particulière face aux annonces récentes de Nvidia. Le groupe américain a scellé un partenariat stratégique avec Intel et a investi à hauteur de 5 milliards de dollars pour en acquérir 4% du capital tout en définissant une nouvelle route technologique pour fusionner architecture x86 et GPU RTX. Il a signé un accord colossal avec OpenAI, prévoyant jusqu’à 100 milliards de dollars d’investissements pour alimenter les futurs modèles de l’entreprise. Des accords très ancrés dans la politique « America First », voire « America Only », du gouvernement Trump.

Ainsi, alors que Nvidia consolide son hégémonie mondiale en s’alliant aux leaders de la Silicon Valley, Huawei trace une voie parallèle, centrée sur l’autonomie chinoise et la puissance de calcul distribuée. Il reste maintenant à concrétiser les promesses. L’exécution du plan ne sera pas facile mais l’entreprise travaille désormais depuis suffisamment longtemps sur son autonomie technologique et a les moyens techniques et financiers pour réussir.

Une vérité émerge : l’IA n’est plus seulement une question d’innovation, mais une question de souveraineté. Un message qui raisonne aussi en Europe. Mais les moyens financiers ne sont pas au niveau face aux deux autres blocs. Huawei, hier symbole d’une entreprise acculée par les sanctions, est désormais l’arme maîtresse de Pékin dans la guerre des puces. La Silicon Valley a ses géants, la Chine a son champion. Dans ce duel des titans, Nvidia mise sur les alliances américano-américaines, Huawei sur la résilience. L’Europe va devoir réagir autrement qu’en laissant ASML monter dans le capital de Mistral AI pour éviter de se contenter de compter les points.


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