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Cybersécurité européenne : Microsoft renforce son engagement stratégique
Par Laurent Delattre, publié le 05 juin 2025
La cybersécurité des institutions européennes entre dans une nouvelle ère, marquée par une coopération renforcée entre puissance publique, initiatives privées et exigences de souveraineté technologique. Et Microsoft fait des cadeaux à l’Europe pour l’aider à renforcer sa cyber-résilience et, au passage, muscler sa présence stratégique sur le Vieux Continent.
Certes, le fiasco du blocage des comptes emails CPI a rudement secoué les promesses du président de Microsoft, Brad Smith, de vigoureusement défendre l’Europe face aux aléas de la politique américaine du président Trump. Mais l’homme et son entreprise continuent de vouloir ouvertement s’engager en faveur de la souveraineté numérique du Vieux Continent alors que se propage en Europe une vague destinée à réduire la dépendance numérique de nos organisations et entreprises envers les services numériques et logiciels américains.
Ainsi, Microsoft a dévoilé cette semaine son « European Security Program ». Ce dispositif gratuit est spécifiquement destiné aux gouvernements européens, en commençant par ceux de l’Union européenne mais en y intégrant aussi les pays candidats, les membres de l’AELE, ainsi que le Royaume-Uni, Monaco et le Vatican. Brad Smith qualifie cette initiative originale de « soutien américain à la défense numérique du continent européen ».
La motivation derrière ce programme repose sur une menace croissante observée depuis septembre 2024 : Microsoft relève en effet une hausse significative des attaques orchestrées par des groupes liés à la Russie, la Chine, l’Iran et la Corée du Nord. Ces attaques ciblent prioritairement les réseaux gouvernementaux, les infrastructures critiques ainsi que les instituts de recherche européens.
De plus, la prolifération des ransomwares désormais structurés en modèles commerciaux (« ransomware-as-a-service ») et l’utilisation offensive accrue de l’intelligence artificielle (pour la reconnaissance automatisée, la génération de scripts malveillants, l’ingénierie sociale ou encore la création de deepfakes) rendent impératif un renforcement urgent des capacités de défense.

Le « European Security Program » s’articule autour de trois grands axes. Le premier concerne un partage de renseignements en quasi-temps réel, basé sur les outils propriétaires de Microsoft, offrant ainsi à chaque État des alertes contextualisées, un interlocuteur dédié et des notifications prioritaires sur les vulnérabilités critiques.
Le second volet vise à renforcer les compétences locales par l’envoi d’enquêteurs auprès d’Europol EC3, l’élargissement du soutien au CyberPeace Institute, le financement du Western Balkans Cyber Capacity Centre ainsi qu’un partenariat avec le laboratoire britannique LASR, spécialisé dans l’évaluation de la sécurité des intelligences artificielles autonomes.
Enfin, le troisième axe est consacré à la « disruption » active des infrastructures criminelles, démontré notamment par la récente neutralisation du logiciel malveillant Lumma (ayant infecté près de 400 000 machines) ainsi que par la mise en œuvre du programme automatisé « SAD », qui permet de signaler aux hébergeurs les domaines malveillants pour les couper rapidement.
« Nous observons une activité persistante sur les réseaux européens… La cyberprotection ne peut plus rester immobile », insiste Brad Smith, précisant que l’IA joue désormais un rôle aussi stratégique en défense qu’en attaque.
Pour Microsoft, offrir ainsi gratuitement ces services vise également à répondre aux futures obligations européennes, telles que le Cyber Resilience Act, la réglementation DORA et la directive NIS 2, engagements que Microsoft affirme vouloir explicitement soutenir à travers ses « European Digital Commitments ».
Pour les DSI et RSSI européens, ce programme pourrait à la fois permettre de bénéficier d’une meilleure visibilité sur les tactiques, techniques et procédures (TTP) des groupes étatiques, et de renforcer leurs propres stratégies de continuité opérationnelle dans un environnement où l’IA s’impose progressivement au cœur de la détection et de la réponse aux incidents. L’accès privilégié aux indicateurs de compromission ainsi qu’aux rapports du MTAC sur les opérations d’influence pourrait leur faciliter l’ajustement des contrôles Zero Trust, tandis que l’automatisation du retrait de domaines malveillants contribuera mécaniquement à raccourcir les délais de remédiation.
Mais surtout, ce programme pourrait favoriser une convergence renforcée et indispensable entre les standards publics et privés en matière de gestion des crises cyber, au moment même où Bruxelles envisage un élargissement de sa « Cyber Diplomacy Toolbox ».
Au travers d’une telle initiative, Microsoft cherche à se positionner un peu plus en acteur clé de la cyber-résilience européenne. Tout en affichant sa bonne volonté et son ouverture, la firme américaine cherche en réalité par tous les moyens à solidifier son ancrage numérique face à une Europe en pleine quête d’autonomie numérique dans le cloud, dans l’IA et dans la cyber, les trois piliers de croissance des firmes numériques américaines. Personne n’est dupe. Mais toute bonne volonté pour lutter contre le cyber-terrorisme et la cyber-criminalité est utile et bienvenue.
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