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Omnibus acte II: la CSRD allégée, le reporting volontaire sauvé, les ESRS repensés
Par Thierry Derouet, publié le 24 juin 2025
Le paquet Omnibus redéfinit en profondeur les règles du jeu du reporting ESG en Europe. Moins d’obligations, plus de volontariat : une simplification qui oblige les DSI à revoir leurs arbitrages sans baisser la garde sur la qualité des données.
“L’Europe doit réduire la bureaucratie tout en restant fermement engagée dans ses objectifs de décarbonation. » Cette déclaration d’Ursula von der Leyen, présidente de la Commission européenne, résume l’esprit du « paquet Omnibus » adopté le 21 juin 2025. L’Union européenne ne recule pas, elle simplifie. C’est, en tout cas, le message que souhaite faire passer la Commission avec ce texte de révision express, porté au pas de charge depuis février. Son objectif : adapter plusieurs directives phares du Green Deal européen, au premier rang desquelles la CSRD (Corporate Sustainability Reporting Directive) et la CS3D (directive sur le devoir de vigilance). Réduire la charge administrative, clarifier les obligations et — soyons lucides — calmer la fronde des entreprises, notamment industrielles.

CSRD, CS3D, ESRS… Le grand allègement européen est lancé
Mais au-delà de la rhétorique politique, que change vraiment ce paquet pour les DSI, les directions RSE, les commissaires aux comptes et les opérateurs de la donnée ESG ?
La première mesure choc, c’est la réduction du périmètre d’application de la CSRD : seules les entreprises affichant plus de 450 millions d’euros de chiffre d’affaires et 1 000 salariés seront soumises aux exigences de reporting extrafinancier obligatoires. Cela exclut de fait une large partie des ETI cotées. Une disposition qui s’appliquera à partir du 1er janvier 2027, avec possibilité pour les États membres d’écarter les « entreprises sorties » dès 2025.
Reporting volontaire : la porte reste ouverte
Mais attention, ces entreprises exclues pourront continuer à publier volontairement selon les standards CSRD. L’article 9 du projet prévoit même que la Commission déploie des normes de reporting volontaires pour les aider à structurer leur démarche, sur la base des travaux de l’EFRAG (European Financial Reporting Advisory Group). Ce point est crucial : il permet à celles qui le souhaitent de maintenir leur niveau de transparence pour les investisseurs, les clients ou les banques soumises à la réglementation SFDR (Sustainable Finance Disclosure Regulation).
Le « value-chain cap » pour défendre les petites entreprises
Le texte introduit un plafonnement de l’information exigible par les grandes entreprises auprès de leurs fournisseurs ou partenaires de moins de 1 000 salariés. Ces derniers auront un droit de refus légal si les demandes d’informations dépassent un certain cadre, défini par les standards volontaires. Une mesure qui vise à enrayer le phénomène de « cascade ESG » constaté depuis l’adoption de la CSRD.
ESRS : vers un allègement contrôlé
Le projet omnibus demande à la Commission de revoir le premier jeu des ESRS publiés en juillet 2023. Cette révision devra être adoptée dans les six mois suivant l’entrée en vigueur de la directive. Le texte propose de supprimer les données jugées non prioritaires, de privilégier les indicateurs quantitatifs aux narratifs et de clarifier l’application du principe de double matérialité pour prévenir les rapports excessifs que certains auditeurs pourraient exiger. Cette refonte devrait également renforcer la lisibilité sectorielle, via des lignes directrices, mais non plus par le biais de normes contraignantes. Une façon de sortir par le haut d’un calendrier trop ambitieux.
Devoir de vigilance : un seuil relevé, une exigence réduite
En ce qui concerne le CS3D, la taille critique est maintenant fixée à 1,5 milliard de dollars de revenus et à 5000 employés. Ces entreprises devront se conformer aux obligations de vigilance. Le texte introduit par ailleurs une approche par « efforts raisonnables » en matière de plan de transition climatique, au lieu d’une obligation de résultat alignée sur l’accord de Paris. Les autorités de régulation doivent faire preuve d’accompagnement plutôt que de répression.
Vers un ESG à deux vitesses ?
En creux, le texte entérine l’émergence d’un ESG à deux vitesses : d’un côté, un cadre réglementaire contraignant pour les grands groupes ; de l’autre, une logique volontaire, façonnée par les marchés et la pression des parties prenantes, pour les entreprises sorties du périmètre.
