Gouvernance

« L’expérience client guide notre transformation »

Par Xavier Biseul, publié le 26 octobre 2023

Avec plus d’un milliard d’euros investis dans sa transformation numérique, le premier distributeur mondial de matériel électrique pour les installateurs et professionnels du bâtiment voit grand. Sonepar entend proposer une expérience client inédite en s’appuyant sur une plateforme omnicanale dopée à l’intelligence artificielle.


Entretien avec Jérémie Profeta, Chief Transformation Officer de Sonepar France

Le Contexte

Groupe familial discret, Sonepar est pourtant le leader mondial de la distribution de matériel électrique, de systèmes et de services aux professionnels du génie climatique, de l’éclairage ou de la domotique.
Fondé en 1969, il a réalisé un CA de 32,4 Md€ en 2022. Le groupe emploie 44 000 collaborateurs répartis dans 40 pays et 2 400 agences.
En avril, Sonepar annonçait vouloir investir plus d’1 Md€ sur cinq ans dans sa transformation numérique. Objectif : proposer une expérience client personnalisée, facilitant la recherche et l’achat de produits quel que soit le moment et le mode d’interaction. Pour construire cette plateforme, baptisée Spark, le distributeur français s’est allié à Microsoft, Publicis Sapient et Hitachi Solutions.

Quels sont votre parcours au sein de Sonepar et votre périmètre fonctionnel actuel ?

Je suis arrivé chez Sonepar il y a cinq ans, le 1er juillet 2018, en tant que Chief Digital Enterprise Officer. Ma mission était de faire de Sonepar une entreprise digitale. Chacun a sa définition de ce qu’est une entreprise digitale. Pour moi, il s’agit d’une entreprise orientée client, s’appuyant sur une architecture informatique modulaire et considérant la data comme un actif stratégique.

Ma fonction a évolué depuis. En septembre, j’ai été nommé Chief Transformation Officer avec, cette fois, l’ambition de mener la transformation de l’entreprise au sens large. Dans mon périmètre, je dirige les activités dédiées à l’omnicanalité, à la relation client, à l’analyse des données, à l’IT (cloud, ERP…), à la cybersécurité et à la gestion de la chaîne logistique. Le DSI et le supply chain officer me reportent directement.

Associer l’IT et la logistique est assez rare, quelle est la volonté derrière ce rapprochement ?

C’est effectivement un choix audacieux souhaité par le directeur général de Sonepar, Philippe Delpech. Il a voulu que le Chief Transformation Officer dispose de toutes les marges de manœuvre possibles pour réussir la transformation du groupe. À savoir changer la manière dont on adresse le marché – l’omnicanalité –, la manière dont on le sert – la logistique –, et la façon dont on opère les processus internes. Il s’agit, enfin, de développer de nouveaux business digitaux avec la marketplace, la data ou l’IoT.

Ainsi, j’exerce une fonction transverse travaillant à la fois avec les présidents de régions et les directeurs de fonctions. Mes homologues chargés de la transformation n’ont généralement pas l’IT et encore moins la supply chain dans leur périmètre. Ce n’est pas neutre. La logistique chez Sonepar, c’est une véritable force stratégique avec 10 000 collaborateurs, 170 centres de distribution, 1,5 million de mètres carrés de stockage et 3,5 Md€ de stocks de produits.

Quelles sont les ambitions de Sonepar dans ce domaine de la logistique ?

Le groupe consacre 2 Md€ à sa supply chain, pour en faire la meilleure de l’industrie. Cela veut dire augmenter notre capacité de stockage, mais aussi accélérer l’automatisation des sites grâce à l’apport de la robotique et de l’Internet des objets.

Il s’agit, enfin, de la connecter à la gestion des stocks et des entrepôts, et également à nos fournisseurs. Le tout pour livrer une solution complète le lundi à 9 h sur le chantier et non à 10 h. Sinon, c’est une perte de temps et donc de productivité pour le client.

L’organisation d’un entrepôt qui a été automatisé n’a plus rien à voir avec le mode de fonctionnement antérieur. Les opérateurs sont assistés de robots qui vont aller chercher tout seuls les différents produits. De son côté, le responsable d’un entrepôt doit gérer des flux de stocks de plus en plus complexes comprenant notamment la logistique des retours (reverse logistics).

” Le groupe consacre 2 Md d’euros à sa supply chain pour en faire la meilleure de l’industrie.

Quel est, cette fois, l’objectif de votre stratégie de transformation numérique ?

