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Open source en Europe : une forte adoption mais une stratégie faible
Par Laurent Delattre, publié le 05 septembre 2025
L’Europe exploite l’open source à grande échelle mais trop souvent en simple consommatrice. Faute de stratégie et de contributions solides, elle prend le risque de perdre son leadership technologique et sa souveraineté numérique selon la Linux Foundation qui vient de publier un rapport sur l’open source en Europe en 2025.
Les organisations européennes utilisent massivement les technologies open source mais de façon trop passive et sans véritable stratégie open source définie au plus haut niveau. C’est l’enseignement principal qui ressort du dernier rapport « World of Open Source Europe 2025 » de la Linux Foundation qui trace un panorama des pratiques open source en Europe. Et l’association alerte les européens contre le risque pour l’Europe de perdre son avance en matière d’innovation ouverte si elle ne renforce pas sa stratégie autour de l’open source. Bien que largement adopté et reconnu comme un levier clé de souveraineté numérique, ce modèle souffre encore dans les organisations européennes d’un manque de vision cohérente, d’engagement fort des dirigeants et d’investissements ciblés.
Pour la fondation, si l’Europe n’entre pas en résistance et n’investit pas plus ouvertement dans l’open source, elle risque fort de rapidement décrocher, s’enfermant dans les statu-quo qui renforcent ses dépendances vis-à-vis de fournisseurs extra-européens et fragilisent sa souveraineté, sa sécurité, son innovation et sa compétitivité.
Une adoption massive mais sans stratégie
Pourtant les niveaux d’adoption des technologies open source sont très élevés en Europe. On peut même dire que l’open source y est omniprésent. Plus de 90 % des organisations ont déclaré que la valeur tirée de l’open source s’était maintenue ou accrue ces 12 derniers moi. Pour la Linux Foundation, le sujet n’est plus d’installer des outils open source, mais de passer à l’échelle et d’atteindre l’excellence opérationnelle.
Le rapport révèle une forte pénétration dans des domaines critiques tels que les systèmes d’exploitation notamment côté serveurs (64 % des organisations), les technologies cloud et conteneurs (55 %), et le développement applicatif (54 %).

Cependant, cette adoption généralisée masque un déficit stratégique important. Seules 34 % des organisations européennes disposent d’une stratégie formelle en matière d’OSS et à peine 22 % ont mis en place un bureau dédié à l’open source (OSPO).
Ce manque de structuration est particulièrement visible au niveau de la direction des organisations interrogées. L’étude note un écart de perception significatif : si 86 % des employés reconnaissent la valeur de l’OSS, ce chiffre tombe à 62 % chez les cadres dirigeants (C-suite).
De plus, 30 % des entreprises européennes se contentent de consommer l’OSS sans y contribuer en retour. Seulement 42 % des organisations européennes contribuent activement aux projets dont elles dépendent. Et seulement 28 % emploient des mainteneurs ou contributeurs à temps plein.

Les principaux freins identifiés à une utilisation plus poussée de l’open source sont le manque de support technique (40 %), les préoccupations liées aux licences et à la propriété intellectuelle (35 %), et une incompréhension de la valeur non technique de l’OSS (34 %).
Une géopolitique favorable mais peu d’intentions
Pour autant le contexte géopolitique actuel contribue activement à transformer l’open source d’une considération technique en un levier stratégique pour la souveraineté numérique européenne. L’open source est perçu comme essentiel pour reprendre le contrôle des piles technologiques.
La Linux Foundation dénonce un sous-investissement structurel de l’Europe dans l’open source, en particulier dans la maintenance et la sécurité des briques critiques : trop peu d’organisations financent des mainteneurs ou leurs dépendances amont de façon durable, et les mécanismes publics restent épars, à court terme et de taille insuffisante par rapport aux besoins.
Et si l’association salue l’initiative allemande « Sovereign Tech Agency (STA) » et y voit un modèle de financement public à suivre, elle reconnaît l’initiative comme étant « de plusieurs ordres de grandeur trop petit » et appelle désormais à un dispositif similaire mais plus ambitieux à l’échelle de l’UE et à des lignes budgétaires dédiées dans le cadre financier pluriannuel. Des politiques trop « localistes » risquent de fragmenter un écosystème par nature transnational. L’Europe doit coordonner financements, marchés publics et politiques d’ouverture pour transformer l’avantage théorique de l’open source en avance concrète.

Parallèlement, la Linux Foundaiton s’inquiète aussi de l’impact de certaines règlementations sur les écosystèmes ouverts. Elle pointe notamment du doigt la Loi sur la Cyber-résilience (CRA) regrettant beaucoup d’obligations et très peu de préparation. Car l’entrée en vigueur de la CRA change radicalement la donne en matière de gestion de la chaîne d’approvisionnement logicielle. Le rapport souligne une lacune inquiétante : 62 % des répondants admettent une faible familiarité avec le CRA. Cette réglementation impose une transparence accrue, notamment via la fourniture de nomenclatures logicielles (SBOM). Philippe Ensarguet, VP Ingénierie chez Orange, commente : « Dans l’industrie des télécoms, il est difficile d’obtenir des SBOM pour les logiciels achetés… Le fait que le CRA rende les SBOM obligatoires pour les fournisseurs est une avancée significative ».
Dans ce contexte, la demande pour du support commercial s’intensifie, particulièrement pour les workloads critiques (53 % des répondants), avec des attentes prioritaires sur les garanties de support à long terme (54 %) et la rapidité des correctifs de sécurité (53 %).
Au final, le rapport invite les entreprises à gouverner l’open source comme un actif d’entreprise, pas comme un « gratuit » tactique. Cela commence par une stratégie formalisée, adossée à des objectifs et des indicateurs, qui fixe les règles d’usage et de contribution, le niveau de risque acceptable et les responsabilités. Cette stratégie devrait s’appuyer sur un bureau spécialisé « OSPO » doté d’un vrai mandat transverse (juridique, sécurité, achats, finance, RH) pour arbitrer les licences, encadrer les contributions, gérer l’IP et piloter la relation avec les communautés.
« L’open source est à un tournant en Europe. Notre rapport 2025 montre un large consensus, public comme privé : l’open source est à la fois moteur d’innovation, garantie d’indépendance vis-à-vis des fournisseurs et socle de souveraineté numérique. Mais sans investissements stratégiques, sans sponsorship des comités de direction et sans un environnement pro-entrepreneurs, l’Europe laissera filer l’avantage. Les communs numériques sont notre meilleur levier pour l’autonomie et la compétitivité mondiale — à nous d’en faire une priorité » souligne ainsi Gabriele Columbro, DG, Linux Foundation Europe dans le rapport.
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