Si certaines personnes perçoivent cela comme une régression, d’autres y voient une solution pragmatique. Cela soulève une question centrale : comment maintenir des systèmes de collecte, de consolidation et d’assurance des données ESG dans un paysage où le volontariat et l’optionalité deviennent la norme pour la moitié des opérateurs ?
Autrement dit, la conformité ne fera plus office de ligne d’arrivée. Il faudra désormais jongler entre performance affichée, fiabilité des données et maîtrise des coûts, dans un reporting devenu stratégique… mais plus forcément imposé. Une nouvelle ère s’ouvre, où le volontariat n’exonère plus de rigueur.
Ce que l’Omnibus change réellement pour la donnée ESG
Le paquet omnibus ne supprime pas les données ESG, il les redéfinit plutôt, en spécifiant qui les collecte, comment et pourquoi elles sont utilisées.
En limitant la zone couverte par l’obligation de la CSRD, il transfère la responsabilité liée aux données dans un espace contractuel ou réputationnel. Pour les entreprises qui ne sont pas concernées, la divulgation de données devient volontaire, mais pas anodine : toute information publiée engage l’entreprise, que ce soit par vérification d’un tiers ou demande d’un client stratégique.
En ce qui concerne les grandes entreprises soumises à la CSRD, les exigences demeurent strictes, mais la quantité d’informations requises sera réduite. Les indicateurs quantitatifs seront privilégiés et les narratifs seront clarifiés, tandis que l’accent sera mis sur la matérialité. Ainsi, la donnée ESG deviendra plus ciblée et plus vérifiable.
Les chaînes de valeur sont également affectées par ce changement majeur. En effet, un fournisseur comptant moins de 1000 employés aura désormais le droit de refuser de divulguer certaines informations à son client. La responsabilité de justifier les demandes qu’elle formule, qui devra prouver qu’elle n’exige rien au-delà des limites prévues.
Enfin, la révision annoncée des ESRS prévoit une plus grande distinction entre ce qui est obligatoire, optionnel ou contextuel. Elle impose aux DSI et aux directions RSE une gouvernance robuste de la donnée, où chaque champ doit être tracé, justifié, documenté. Car, aujourd’hui, tout ce qu’on publie, même volontairement, pourra être comparé, requis ou reproché demain.
Avant / Après Omnibus
Champ d’application : initialement, toutes les grandes entreprises + PME cotées. Après Omnibus, seules les entreprises dont le chiffre d’affaires dépasse 450 millions d’euros et qui emploient plus de 1 000 personnes sont soumises à la CSRD. Les autres sortent du périmètre.
Reporting volontaire : marginal avant 2025, il devient structuré via un standard dédié (VS-ME) développé par l’EFRAG.
Chaîne de valeur : auparavant sans limite. Désormais, les PME de moins de 1 000 salariés peuvent opposer un refus légal.
Normes ESRS : imposées en bloc dans la version initiale. Après Omnibus, révision ciblée, allègement narratif, priorité aux données quantitatives, ajustement sectoriel.
Responsabilité numérique : renforcée avec des exigences sur le format électronique (XHTML/iXBRL) mais avec souplesse sur la responsabilité des administrateurs selon les États membres. Pour info, l’iXBRL fonctionne comme un double fond numérique : les chiffres visibles sont enrichis de balises sémantiques, ce qui permet à l’ESMA (autorité européenne des marchés financiers), aux plateformes financières ou aux analystes d’extraire automatiquement les données et de les comparer entre entreprises.
CS3D : baisse de la contrainte avec passage à une logique d’effort raisonnable et seuils relevés.
Événement | Délai |
---|---|
Publication “Stop-the-Clock” | 16 avril 2025 |
Préconisation standard VS-ME | Fin T2 2025 |
Adoption du standard ESRS allégé | Fin 2025 |
Transposition par États membres (Stop-the-Clock) | 31 décembre 2025 |
Transposition directive de fond (Omnibus contenu) | D’ici 31 décembre 2026 |
Reporting CSRD – Vague 2 | Exercice 2027 (publiés en 2028) |
Transposition CS3D | D’ici 26 juillet 2027 |
Application CS3D (grands groupes) | À partir du 26 juillet 2028 |
Reporting CSRD – Vague 3 | Exercice 2029 (publiés en 2030) |