L’ambition de Sonepar est de devenir le premier distributeur de matériel électrique B to B au monde à offrir la meilleure expérience omnicanale par segment de clients et catégorie de produits. Cela passe par l’édification d’une plateforme unique et globale, quel que soit le moyen d’interaction souhaité : en agence, sur le site web, dans l’application mobile, via un centre d’appel ou encore avec un commercial itinérant.

Il s’agit aussi d’aider notre population commerciale – 20 000 collaborateurs entre les commerciaux terrain et sédentaires disséminés dans un réseau de 2 400 agences de par le monde, dont 500 en France – à mieux gérer leur portefeuille. Cela veut dire leur donner des perspectives contextuelles leur permettant d’attirer des prospects, comme d’optimiser leur taux de conversion et de fidélisation.

Quelles sont les grandes étapes, passées et à venir, de ce plan ?

En 2018, nous avons commencé à définir la stratégie à suivre et à établir les priorités. Les années 2019 et 2020 ont été consacrées à l’implémentation et à la planification du programme et à la constitution du data lake. 2021 a vu le développement d’un écosystème mondial avec le lancement de la digital factory et de la plateforme omnicanale Spark, avec les premières expérimentations sur les pays pilotes.

Développée en pleine période Covid, cette plateforme Spark est l’un des éléments les plus visibles de notre écosystème. Pour autant, c’est un ensemble qui s’articule autour d’une architecture modulaire. Nous sommes un groupe très décentralisé, établi dans 40 pays, avec tout autant de technologies différentes pour traiter des mêmes sujets. Il a fallu tout d’abord moderniser, harmoniser et faire converger l’existant, ce que j’appelle le « digital inside », à savoir les infrastructures, les réseaux et les applications. En 2021, nous avons ensuite accéléré sur le « digital outside », c’est-à-dire la manière dont les clients interagissent avec nous, via le web, le mobile ou l’EDI.

Au cours des cinq prochaines années, Sonepar investira plus d’un milliard d’euros dans sa transformation numérique. Cela concerne le développement de la plateforme omnicanale, mais aussi tout ce qui n’est pas visible, comme la connexion à l’ERP ou l’outil de pricing. Rappelons que Sonepar est un groupe familial indépendant créé il y a 53 ans. Notre actionnariat familial nous permet de développer une vision à long terme. C’est un vrai atout par rapport à d’autres acteurs du marché.

Pourquoi cette approche omnicanale est-elle si indispensable ?

Un changement culturel s’est opéré chez nos clients. Avant, toutes les transactions passaient par l’agence. Celle-ci avait une visibilité intégrale sur les opérations. Ensuite, Internet est arrivé, générant des excès dans le sens inverse. Le professionnel s’est emparé de cette commodité lui permettant de commander 24 heures sur 24, sept jours sur sept. C’était très pratique pour lui, mais cela a créé des angles morts. Il y a toute une partie de l’activité que l’agence ne voyait plus.

Aujourd’hui, depuis sa console, un commercial voit les paniers en cours et non validés, ou les devis auxquels il doit répondre. Il sait à tout moment où en est son client dans son parcours et quels leviers actionner pour mieux le servir et ne pas le perdre. Il va rendre visite à un grand compte qui n’a pas commandé depuis douze mois, ou téléphoner à ce client pour lui offrir un service personnalisé.

L’objectif avec la plateforme omnicanale est de rendre visible pour le client tous les actifs et services de Sonepar. Il a accès à la plus grande capacité d’entrepôts au niveau mondial, au catalogue produits le plus complet dans sa largeur et dans la profondeur de gammes, ainsi qu’à un réseau d’agences de proximité pour le conseil et le service.

” Notre actionnariat familial nous permet de développer une vision à long terme. C’est un vrai atout par rapport à d’autres acteurs du marché. “

Comment opérez-vous la segmentation de votre clientèle qui est particulièrement disparate ?

Jusqu’à récemment, on parlait du client en général alors que Sonepar a effectivement une multitude de clients, du petit installateur local spécialisé dans le génie climatique ou la pose de panneaux photovoltaïques, jusqu’au grand groupe de services multi-techniques au rayonnement national voire international. Ils interviennent sur différents marchés entre le résidentiel, le tertiaire, l’industrie ou le secteur public.

Notre data lake nous permet d’atteindre cette granularité. Je connais le client, ses attentes, ses chantiers. Je peux anticiper ses besoins. Telle référence n’est plus disponible ? Alors je prescris un produit équivalent qui répond au besoin. Certains grands chantiers se planifient six mois à l’avance. Le professionnel doit pouvoir anticiper très en amont la commande de matériels et de services. De son côté, Sonepar doit garantir une livraison en temps et en heure, voire en click and collect à l’agence. Le digital nous permet aussi de modéliser les tendances du marché, les comportements et les facteurs de motivation des clients.

Ne craignez-vous pas de mettre en concurrence les différents canaux ?

Non, il s’agit au contraire de les faire interagir. L’objectif de notre plateforme consiste à réconcilier le monde physique et le monde digital. Le monde physique – les commerciaux, la logistique – doit avoir accès au monde digital et savoir ce qu’il s’y passe. De son côté, le client dispose de tous les outils pour mieux gérer son activité. L’humain reste au cœur de notre dispositif. Dans un parcours omnicanal, il y a toujours un professionnel qui intervient pour conseiller un client ou régler un problème éventuel.

L’omnicanalité, c’est d’abord un travail d’équipe. Sur son parcours, le client est en contact avec plusieurs interlocuteurs au sein de Sonepar, entre l’agence locale, le centre logistique, ou encore le service financier pour l’octroi d’une ligne de crédit. Le dialogue doit être constant. Nous sommes dans le B to B. Pour ces professionnels, c’est la réussite de leur chantier qui est en jeu.

Soumis à moins de pression concurrentielle, le e-commerce B to B accuse un certain retard sur son équivalent grand public. Comment percevez-vous ce décalage ?

Le commerce en ligne B to C est certes plus innovant et a été le premier à adopter les nouvelles technologies, mais le marché B to B est plus étendu. À titre d’exemple, Sonepar a réalisé 10 Md€ de ventes en ligne en 2022 sur un chiffre d’affaires de 32,4 Md€. À lui seul, ce chiffre nous classerait directement parmi les plus grands pure players au monde !

Les comportements d’achat ne sont pas non plus les mêmes. On parle ici d’une activité professionnelle et non d’un achat plaisir. L’objectif pour un électricien ou un installateur, c’est d’organiser son chantier pour être le plus productif. Cela dit, on observe une convergence des pratiques du B to C vers le B to B, avec le souhait de la part des professionnels de bénéficier d’une expérience plus intuitive, transparente et personnalisée.

Auparavant, un professionnel pouvait réserver un hôtel en ligne pour ses vacances, mais devait obligatoirement passer en agence pour acheter un disjoncteur pour son chantier. Cela n’a pas de sens. Il devrait pouvoir choisir comment et où commencer son parcours, par exemple sur mobile, et le poursuivre en agence pour enfin le conclure sur la boutique en ligne. Notre objectif est de faciliter son quotidien, déjà bien chargé.

” L’objectif de notre plateforme consiste à réconcilier le monde physique et le monde digital… “

Sur quels critères développez-vous en interne ou retenez-vous des solutions du marché ?

Le développement de Spark a nécessité l’apport d’une cinquantaine de technologies et s’appuie sur un écosystème de huit plateformes mondiales. C’est un mix entre des développements spécifiques et le recours aux solutions du marché. Ce qui constitue un avantage concurrentiel – comme les algorithmes d’intelligence artificielle – est développé par nos soins.

En revanche, le moteur de recherche ou le module de gestion de contenu n’ont pas vocation à être recréés en interne. Il existe des solutions du marché qui font très bien le travail. Cela dit, nous les « soneparisons ». Un moteur de recherche générique devient très spécifique une fois intégré à la plateforme Spark. Avec lui, je sais que tu es un installateur généraliste et que, quand tu recherches telle référence, c’est de ce produit dont tu parles, voire de cette solution complète.

De même, notre CRM repose sur Dynamics 365 de Microsoft, mais nous l’avons enrichi et contextualisé grâce à notre data lake et notre IA. Ce CRM « augmenté » va alerter, par exemple, les commerciaux sur les risques de perte d’un client et proposer la « next best action ».

Le recours aux solutions open source est une possibilité que l’on se donne, mais pas une finalité en soi. Il s’agit avant tout de coller au plus près des besoins de nos clients. Les outils utilisés doivent être innovants, performants et résilients.

Quels sont les rôles respectifs de vos partenaires Microsoft, Publicis Sapient et Hitachi Solutions ?

Publicis Sapient et Hitachi Solutions travaillent sur la partie CRM de la plateforme Spark avec le développement des outils pour les commerciaux et les marketeurs. Leurs experts intègrent notre digital factory qui compte 300 personnes de quinze nationalités différentes. Cette organisation globale, basée en Europe et en Amérique du Nord pour couvrir les États-Unis et le Canada, développe la même plateforme pour les 40 pays où le groupe Sonepar est présent.

Dans le domaine du cloud, nous avons fait le choix de Microsoft Azure pour des raisons de résilience et de performance. Dans le digital, chaque seconde compte. Un internaute perd patience si une page web ne s’affiche pas en une fraction de seconde.

” Le développement de Spark a nécessité l’apport d’une cinquantaine de technologies et s’appuie sur un écosystème de huit plateformes mondiales. “

Quelle est votre approche de la cybersécurité ?

C’est une évidence, la cybersécurité est au coeur de toutes nos préoccupations. La menace cyber est l’un des risques les plus importants identifiés par le groupe et elle n’a fait que s’intensifier depuis la guerre en Ukraine. Nous avons investi dans une « Cyber Defense Platform » intégrant une dizaine de technologies issues des leaders mondiaux dans ce domaine. Cela se traduit notamment par la mise en place d’un Security Operations Center (SOC) ou de solutions de gestion des vulnérabilités.

Travaillant en écosystème, nous devons sécuriser nos infrastructures, mais aussi nous assurer que nos partenaires présentent le même niveau de protection. Si le cloud de Microsoft Azure tombe, les utilisateurs de la plateforme en subissent les conséquences. Ne maîtrisant pas la cybersécurité d’Azure, il s’agit de mettre en place une architecture nous permettant d’être résilients. En cas de défaillance, les systèmes continuent à être opérationnels de manière transparente pour le client.

Quels sont les apports de l’intelligence artificielle dans vos métiers ?

L’intelligence artificielle nous sert à différents niveaux. En interne, elle nous fait gagner en efficacité et en productivité. Par exemple, Copilot de Microsoft suggère, génère et répare du code. À l’externe, l’IA permet de répondre au souhait de nos clients de rechercher une solution complète, monomarque ou multimarque, répondant à toutes les spécifications techniques. Cela suppose de recommander un ensemble de produits et de s’assurer de leur compatibilité. Une complexité matricielle.

Demain, l’IA permettra, par exemple, de prescrire une solution complète de vidéosurveillance, à moins de 3 000 €, la plus écologique et connectée possible, et livrable dès le lendemain. Nous travaillons dans ce sens. L’IA doit encore apprendre les spécificités de nos métiers. Aujourd’hui il n’y a que nos experts techniques et nos clients qui savent que tel produit fonctionne avec tel autre.

Propos recueillis par Xavier Biseul / Photos de Maÿlis Devaux


« Notre moteur recommande les produits les plus “verts” »

Le monde du bâtiment étant un grand émetteur d’émissions de CO2, Sonepar entend jouer un rôle clé dans l’accompagnement de ses clients dans la transition énergétique. « En tant que leader mondial, Sonepar peut agir comme un prescripteur et recommander les produits à la plus faible empreinte carbone, soutient Jérémie Profeta. L’an dernier, nous avons lancé notre offre verte, une première mondiale dans le secteur. »

Déployée en France au deuxième trimestre 2023, cette offre verte permet aux installateurs et professionnels du bâtiment d’acheter des produits en fonction d’une note environnementale, afin de réduire leur empreinte carbone et celle de l’utilisateur final. Elle s’appuie sur une méthodologie certifiée par un organisme indépendant, Bureau Veritas. « Cette innovation n’a été possible que grâce à notre data lake qui centralise les données sur les empreintes CO2 des produits au catalogue. Notre moteur de recommandation dopé à l’IA suggère ce critère vert au-delà du prix ou de la disponibilité. Il pousse ainsi les produits les moins énergivores. »

L’offre verte englobe tout le cycle de vie du produit : sa fabrication, son transport et sa distribution, son utilisation et son traitement en fin de vie.

Le parcours de Jérémie Profeta

Depuis 2022 :
CTO de Sonepar, membre du Comex

2018-2022 :
CDEO de Sonepar, membre du Comex

2014-2018 : 
Président pour la Chine, l’Inde, le Brésil et le Japon, membre du Comex de Cimpress

2010-2014 : 
Directeur principal, stratégie d’entreprise et développement, puis chef de cabinet de Vistaprint

2005-2010 : 
Manager de la stratégie mondiale division lubrifiants, puis responsable informatique mondial pour le retail de Shell

2004-2005 : 
Strategy practice chez Accenture

1997-2004 : 
Consultant chez AT Kearney, puis Manager

FORMATION
Bachelor Finance (TBS Education)
Business Leadership Program (Insead)


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